ENTRETIEN – Alors que Michel Barnier est (enfin) parvenu à former une équipe gouvernementale, qui comprend plusieurs ténors des Républicains, Éric Ciotti a annoncé dans la foulée quitter ce parti et sa présidence. Alexandre Allegret-Pilot y voit une réponse logique du fondateur de l’Union des droites pour la République (UDR), déplorant une « dissolution irrémédiable de LR dans le macronisme », et n’exclut pas l’hypothèse d’un vote d’une motion de censure « en cas de dérive du nouveau gouvernement ».
Epoch Times : Moins d’un mois après avoir lancé l’UDR, Eric Ciotti a annoncé ce dimanche quitter LR face au constat de « la dissolution de l’état-major des Républicains dans la macronie ». Un épilogue attendu ?
Alexandre Allegret-Pilot : C’est la réponse logique à la prise en otage des adhérents par quelques cadres de LR. En refusant une consultation de la base – alors que celle-ci aurait soutenu Eric Ciotti comme en atteste un sondage réalisé pendant la campagne législative – les cadres historiques de LR ont fait primer leur carrière personnelle sur l’écoute des Français. C’est peut-être un des écueils de la professionnalisation de la politique. En tout état de cause, cela ne peut tenir que temporairement.
La marque politique LR est ainsi indéniablement corrompue, tant par les stratagèmes incohérents de plusieurs élus nationaux ces derniers mois, que par une crise d’identité larvée depuis des années : Eric Ciotti a simplement pris acte de la disparition de LR en tant qu’entité politique cohérente, le grand écart entre le macronisme et la droite n’étant pas tenable dans le temps long au sein d’un même parti.
Après avoir fait éclater le PS, Emmanuel Macron a donc facilité l’éclatement de LR, mais la faute en revient en premier lieu aux quelques dignitaires qui ont déçu les électeurs par l’absence de ligne politique claire, par leur démagogie et par leurs compromissions : le hiatus entre les mots et les gestes est bien trop grand et récurrent. Appeler à voter pour un candidat communiste ou LFIste au second tour de l’élection législative, afin d’écarter un candidat de l’Union des Droites, pour ensuite se prétendre de droite et prendre des postures de circonstances sur la sécurité ou l’immigration, relève de l’escroquerie intellectuelle… et les électeurs finissent par le voir.
Quelle sera votre position vis-à-vis de de ce gouvernement Barnier ? Envisagez-vous de soutenir le vote d’une motion de censure ?
Deux maître-mots : vigilance et responsabilité.
À ce titre, et sur la question de la motion de censure, je pense que les Français, qui sont allés trois fois aux urnes en quelques semaines et qui n’ont pas eu de gouvernement pendant plus d’un mois, en ont certainement assez des atermoiements politiciens et souhaitent un minimum de stabilité, d’autant que la situation du pays est préoccupante et nécessite des actions fortes et urgentes : finances publiques, pouvoir d’achat, sécurité, immigration, indépendance énergétique, sanitaire et agricole… La responsabilité ne commande donc pas de censurer « par défaut », sans pour autant se départir de cette faculté en cas de dérive du nouveau gouvernement.
Pour cela, nous devons être vigilants. La stratégie du blocage et de l’opposition permanente, qui est celle promue par le NFP, n’est pas viable et ne permet pas d’avancer sur des sujets de fond.
Ce nouveau gouvernement reste donc pour vous un moindre mal qu’un gouvernement de cohabitation avec le Nouveau Front populaire.
Rappelons tout d’abord que ce gouvernement a été nommé quelques semaines après un accord entre le Nouveau Front populaire, Renaissance et les centristes de LR (par opposition aux ciottistes), dont l’unique objectif était conjointement de conserver le pouvoir et de s’opposer à l’Union des Droites que portent l’UDR et le RN.
L’absence de membre du Nouveau Front populaire au gouvernement résulte par ailleurs probablement moins d’une volonté du président de la République que d’une attitude jusqu’au-boutiste de LFI, qui a refusé tout compromis et souhaitait l’application exhaustive de son programme : c’est à se demander si LFI ne veut tout simplement pas rester dans l’opposition, tant cela permet de s’agiter à moindre frais sans endosser la responsabilité de l’application des idées délétères qu’on porte.
