Le président de la République vient d’annoncer l’ouverture d’une concertation sur l’organisation du calendrier scolaire. Les vacances estivales dureraient trop longtemps en France et les journées de classe s’alourdissent, a-t-il lancé le 27 juin lors d’un déplacement dans une école marseillaise.
Le sujet n’est pas nouveau. Il est l’objet de débats vifs et récurrents, invitant à regarder les évolutions historiques et à faire des comparaisons entre pays.
On peut penser aussi qu’il y aurait certaines pierres d’achoppement insuffisamment prises en compte dans le dialogue public, comme le poids des lobbys touristiques, alors même que les données climatiques interrogent nos habitudes de vie. C’est particulièrement prégnant lorsqu’il s’agit de débattre non seulement de la longueur des vacances, mais aussi de leur distribution dans l’année. Certains ont tendance à penser que leurs dates sont plus ou moins immuables et que la coupure en juillet et août va de soi. Le passé lointain et même relativement proche prouve cependant le contraire.
L’alignement des calendriers du primaire et du secondaire
Pour ce qui concerne les écoles primaires, le cadre des vacances a été d’abord à « géométrie variable ». Le statut du 25 avril 1834 indique qu’elles « seront réglées par chaque Comité d’arrondissement pour toutes les Écoles de son ressort […], mais sans que la totalité excède six semaines ». L’arrêté du 18 janvier 1887 fixe la durée des vacances d’été à six semaines. Les dates sont déterminées par les préfets et varient localement, le plus souvent situées dans la période qui va de début août à début octobre.
En 1922, on y ajoute 15 jours et la pause estivale s’étend du 31 juillet au 30 septembre. En 1938, les grandes vacances du primaire sont alignées sur celles du secondaire et commencent désormais le 14 juillet, en se terminant néanmoins toujours le 30 septembre. Une harmonisation qui répond aux attentes des éducateurs et des familles comme le relate l’ancien ministre de l’Éducation Jean Zay dans Souvenirs et solitudes :
« Les éducateurs signalaient depuis longtemps que, dans la deuxième quinzaine de juillet, sous la canicule, le travail scolaire devenait nul ; on se bornait à somnoler sur les bancs et à soupirer en regardant les fenêtres. Les familles de leur côté se plaignaient de ne pouvoir organiser leurs vacances à leur guise, pour peu qu’elles eussent un enfant au lycée et un autre à l’école primaire. »
En ce qui concerne les collèges et lycées, avant la IIIe République, les grandes vacances commençaient le 15 août et finissaient le 1re octobre. À partir de l’établissement de la IIIe République, elles vont débuter de plus en plus tôt dans l’année – et durer plus longtemps. En 1875, il est décidé qu’elles commenceront désormais le 9 août ; puis, à partir de 1891, le 1re août. En 1912, le début des grandes vacances est avancé au 14 juillet ; mais elles durent toujours jusqu’au 1re octobre. On est donc passé de 1874 à 1912, d’un mois et demi de grandes vacances à deux mois et demi.
Le zonage géographique des vacances
En 1959, les grandes vacances scolaires sont déplacées de quinze jours : elles commencent plus tôt (le 1re juillet) et finissent plus tôt (le 15 septembre). Selon deux spécialistes de la question des « rythmes scolaires », Georges Fotinos et François Testu, la période des années soixante et soixante-dix « a pour caractéristique de s’intéresser presque uniquement au calendrier scolaire sur le plan économique. Elle voit l’introduction progressive des zones géographiques à la demande de divers organismes socioprofessionnels tant salariés que patronaux dans certains secteurs d’activité, les transports routiers et ferroviaires, et surtout le tourisme ».
Dès l’année 1960, un arrêté précise que les dates de vacances d’hiver et de printemps doivent être fixées « en accord avec le ministère des Travaux publics et des Transports de façon que la SNCF puisse organiser les retours dans les meilleures conditions ».
En 1968, le zonage géographique des congés de la mi-février est mis en place : deux zones décalées d’une semaine, chaque congé n’ayant qu’une durée de 9 jours. On passe à trois zones en 1972, à la suite des demandes insistantes des professionnels du tourisme. Puis le zonage des vacances de printemps (d’une durée de deux semaines) est établi en 1977 : deux zones décalées d’une semaine. Enfin, le 8 mars 1979, le ministre de l’Éducation nationale Christian Beullac annonce que les dates des grandes vacances seront elles aussi variables d’une zone à l’autre, et que le nombre de zones passera de trois à cinq. Les départs, en 1980, s’échelonnent entre le 27 juin et le 11 juillet.
