SCIENCES

Comment expliquer les échouages massifs de cétacés ?

mars 27, 2017 14:16, Last Updated: mars 27, 2017 7:19
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Environ 600 globicéphales se sont échoués en février dernier sur une plage de Nouvelle-Zélande et 400 d’entre eux ont péri. Ce genre d’échouage massif est observé depuis longtemps et se produit dans le monde de façon régulière.

Fin 2015, 337 rorquals boréaux avaient ainsi trouvé la mort dans un fjord du Chili après l’échouage le plus massif connu pour cette espèce. De tels événements peuvent également se produire en Europe du Nord. En février 2017, 29 cachalots ont été retrouvés échoués sur les côtes allemandes, néerlandaises, britanniques et françaises, un autre record en mer du Nord pour cette espèce. Et ces dernières semaines, on déplore sur la façade atlantique de l’Hexagone un nombre alarmant de dauphins échoués.

Surtout des causes naturelles

Comment expliquer que de telles créatures, évoluant dans un environnement 100 % aquatique, s’aventurent dans des zones côtières si inhospitalières et où, inévitablement, beaucoup d’entre elles risquent de mourir ?

Ces échouages massifs concernent presque exclusivement des espèces océaniques. Parmi elles, les globicéphales noirs et tropicaux sont les plus touchés. Les autres espèces comprennent les fausses orques, les dauphins d’Électre, les baleines de Cuvier et les cachalots. Toutes ces espèces évoluent normalement dans des eaux à plus de 1 000 mètres de profondeur, sont très sociables, vivant au sein de groupes qui peuvent atteindre plusieurs centaines d’individus.

S’il peut être tentant d’imputer ces échouages massifs aux activités humaines, on s’aperçoit que ces accidents concernent surtout des espèces de baleines évoluant dans les profondeurs et surviennent souvent aux mêmes endroits ; il est ainsi possible dans bien des cas d’expliquer ces échouages par des causes naturelles. Ces accidents ont le plus souvent lieu dans des zones peu profondes dont les fonds de sable sont légèrement pentus. Avec de telles caractéristiques, il n’est pas étonnant que ces animaux habitués à évoluer en eaux profondes rencontrent des difficultés, et qu’elles échouent souvent à nouveau après avoir été remises à l’eau.

L’écholocalisation qui aide ces espèces à naviguer est d’autre part assez inefficace dans un tel environnement. Il est ainsi tout à fait plausible que la plus grande part de ces échouages soient imputables à des erreurs de navigation ; c’est notamment le cas lorsque les cétacés se retrouvent en territoires dangereux pour avoir poursuivi une proie. Cela pourrait notamment expliquer l’échouage des cachalots mentionnés plus haut en mer du Nord, dans l’estomac desquels on a retrouvé des encornets.

La fréquence des échouages pour les cachalots en mer du Nord est ainsi plus importante au sud du Dogger Bank, une zone peu profonde et ensablée. Ces mêmes caractéristiques se retrouvent aux Farewell Spit et Golden Bay, dans la partie sud de la Nouvelle-Zélande, où de récents échouages de globicéphales ont eu lieu ; de tels accidents s’étaient déjà produits à plusieurs reprises ces dernières années.

Ces deux zones ont été le théâtre de multiples échouages pour ces espèces dans le passé. Dans la partie sud de la mer du Nord, les premières observations de tels phénomènes remontent à 1577.

L’erreur de navigation et la mauvaise évaluation de la profondeur de l’eau ne sont cependant pas les seules causes de ces échouages. Certains individus malades ou affaiblis auront en effet tendance à rechercher des eaux moins profondes, leur permettant de remonter plus aisément à la surface pour respirer. Une fois leur masse ayant reposé sur une surface dure, il y a de fortes chances pour que les parois de leur cage thoracique se trouvent compressées et leurs organes internes abîmées.

Des activités humaines pas en reste

On compte depuis février près de 800 dauphins échoués sur la côte atlantique française. Un record inquiétant qui s’explique principalement par des captures accidentelles dans des engins de pêche. Dans plus de 90 % des cas, les animaux, ramenés vers les côtes par les vents forts qui ont soufflé en février et mars, se sont échoués à l’état de carcasses, leur mort étant survenue avant l’échouage.

Autres actions humaines en cause, celles qui impliquent le recours à des sonars, comme c’est souvent le cas pour les activités militaires. Cette relation de cause à effet a été mise en avant pour la première fois en 1996 lors d’un exercice militaire conduit par l’OTAN au large des côtes grecques, et qui vit l’échouage de 12 baleines de Cuvier mâles. Malheureusement, aucune analyse vétérinaire n’a pu être conduite.

Mais en mai 2000, un autre échouage massif se produisit aux Bahamas en marge d’activités navales utilisant des sonars. Certaines baleines furent examinées et l’on découvrit des hémorragies, tout particulièrement à proximité de leur oreille interne, indiquant un traumatisme acoustique.

Après un accident similaire aux îles Canaries en septembre 2002, les services vétérinaires identifièrent des symptômes identiques liés à des accidents de décompression. Ce qui indique que les animaux ne meurent pas forcément des suites de l’échouage, mais peuvent arriver sur le rivage déjà mortellement atteints. De nombreux chercheurs pensent aujourd’hui que les sonars navals perturbent la capacité des baleines à gérer les gaz à l’intérieur de leur organisme, affectant ainsi leur capacité à plonger et remonter à la surface en toute sécurité.

Le bruit marin est devenu un problème majeur, les activités humaines (des technologies aux explosions) ayant introduit toute une gamme de sons d’intensité et de fréquence variées. Les tremblements de terre sous-marins sont une autre source de bruit marin intense, pouvant conduire à des blessures et des échouages, bien que les données manquent encore pour l’affirmer.

Le rôle des liens sociaux

Pour les échouages auxquels on a assisté en Nouvelle-Zélande, où un nombre impressionnant d’individus se sont échoués, on peut également se demander jusqu’à quel point ces animaux peuvent s’entraîner les uns les autres dans des eaux dangereuses.

Il y a quelques années de cela, je suis venu en aide à deux dauphins communs à bec court échoués vivants sur le rivage de l’estuaire Teifi dans l’ouest du Pays de Galles. Un d’eux périt assez rapidement et une analyse post-mortem révéla qu’il souffrait d’une affection pulmonaire parasitaire sévère. L’autre individu resta près de lui, totalement désespéré et sifflant régulièrement.

Nous sommes parvenus à le remettre à la mer et il s’en alla, mais cet épisode me montra à quel point les liens sociaux sont forts parmi ces animaux. Et lorsque nous assistons à ce qui peut paraître comme des suicides collectifs de baleines ou de dauphins, il se peut bien que cela résulte d’un échange entre eux, soulignant leur caractère profondément sociable.

De récentes recherches indiquent d’ailleurs que les individus impliqués dans ces échouages massifs n’ont pas forcément de liens de parenté, soulignant la force des liens sociaux parmi les cétacés.

Peter Evans, Honorary Senior Lecturer, Bangor University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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