ENTRETIENS EPOCH TIMES

Wilfried Kloepfer : « Ce n’est pas un hasard si la démocratie moderne s’est installée dans le monde de culture chrétienne »

octobre 22, 2024 18:37, Last Updated: octobre 22, 2024 20:37
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ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, Wilfried Kloepfer, avocat au barreau de Toulouse et auteur de Le droit à la continuité historique (Vérone, 2023) revient sur l’hommage rendu aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard et livre son analyse sur l’état actuel de la laïcité en France.

Epoch Times : Le 14 octobre, un hommage national a été rendu aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, assassinés par des terroristes islamistes en 2020 et 2023. Avec cet hommage, il s’agissait notamment de réaffirmer le principe de laïcité. Pour vous, dans quel état se trouve la laïcité aujourd’hui ?

Wilfried Kloepfer : D’abord, puisque vous parlez des hommages, il est important de nommer correctement ce qu’il s’est passé. Albert Camus disait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Les deux professeurs que vous venez de citer ont été assassinés par des terroristes. Même si leurs assassinats s’inscrivent dans un contexte plus large d’atteinte à la laïcité, il ne s’agit pas, au regard de la gravité de ces crimes, de simples atteintes à ce principe.

Concernant l’état dans lequel se trouve actuellement la laïcité, je dirais que le désenchantement du destin français ouvre l’espace public aux revendications identitaires que le principe de laïcité peine à juguler. C’est-à-dire que l’école n’enseigne plus l’esprit d’une nation aux jeunes générations.

Par conséquent, il y a un espace vide que la laïcité ou même les valeurs de la République n’arrivent pas à combler. La nature ayant horreur du vide, cet espace est progressivement occupé par des idéologies telles que l’islamisme véhiculé par les réseaux fréristes. Ce phénomène, au-delà de l’école est remarquablement mis en lumière par Florence Bergeaud-Blackler. C’est donc dans ce contexte que l’islam radical cherche à investir l’institution scolaire.

Selon le ministère de l’Éducation nationale, 78 « perturbations et contestations » ont été recensées lors de l’hommage national. Comment expliquez-vous ce nombre important d’élèves qui perturbent les minutes de silence ?

Ces perturbations sont extrêmement graves et mettent en lumière l’offensive qui est livrée contre l’école de la République et le principe de laïcité. Nous avons affaire à une contestation du modèle culturel que l’école est censée transmettre.

En effet, l’école est par définition un lieu de transmission. Elle est devenue une cible vers laquelle est lancé le défi civilisationnel avec la contestation des enseignements, qui prend appui sur l’autocensure des professeurs confrontés à la veulerie administrative.

Un professeur giflé à Tourcoing le 7 octobre 2024, un proviseur menacé de mort à Arras, pour avoir intimé l’ordre, conformément à la loi d’ôter le voile dans l’enceinte de leur établissement !

À l’occasion d’un discours prononcé le 16 octobre en hommage à son frère, Mickaëlle Paty a déclaré : « On ne fera pas triompher nos idéaux, nos valeurs, et les fondements mêmes de la République, avec des bougies, des ours en peluche, des cœurs avec les doigts et des Vous n’aurez pas ma haine ». Qu’en pensez-vous ?

Elle a raison sur toute la ligne. D’ailleurs, elle vient de publier un ouvrage, « Le Cours de Monsieur Paty » dans lequel elle décrit parfaitement le contexte dans lequel est intervenu l’assassinat de son frère et ô combien il a été seul dans cette épreuve effroyable. Je pense qu’il faut effectivement passer à l’offensive : reprendre notre destin en main en réinvestissant la mission de l’école, qui est celle de la transmission.

On ne peut pas avancer dans l’obscurité de l’avenir sans les lumières du passé, sauf à être « assigné dans le présent » comme le démontre Bérénice Levet. D’ailleurs, puisqu’on parle du principe de laïcité dans notre civilisation, il faut savoir qu’il est assez ancien. Des écrits très intéressants du philosophe Luc Ferry montrent notamment que la laïcité est le produit de la culture chrétienne. C’est la fameuse parole évangélique rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Dans la tradition chrétienne, on conçoit parfaitement la séparation entre le privé et le public : la sécularisation opère une séparation entre le domaine temporel où s’organise la société civile d’ici-bas et la sphère spirituelle et religieuse où règne la transcendance de l’au-delà.

Ce n’est pas un hasard si la démocratie moderne s’est installée d’abord et avant tout dans le monde de culture chrétienne. De ce point de vue, la laïcité est un héritage chrétien, « la religion de la sortie de la religion » comme le soutient Marcel Gauchet.