La responsabilité d’établir le calendrier des vacances scolaires est confiée aux recteurs qui décident pour leur académie. L’amplitude des vacances d’été (1981) toutes académies confondues s’étend du 27 juin au 28 septembre. Pour la rentrée des classes, 11 académies ont par exemple choisi entre le 22 septembre et le 26 septembre, 5 académies entre le 15 septembre et le 18 septembre, 10 académies entre le 9 septembre et le 11 septembre.
Aucune académie n’a retenu une date de départ autour du 15 juin et presque toutes ont privilégié la durée des vacances d’été au détriment des vacances intermédiaires. Des vacances de février ou de Pâques d’une semaine ne sont pas rares. À l’inverse, quelques académies ont allongé ou raccourci ces congés intermédiaires. À titre d’exemple, on trouve des vacances de Noël d’une durée de trois semaines, des vacances de la Toussaint de quinze jours et des vacances de février de… trois jours, comme l’a rappelé Georges Fotinos dans une tribune parue sur ToutEduc le 28 juin 2023.
La valse-hésitation des rythmes scolaires
À partir des années 80, on commence à réellement écouter sur le sujet des rythmes scolaires des scientifiques tels que les professeurs Montagner, Reinberg, Testu, Touati et des médecins pédiatres tels que Courtecuisse ou Guran.
Cela se traduit finalement par un grand changement dans le calendrier scolaire de l’année 1986-1987. L’administration concernée du ministère de l’Éducation nationale propose deux calendriers : l’un, appelé A, est de facture traditionnelle ; l’autre, intitulé B, est construit à partir des résultats des études des scientifiques précités. C’est le fameux 7/2, à savoir la succession tout au long de l’année de sept périodes de travail de sept semaines entrecoupées de quatre périodes de congés (Toussaint-Noël-Hiver-Pâques) de deux semaines chacune. Année qui se termine par huit semaines de congés d’été.
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, souhaite qu’une consultation soit menée auprès de quelque 120 partenaires du ministère. Le calendrier B reçoit un large assentiment, notamment auprès de toutes les fédérations de parents d’élèves, de toutes les associations familiales ou complémentaires de l’école, ainsi que de la grande majorité des syndicats d’enseignants.
Les « scientifiques » l’ont emporté. Mais cela ne durera pas. Et depuis on assiste à une « valse hésitation » récurrente, qu’illustre tout particulièrement l’épisode de 1991.
Le samedi 16 février 1991, les retours de vacances d’hiver sont difficiles. De la neige ; des bouchons ; des mécontents. Le Premier ministre Michel Rocard se prononce publiquement pour un retour aux trois zones, allant même jusqu’à suggérer que l’on pourrait étaler à nouveau les vacances d’été. Les lobbies s’engouffrent dans la brèche. En sa qualité de président de l’association Villages vacances familles (VVF) et de vice-président de la section des affaires sociales du Conseil national du tourisme, Edmond Maire est le premier à demander un étalement des vacances beaucoup plus diversifié.
Le ministère de l’Éducation nationale rend public le 13 mars 1991 un projet d’arrêté visant à modifier le calendrier scolaire. Le directeur de cabinet de Lionel Jospin, Olivier Schrameck, indique qu’il s’agit d’un « ajustement » né d’une concertation entre le ministère de l’Éducation nationale et celui du Tourisme, à la demande du premier ministre Michel Rocard. Les modifications porteront sur les congés d’hiver et de printemps pour lesquels les trois zones seront rétablies. Pour manifester leur désapprobation, 56 des 62 membres du Conseil supérieur de l’éducation (qui n’ont qu’un rôle consultatif) quitteront la salle au moment du vote, le 28 mars.
Satisfait de ces changements, Edmond Maire juge cependant « incompréhensible » que le gouvernement n’ait pas décidé d’amorcer un étalement des vacances d’été. « Il n’est pas possible, conclut-il dans Le Monde du 15 mars 1991, de laisser de côté les professionnels des transports et du tourisme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : concilier réellement les intérêts des enfants à l’école, ceux des enfants en vacances et ceux de la société ».
Une nouvelle fois, le retour à trois zones rend impossible un calendrier en 7/2, qui n’est compatible qu’avec deux zones maximum. Et le débat revient à intervalles réguliers dans l’actualité depuis, avec quelques variations de forme, certes, mais des enjeux de fond semblables.
Article écrit par Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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