La foi chrétienne est-elle en voie de disparition en France ? En effet, comme en Espagne ou au Québec, la pratique religieuse s’y est brutalement effondrée au cours des cinquante dernières années. Cela peut surprendre dans ce pays qui était appelé la « fille aînée de l’Église », ce pays qui a donné tant de saints et de missionnaires. Même si près d’un enfant sur deux reçoit encore le baptême, les chrétiens pratiquants réguliers ne sont plus aujourd’hui qu’une petite minorité, évaluée à environ 2% de la population. Moins de 10% des enfants d’une classe d’âge reçoit une initiation au catéchisme. Les églises sont désertées. Le nombre de prêtres se réduit très rapidement, par suite de l’effondrement du nombre des ordinations. D’une moyenne de 1000 par an, dans les années cinquante, elles dépassent à peine la centaine aujourd’hui. Certes la France n’est pas la seule à connaître cette évolution, qui se manifeste dans tout l’occident. Mais notre pays semble bien être à la pointe de cet effondrement. Selon le sociologue Jérôme Fourquet, nous assisterions à la fin d’un processus de déchristianisation, et nous serions déjà entrés dans une nouvelle ère qu’on peut qualifier de « post-chrétienne ».
Et, en effet, il semble bien qu’on assiste depuis les années 70 à un véritable changement de civilisation en France, comme dans la majorité des pays occidentaux. Les idéaux libertaires, qui se manifestaient à Woodstock aussi bien qu’à Paris et à Berlin dans les années 70, sont devenus le modèle de nos sociétés occidentales. La « contre-culture » des années 70 est devenue la norme de nos sociétés. Ce qui était à la marge est devenu le centre. Cette révolution des mœurs qui, dans le Paris des années 68, prônait « l’amour libre », la libération de toutes les contraintes, le refus de toutes les limites, le renversement de tous les héritages, est maintenant traduite dans la loi : l’avortement n’est plus le moindre mal comme solution à des situations de détresse, mais il est revendiqué comme un droit à inscrire dans la constitution ; la distinction essentielle entre l’homme et la femme, cette merveille de l’unité dans la différence et la complémentarité, est juridiquement abolie et supprimée au nom de la liberté et de l’égalité ; même le mystère de la mort ne sera bientôt plus respecté. L’individu-consommateur s’est substitué à la personne membre d’une communauté organisée. Avec l’essor inouï de l’industrie du divertissement, le marché a étendu partout son emprise et sa domination au point que d’envahir nos consciences et de dévorer notre temps.
Nous assistons, un peu hébétés, au remplacement d’une civilisation par une autre. D’une civilisation fondée sur la foi chrétienne et le droit romain, par une civilisation nouvelle fondée sur l’individu-roi, sur l’argent et sur la confiance illimitée dans la technique, une civilisation sans transcendance d’où l’idée même de « vérité » a disparu.
Cet effondrement et cette subversion radicale des valeurs sur lesquelles était fondée la civilisation occidentale interroge l’historien aussi bien que l’homme de foi. Car, si la foi chrétienne est vraie, si elle est pour l’homme ce qu’elle prétend être, la révélation définitive du sens de sa présence sur cette terre, la Vérité ultime, celle à partir de laquelle s’éclaire tout le mystère de la vie et de la destinée de l’homme, alors il nous faut nous interroger sur les causes plus profondes de ce rejet radical de nos racines. Que s’est-il donc passé ?
Bien sûr, depuis le 19e siècle, l’industrialisation et l’exode rural ont conduit à la déstructuration de la plupart des structures sociales traditionnelles et du rôle qu’y tenait l’Église. Mais il existe sans doute aussi d’autres causes plus profondes : le fait, d’une part, que, dans notre pays, comme partout, l’Église et les chrétiens étaient loin d’être toujours des témoins fidèles de la vie selon l’évangile, et d’autre part l’existence très spécifique à la France depuis la Renaissance, d’une violente contestation de l’Église et de la foi au nom de la philosophie et de la Raison.