Vous parliez à l’instant d’ « espace vide » à l’école que la laïcité ne parvient pas à occuper. Par quoi cet espace pourrait-il être occupé ? Certains intellectuels parlent de réaffirmation du christianisme. Comment voyez-vous les choses ?

Quand on parle de laïcité, il faut se mettre d’accord puisqu’il y a des querelles sémantiques sur la définition même de ce principe. Est-ce qu’on parle de laïcité ouverte ou tournée vers le combat ?

L’affaire des collégiennes de Creil en 1989 a marqué un tournant vers la reconnaissance d’une conception dite inclusive de la laïcité contraire à mon sens à la loi du 9 décembre 1905 qui pose l’exigence de séparation et qui consiste moins en la neutralité religieuse de l’État qu’à une neutralisation des religions dans la sphère publique. C’était clairement dirigée contre le cléricalisme catholique.

Maintenant, je me demande pourquoi ce qui a été conçu et pensé contre le catholicisme en 1905, est si difficile à opposer à d’autres religions comme l’islam puisque c’est bien de ce culte dont il est question aujourd’hui. Certains proposent même de renouer avec des usages concordataires pour instituer un islam de France…

Il est aussi intéressant de constater qu’il y a tout un mouvement de pensée de la laïcité qui est né dans le républicanisme de la Troisième République, donc plutôt à gauche, mais qui est aujourd’hui abandonné au profit d’une laïcité prétendument ouverte permettant l’expression de différentes croyances dans n’importe quelles conditions dans l’espace public. Ironie du sort, c’est désormais la droite qui porte le flambeau de la laïcité.

Je pense donc que nous devons nous mettre d’accord sur ce qu’est ce principe républicain, en particulier à l’école et revenir à son interprétation plus classique sans lui adjoindre, comme c’est le cas aujourd’hui un qualificatif qui ne peut que l’affaiblir.

Sur le christianisme, il n’est pas question ici de foi, mais de culture. Nous devons nous réconcilier avec nos origines et notre culture judéo-chrétienne, et cesser avec la repentance incantatoire et la cancel culture promues par le wokisme.

Le Conseil d’État avait jusqu’à présent une lecture plus inclusive de ce principe (voir en ce sens le Rapport Th. Tuot, 2013). Il pourrait même donner le sentiment du deux poids deux mesures en admettant la possibilité pour une commune de conclure un bail emphytéotique pour la construction d’une mosquée (CE 19 juin 2011) mais interdisant l’installation d’une statue de l’archange saint Michel sur le parvis de l’église éponyme aux Sables-d’Olonne (CE 7 avril 2023).

Au moment de l’affaire de Creil par exemple, il avait annulé l’exclusion des collégiennes portant le voile islamique. Mais, la loi de 2004 sur l’interdiction du port de signes ou vêtements ostentatoires est venue « forcer » des revirements.

Face aux pressions revendicatrices, le Conseil d’État a validé l’interdiction du port de l’Abaya à l’école décidée par la circulaire Attal l’an dernier (CE Ord.7 et 25 septembre 2023), il a annulé l’autorisation des baignades en burkini dans les piscines municipale de Grenoble (CE Ord. 21 juin 2022) ou encore, validé l’interdiction des signes ou vêtements religieux pendant les compétitions sportives et match organisés par la FFF, contre les velléités des « hijabeuses » (CE 29 juin 2023).

Selon BFMTV, lors de la composition du gouvernement, Michel Barnier souhaitait la création d’un ministère de la Laïcité, dont Othman Nasrou devait hériter, provoquant la colère d’une partie de la gauche. Finalement, ce dernier a été nommé secrétaire d’État en charge de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations ? L’idée d’un ministère de la Laïcité était-elle, selon vous, pertinente ?

Pourquoi pas ! Mais il aurait fallu savoir ce qu’il y a concrètement derrière ce nouveau ministère. Autrement, je ne vois pas l’intérêt. Beaucoup de commissions, d’institutions et d’agences ad hoc ont été créés pour remplir une feuille de route bien précise, mais n’ont finalement jamais effectué un travail important.

Je dirais également que la laïcité concerne l’ensemble des secteurs (clubs sportifs, services publics, école) et ne doit pas être la panacée d’un ministère… La loi du 21 août 2021 confortant le respect des principes de la République prévoit un référent laïcité dans chaque administration et l’organisation d’une journée laïcité tous les 9 décembre.

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