Une victoire retentissante pour la droite, une défaite humiliante pour la gauche. Rien de moins qu’« un nouveau cycle politique », a fièrement proclamé Alberto Núñez Feijóo, chef du Parti populaire, principal parti d’opposition de droite, à l’issue du double scrutin, municipal et régional, qui s’est déroulé en Espagne dimanche dernier. Ce 28 mai, les Espagnols ont infligé un échec électoral cuisant aux socialistes et leurs alliés d’extrême gauche : le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a ainsi perdu six des dix régions qu’il dirigeait jusque-là, au profit de son rival conservateur, le Parti populaire (PP). De quoi pousser le Premier ministre Pedro Sánchez à avancer la date des élections législatives, initialement prévues dans six mois, au 23 juillet prochain. Un pari à quitte ou double.
Cette déroute sans appel de la gauche tend à confirmer le phénomène de droitisation actuellement à l’œuvre en Europe. Si les sondages prédisaient unanimement une victoire de la droite, le sévère revers subi par les socialistes dans cette élection a pris les sondeurs de court. Lors de ces municipales, la gauche a recueilli moins de 6,3 millions des voix (28,1%), contre 7 millions pour les conservateurs (31,5%) : une progression de deux millions de voix qui se traduit pour le PSOE, selon le quotidien El Pais et la télévision publique TVE, par la perte de six des dix régions précédemment sous son contrôle (directement ou au sein d’une coalition).
Pour autant, le PP ne ressort pas seul grand vainqueur de cette séquence électorale : le parti de droite Vox, fondé en 2013, a remporté le plus grand succès démocratique de sa jeune histoire, cumulant plus de 1,5 million de voix aux municipales (7,19%) et doublant ainsi son score en l’espace de seulement quatre ans. La formation nationaliste assoit ainsi davantage sa place de troisième force politique du pays.
« Le résultat n’est pas celui que nous espérions », a sommairement réagi la porte-parole du Parti socialiste, Pilar Alegría, la mine déconfite. Une panique moins dissimulée par le chef du gouvernement sortant de la Cantabrie (nord de l’Espagne), Miguel Ángel Revilla : le patron du Parti régionaliste, allié aux socialistes, n’hésite pas à évoquer une « marée de droite », faisant référence à la fois au PP et à Vox. Même son de cloche du côté de Javier Lambán, chef du gouvernement socialiste de l’Aragón, qui voit dans les scores électoraux de l’opposition un « tsunami » ayant emporté « la muraille » érigée par les socialistes.
Les raisons de la débâcle
Le PP avait fait de ces élections locales et régionales un référendum national sur la politique de Pedro Sánchez, au pouvoir depuis cinq ans. Dans un entretien accordé au Figaro, Pablo Simon, professeur de sciences politiques à l’université Carlos III de Madrid, estime que ces élections constituent « l’illustration d’une punition du peuple faite à Pedro Sánchez et au PSOE », les Espagnols préférant davantage la gestion politique des gouvernements régionaux à celle du gouvernement central. Ce « tsunami » de la droite, le politologue espagnol l’explique donc par la « politique désastreuse du gouvernement, plutôt que par un discours exaltant d’Alberto Núñez Feijóo » : « On voit surtout une punition de l’exécutif en raison des alliances que noue Pedro Sanchez avec d’autres députés du Congrès : avec Podemos (parti de gauche radicale), Bildu (coalition indépendantiste basque) ou encore les indépendantistes catalans ».
Une analyse qui fait écho à celle livrée dans le Point par Maria Elisa Alonso, enseignante-chercheuse à l’Université de Lorraine. « Les électeurs ont voulu voter contre la coalition du PSOE avec Podemos, et notamment contre les lois controversées que Podemos a fait adopter », juge-t-elle. Ici, l’universitaire fait référence à la « loi d’égalité réelle et effective des personnes trans », qui autorise le changement de sexe sur les papiers d’identité par simple déclaration administrative dès 16 ans (voire 14 ans avec l’accord parental), et à la loi Solo sí es sí (seul un oui est un oui), qui a conduit à la diminution de certaines peines de prison requises contre les agresseurs sexuels. Sa conclusion est sans appel : « Il s’agit vraiment d’un vote à l’encontre du gouvernement, voire contre Pedro Sánchez lui-même. »
La date des législatives avancées
Cette décision fait l’effet d’une bombe politique. Au lendemain du camouflet reçu par son parti, le Premier ministre socialiste a suscité la surprise en annonçant convoquer des élections législatives anticipées, initialement censées se tenir à la fin de l’année à une date qui n’avait pas encore été fixée. Lors d’une allocution télévisée depuis le palais de la Moncloa, siège du gouvernement espagnol, ce dernier a déclaré avoir communiqué au roi Felipe VI, le chef de l’État, sa « décision de (…) dissoudre le Parlement et de procéder à la convocation d’élections générales » qui se tiendront « le dimanche 23 juillet ». La mine grave, Pedro Sánchez indique avoir pris sa décision « à la vue des résultats des élections » : « Comme président du gouvernement et comme secrétaire du Parti socialiste, j’assume les résultats (de dimanche) et je pense qu’il est nécessaire de donner une réponse et de soumettre notre mandat démocratique à la volonté populaire ». Ce nouveau scrutin aura donc lieu pendant le semestre de présidence espagnole du Conseil européen, qui commencera le 1er juillet.