Des racines chrétiennes
Les racines de la France sont évidemment chrétiennes. Notre pays a été fondée sur une alliance très particulière et très profonde entre l’Église et la royauté. Ceci est vrai depuis le baptême de Clovis, en passant par Charlemagne, Saint Louis et jusqu’à Louis XIII qui consacra la France à la Vierge Marie. Dès la chute de l’empire romain, pendant les temps troublés des « grandes invasions », les évêques ont été l’un des principaux pôles autour desquels la société française s’est organisée et a résisté au désordre et au malheur du temps. Puis à partir du 10e siècle, les monastères ont contribué de façon décisive à la mise en valeur du territoire et à la transmission de la culture. L’Église était le centre de chaque village et la foi populaire structurait toute la vie.
Mais avec le temps l’Église est devenue en France riche et puissante. L’Église soutenait les rois et les rois soutenaient l’Église. Pour la plupart, les évêques étaient des aristocrates, vivant souvent comme des princes, ayant une cour et parfois des maîtresses, à l’image des grands seigneurs de leur temps et des rois eux-mêmes. Tout ceci n’était pas l’esprit de l’évangile ! Puis vint la Révolution française, qui, loin de ses idéaux de « liberté, d’égalité et de fraternité », a conduit à l’essor de la bourgeoisie et à une société « libérale » fondée sur le règne de l’argent et à une exploitation des pauvres sans doute plus importante que la précédente.
Ainsi en réalité, la société française n’a sans doute jamais été vraiment et profondément chrétienne. Faite d’hommes ordinaires, elle était loin d’être partout fidèle à l’évangile, même si la plupart se disaient chrétiens. Face à cette hypocrisie, à toutes ces fautes, à ces trahisons et ces contre-témoignages, on comprend que bien des hommes de bonne volonté, nourris des valeurs chrétiennes, aient pris leur distance et se soient éloignés de l’Église au nom des valeurs mêmes qu’elle leur avait transmises.
Mais l’infidélité des chrétiens à l’évangile n’est pas la seule raison du rejet de la foi. En France, le développement de la science et du rationalisme depuis le 16e siècle a donné lieu à ce qu’il faut bien appeler un combat à mort de la Raison contre la foi chrétienne. Descartes, le premier, affirme l’autonomie de la raison. Bien plus, il affirme que la raison est la seule véritable source de connaissance certaine, et donc de la connaissance de la « vérité ». Dès lors, tôt ou tard, un conflit avec la Bible était inévitable. Car elle aussi parle de la vérité.
Fruits de la science toute nouvelle, la découverte de l’héliocentrisme par Galilée et plus tard celle des lois de l’évolution par Darwin ébranlèrent les certitudes de beaucoup, car elles ne semblaient pas conformes à ce que disait la Bible.
Mais la contestation la plus violente est venue du côté de la philosophie. Elle prit vraiment naissance avec le mouvement des Lumières. Pour Voltaire, par exemple, lui qui voulait au nom de la Raison et du bon sens « écraser l’infâme », c’est-à-dire l’Église, la Bible n’était qu’un ramassis de bêtises et d’histoires incroyables fruits de l’obscurantisme et de la superstition. Avec Diderot, d’Holbach et leurs amis de l’Encyclopédie, on refusait la cohérence nécessaire entre la raison et la foi élaborée au cours des siècles, de saint Augustin à saint Thomas d’Aquin.
Nous ne sommes pas sortis de ces deux grandes querelles. Elles sont toujours d’une brûlante actualité. De Nietzsche à Sartre, Foucault et Derrida, de Freud à Jacques Monod, de la théorie du genre au mouvement woke aujourd’hui, elles continuent l’histoire de la raison de l’homme qui refuse sa relation filiale avec Dieu ; l’histoire de l’autonomie de l’homme livré à sa seule raison et qui devient fou. C’est en quelque sorte l’histoire des fruits diaboliques de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » et de la volonté d’autonomie radicale de l’homme par rapport à Dieu. « Vous serez comme des dieux », disait le serpent du jardin d’Eden.