Il est certain que le nouveau gouvernement ne peut qu’être préférable à un gouvernement sous l’égide de LFI, des écologistes, du NPA ou du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (sic !)…
Pour autant toute inflexion par rapport à la politique portée depuis 2017 ne sera très certainement qu’un rideau de fumée sur l’autel de la communication : Emmanuel Macron demeure celui qui tire toutes les ficelles et il n’y a pas de raison que cela change.
Pour réduire le déficit public, Michel Barnier a annoncé dimanche soir sur France 2 qu’il « n’exclut pas de taxer les plus fortunés », invoquant un « effort de solidarité auxquels les plus riches doivent prendre leur part ». Est-ce à vos yeux la bonne marche à suivre pour réduire le déficit public ?
La première action annoncée par le nouveau gouvernement, prétendument de droite, obéit à une lubie du NFP (« augmenter les impôts sur les riches et sur les profits »), le tout teinté de vocabulaire technocratique. On annonce ainsi des prélèvement « ciblés et exceptionnels » dont on sait ce qu’il advient dans l’immense majorité des cas : ils demeurent. Plutôt que de prendre à bras le corps le problème structurel de l’efficacité de la dépense et de couper dans ces dernières, il nous est proposé d’augmenter la pression fiscale du pays le plus taxé de l’OCDE !
Ne nous y trompons pas, la France d’Emmanuel Macron est un pays socialiste et étatisé : le premier réflexe d’ajustement budgétaire de notre classe politique dominante – qui est rémunérée par l’impôt et qui n’a bien souvent jamais travaillé dans un environnement privé et concurrentiel – demeure la ponction du contribuable, qui croule déjà sous les prélèvements obligatoires.
On poursuit donc avec une recette qui ne fonctionne pas, probablement par manque de courage et parce que la sanction en sera subie par nos enfants et petits-enfants : depuis maintenant 50 ans, la France vit comme si elle était encore dans les Trente Glorieuses et ne fait qu’aggraver une dette qui l’étrangle chaque jour un peu plus, à la manière d’un nœud coulant.
Les brillants technocrates et les politiciens qui ont défilé à la tête du pays n’ont pas été capables (ou suffisamment courageux pour) d’anticiper une réforme du modèle social – retraites comprises – qui leur pendait au nez et ce malgré des projections démographiques et économiques limpides. Ils n’ont pas non plus traité le sujet de la natalité ou de la sécurité de façon ferme, sans même évoquer celui de la souveraineté : on a systématiquement mis la poussière sous le tapis. Il est temps d’ajuster notre gestion des finances publiques et de sanctionner l’irresponsabilité politique.
Quelle sera la stratégie de l’UDR pour peser et se faire une place entre LR et le RN ?
On ne peut tenir des accords avec le macronisme et le NFP le lundi, se poser en « opposition ferme » en refusant toute coalition gouvernementale le mardi, pour finalement intégrer le gouvernement le mercredi. Cette politique politicienne, qui repose uniquement sur la courte mémoire des Français et sur de petites sorties médiatiques bien rythmées, est arrivée au bout de son efficacité.
Les Français ne sont plus dupes et je pense que les quelques membres de LR à la manœuvre ont irrémédiablement fondu ce parti dans la macronie, c’est-à-dire dans un système socialiste de communication et d’en même temps permanent, où l’action et la résolution des problème des Français passent après l’image et la conservation du pouvoir.
Trois blocs politiques ont donc sédimenté ces derniers mois : le NFP à gauche, Renaissance et LR au centre, l’UDR et RN à droite. Les LR dissidents, en s’associant à Renaissance plutôt qu’en rejoignant l’UDR, ont enfin assumé leur position centriste. Cela clarifie le paysage politique, et c’est heureux.
Dans ce contexte, il importe de conserver l’ADN de la droite telle qu’Eric Ciotti l’avait décrit lors de la primaire de 2022 : liberté, identité et autorité, soit une synthèse entre libéralisme et conservatisme propre à la droite. Surtout, et je pense que cela explique l’alliance entre l’UDR et le RN, nous devons nous conformer aux mots de Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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