Fondé il y a 20 ans dans la foulée de l’interdiction du voile dans les lieux scolaires, Averroès, premier lycée musulman sous contrat en France, est désormais sur la sellette, l’État envisageant de cesser de le financer, aboutissement d’une défiance croissante envers cet établissement devenu prisé.
Une « commission de concertation pour l’enseignement privé » se réunit lundi à la préfecture pour se pencher sur le contrat d’association, signé en 2008, en vertu duquel l’Éducation nationale rémunère les enseignants de ce lycée situé à Lille (nord) et la Région le personnel parascolaire.
Depuis 2019, les autorités locales refusent de verser la subvention prévue dans le cadre de ce contrat avec l’État, reprochant notamment à Averroès un don qatari de 950.000 euros en 2014. « Nous pensons que le contrat n’a pas été respecté », clame Xavier Taquet, directeur de cabinet du président de la Région Xavier Bertrand, qui réclame à l’Éducation nationale de vérifier si le Qatar a demandé des contreparties.
Ce même versement est aussi mis en exergue dans un récent rapport de la Cour régionale des comptes, qui reproche plus généralement au lycée un manque de transparence sur ses donateurs. Autres griefs de la Cour : des irrégularités de gouvernance, ainsi que la mention d’un livre prônant la peine de mort pour apostasie ou la ségrégation des sexes dans la bibliographie d’un cours d’éthique musulmane. La préfecture, contactée, n’a pas souhaité s’exprimer.
En filigrane est pointé du doigt le lien historique d’Averroès avec les Musulmans de France (ex-UOIF), organisation issue du mouvement égyptien des Frères musulmans. « Ces liens sont anciens mais n’interviennent jamais dans le fonctionnement de l’établissement, j’en suis le garant », jure le chef d’établissement Éric Dufour, ex-enseignant dans le privé catholique.
Les « valeurs de la République »
Embrigadement ? « Nous faisons tout le contraire », s’agace une enseignante d’éthique, Hela Khmosi. « On les appelle à réfléchir d’eux-mêmes, on leur donne des outils pour analyser, décider par eux-mêmes. » L’enseignante assure que les élèves n’ont jamais eu en main le livre incriminé, un choix bibliographique que M. Dufour reconnaît malheureux. « Rien » ne permet de penser « que les pratiques enseignantes ne respectent pas les valeurs de la République », avait jugé l’Éducation nationale dans un rapport de 2020.
Avec plus de 800 élèves dont 400 sous contrat, Averroès reste de loin le plus gros des six établissements musulmans sous contrat de France. Seul le lycée est reconnu, pas le collège. L’idée de créer un lycée musulman remonte à 1994, lorsque 19 jeunes filles sont exclues d’un lycée public lillois pour avoir refusé d’ôter leur voile pour aller en cours, malgré la circulaire Bayrou interdisant les « signes religieux ostentatoires ».
Objectif : créer une « élite musulmane »
Le lycée Averroès ouvre en septembre 2003 avec une quinzaine d’élèves dans des locaux de la mosquée du quartier populaire de Lille-Sud, avec le soutien de l’UOIF. L’objectif est de créer une « élite musulmane », selon Bernard Godard, ancien haut-fonctionnaire et spécialiste de l’islam. « Ils ont suivi le modèle des établissements privés catholiques français, qui visent l’excellence », et « séparent l’enseignement du religieux ».
Avec 98% de réussite au bac, l’établissement figure encore en 2023 tout en haut des classements annuels des hebdomadaires, basés sur les données de l’Éducation nationale. Depuis 2012, il possède ses propres locaux : dans la salle des profs cohabitent des enseignants de différentes confessions, certaines voilées, d’autres non.
Lors de pauses, les élèves peuvent se recueillir dans une salle de prière – mais pas question d’interrompre les cours pour s’y rendre. Dans la classe, presque autant de garçons que de filles, dont la moitié sont voilées. Le voile à l’école, « c’est un plus », reconnaît Djied Romayssa, élève de seconde, mais pas sa principale motivation. « Ici, il y a des profs qui vont m’encourager à la réussite. »
Aymen Boutahr est arrivé en Seconde, après avoir constaté la réussite scolaire de sa sœur, initialement scolarisée là pour « soutenir la cause des lycées musulmans ». Mais « maintenant c’est devenu un lycée de qualité », affirme-t-il. « On ne vient plus principalement pour cette cause-là. »
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