Ainsi, cette contre-culture triomphante en Occident a trouvé chez nos intellectuels ses fondements pseudo-rationnels. Ils ont procédé à la « déconstruction » systématique de l’édifice sur lequel reposait la vision chrétienne et humaniste de l’homme. C’est cette vision nouvelle de l’homme « déconstruit » qui s’impose partout dans l’espace public, et qui explique sans doute l’effondrement de la pratique et la disparition apparente de la foi aujourd’hui. L’Église, et avec elle sa conception de l’homme et du monde, est refoulée à la marge de la société. Elle est vue comme porteuse d’une idéologie définitivement dépassée. Les révélations récentes sur la pédophilie de certains de ses membres ont définitivement achevé de la discréditer. En quelque sorte, « la messe est dite ! »
Une véritable renaissance de la foi chrétienne
Mais, en réalité, ceci n’est que la surface et l’apparence des choses. Car la réalité, c’est que nous assistons en fait en France à une véritable renaissance de la foi chrétienne ! Nous sommes passés, en cinquante ans d’une pratique largement partagée mais souvent superficielle et « sociologique » à une foi beaucoup plus personnelle et engagée.
D’innombrables signes attestent de ce renouveau. Il est discret. Le monde, les media et les politiques l’ignorent, mais il n’en est pas moins bien réel. Les grands rassemblements œcuméniques de Taizé puis les Journées Mondiales de la Jeunesse ont lancé ce mouvement dans les années 70. Il s’est accompagné, dans le souffle du « renouveau charismatique », de la création en France de très nombreuses communautés nouvelles. Celles-ci ont donné lieu à une floraison de petits groupes de prières, où des laïcs se retrouvent régulièrement pour prier et lire ensemble l’évangile. Certains de ces groupes deviennent de véritables « fraternités de disciples missionnaires », à l’image de la première Église. La demande de formation des laïcs à l’exégèse biblique et à la théologie a explosé. L’école libre catholique est plébiscitée. La presse chrétienne, de La Croix au Figaro et à Témoignage chrétien, est bien vivante. Les vocations sont certes moins nombreuses, mais elles continuent d’attirer régulièrement des jeunes désireux de répondre par toute leur vie un appel à se donner à Dieu. Et, de leur côté, les chemins de Saint Jacques n’ont jamais eu autant de succès… L’Église de France redevient missionnaire. En atteste en particulier le succès régulier des « Congrès Mission » tenus chaque année, à Paris ou en province.
Mais la foi n’est rien sans la charité, et ce sont bien les valeurs chrétiennes de solidarité et de fraternité qui animent, au travers d’ONG plus ou moins explicitement chrétiennes, les innombrables initiatives en faveur des pauvres, et de toutes les formes d’exclusion. Oui, à nouveau pauvre et petite, l’Église en France est bien vivante aujourd’hui, et peut-être plus fidèle à l’évangile qu’au temps de ses gloires passées. Mais cela, le monde ne le voit pas.
Ainsi, comme on l’a montré, on assiste en France, comme dans un grand nombre de pays occidentaux, à ce qu’on peut légitimement appeler un changement de civilisation. Nous sommes entrés dans un monde non plus seulement dominé par l’argent, mais par les réseaux sociaux et l’industrie du divertissement, un monde où, au nom d’une certaine conception des droits de l’homme et de la liberté, ce qui était mal est appelé bien, à l’opposé des valeurs de l’humanisme et de l’héritage chrétien. Face à ce travail de « déconstruction » systématique où la France en est pointe, certains affirment que « la matrice chrétienne » de la France va disparaître à brève échéance.
Mais ce n’est pas la vérité. Car derrière cette apparence, un « petit reste » demeure bien vivant. En lui la Parole a pris racine profondément. Comme en exil dans sa propre patrie, à l’image du petit peuple hébreux en déportation à Babylone, il est fidèle. Il reste dans la confiance. Il fait ce qu’il a à faire, ce que l’Esprit lui inspire, jour après jour, sûr que, par des chemins que seul l’Esprit connaît, l’Amour finira pas l’emporter.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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