Selon Mathieu Gallard, directeur d’études à Ipsos France, l’objectif derrière cette annonce inattendue pourrait être de contraindre la gauche à construire une liste commune derrière la ministre du Travail Yolanda Díaz : « C’est surtout la contre-performance de la gauche radicale qui explique le bilan sévère de ces élections pour la gauche : divisée en plusieurs chapelles incapables de s’allier que ce soit au niveau national ou au niveau local, elle est un boulet pour Pedro Sánchez qui a sans doute annoncé des élections anticipées pour tenter de forcer les dirigeants et les partis de gauche radicale à bâtir une liste commune au plus vite derrière la ministre du Travail Yolanda Díaz », confie-t-il au Figaro. Et d’ajouter : lors des législatives de juillet, « la question ne sera plus uniquement de savoir si les Espagnols approuvent ou rejettent l’action du gouvernement, mais aussi de savoir s’ils pensent que ses opposants pourraient mieux faire. Pour Pedro Sánchez, cela pourrait être un atout car il reste nettement plus populaire que le dirigeant du PP Alberto Núñez Feijóo qui n’a pas réussi à construire une image forte dans l’opinion ».
Pour Maria Elisa Alonso, c’est « quitte ou double » : « Avec le recul, je comprends sa démarche : il lui serait très compliqué de gouverner encore six mois avec tous les gouvernements régionaux dans l’opposition, il serait attaqué en tous sens, son leadership s’épuiserait. Il mise donc sur le fait que les majorités obtenues par le PP aux élections municipales et régionales sont des majorités simples : la droite a besoin de faire une coalition avec l’extrême droite de Vox pour gouverner. »
Vers une alliance des droites ?
Rien n’est moins sûr. Pour gouverner dans certaines régions, le Parti populaire aura bel et bien besoin du soutien de Vox. Les deux partis gouvernent déjà ensemble dans l’une d’entre elle. En revanche, la stratégie du grand parti de la droite espagnole diffère de celle de son concurrent : alors qu’il cherche à projeter une image modérée et alors qu’il désire rendre improbable une telle alliance, de son côté, « Vox va tenter de pousser son avantage sur des sujets clivants afin de mobiliser son électorat », analyse Mathieu Gallard, qui rappelle que « le nationalisme espagnol particulièrement marqué de Vox en fait un partenaire de coalition presque inenvisageable pour l’ensemble des petits partis régionalistes aux autonomistes, même pour ceux qui penchent traditionnellement à droite comme le Parti nationaliste basque (EAJ-PNV) ou la Coalition canarienne (CC) ».
Quoi qu’il en soit, le résultat de ce double scrutin électoral n’a pas manqué de produire enthousiasme et espoir au sein des différents partis politiques de la droite française. « Félicitations à Alberto Núñez Feijóo et nos alliés du Parti populaire espagnol arrivés en tête ce dimanche lors des élections locales. Un résultat exceptionnel et de bon augure pour les élections législatives qui se tiendront bientôt en Espagne ! », s’est exclamé sur Twitter Eric Ciotti, patron des Républicains. De son côté, la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a adressé ses félicitations à Vox, saluant sa « percée spectaculaire » et jugeant que « ce résultat traduit pour l’Espagne, tout comme pour l’Europe, l’implantation et la consolidation du courant patriote. » Même engouement chez Eric Zemmour, patron de Reconquête, qui a applaudi le score réalisé par le parti de Santiago Abasca, « un succès fondé sur la défense de l’identité du peuple espagnol ». L’occasion pour le chantre de l’union des droites de prédire : « En Espagne, Vox se renforce et s’impose comme une force politique de droite incontournable avec le Parti populaire et jouera un rôle majeur aux prochaines élections législatives ».
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