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Frédéric Encel : « Sans même avoir besoin d’employer l’arme atomique, Tsahal pourrait endommager gravement plusieurs zones portuaires iraniennes »

octobre 2, 2024 17:37, Last Updated: octobre 3, 2024 1:08
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ENTRETIEN – Frédéric Encel est docteur HDR en géopolitique spécialiste du Moyen-Orient et enseignant à Sciences Po et à la Paris School of Business. Il a publié de nombreux ouvrages sur les enjeux internationaux dont Les voies de la puissance : penser la géopolitique au XXIe siècle (Odile Jacob) en 2023. Il analyse pour Epoch Times les incursions terrestres de l’armée israélienne dans le sud du Liban.

Epoch Times : Tsahal a annoncé dans la nuit de lundi à mardi avoir « commencé des raids terrestres limités, localisés et ciblés » dans le sud du Liban contre le Hezbollah. Des opérations qui interviennent quelques jours après la mort du leader de l’organisation terroriste chiite Hassan Nasrallah. Derrière ces incursions terrestres, quel est l’objectif principal d’Israël ? Porter un autre coup à l’Iran ?

Frédéric Encel : Non, je ne crois pas. L’objectif est au fond très prosaïque, voire géographique. Il s’agit de repousser le Hezbollah au nord du Litani, un petit fleuve se trouvant à proximité d’Israël au nord duquel le Hezbollah devait demeurer selon la résolution onusienne 1701 de 2006. Et en repoussant l’organisation terroriste chiite, l’État-major israélien souhaite absolument éviter un nouveau 7 octobre.

Même si le leader du Hezbollah et les chefs militaires ont été éliminés, l’État hébreu n’est pas à l’abri d’une nouvelle attaque tant que des combattants se trouvent à proximité immédiate de la frontière.

J’ai donc le sentiment que du côté d’Israël, on concentre la plupart des efforts sur le Liban tout en considérant que l’Iran devra subir une lourde riposte après son bombardement par environ 200 missiles, le 1er octobre.

Justement, Téhéran a lancé des missiles balistiques contre Israël. Doit-on craindre un affrontement direct entre l’Iran et Israël ?

L’Iran est capable de propulser des missiles à système de guidage sur Tel-Aviv, on le savait. Le problème, c’est la riposte.

Dans une escalade, il y a par définition des crans ; or les ultimes n’appartiennent pas à Téhéran. La riposte israélienne sera ainsi sans doute désastreuse. Sans même avoir besoin d’employer l’arme atomique, Tsahal pourrait endommager gravement plusieurs zones portuaires iraniennes situées sur le Golfe, des raffineries, des installations nucléaires.

Et compte tenu de l’asphyxie économique et technologique dont pâtit l’Iran à cause des sanctions internationales sur le dossier nucléaire depuis janvier 2007, la fin des exportations d’huiles lourdes vers la Chine via ses ports serait terrible à l’économie du régime. Tout cela en coopération avec les États-Unis, autrement dit avec une vraisemblable efficacité maximale…

Vous avez déclaré dans l’émission C politique il y a quelques jours que le Hezbollah « est perçu comme totalitaire et assassin pour au moins trois quarts des Libanais ». Peut-on alors imaginer qu’une partie de la population libanaise accueille favorablement les opérations terrestres israéliennes ?

Absolument pas. Nous ne sommes pas dans le schéma de 1978 et de 1982 où une partie de la population du Sud-Liban était exaspérée par l’arrogance et le caractère meurtrier d’un certain nombre de combattants palestiniens du Fatah land et ont accueilli une force, qu’elle fût israélienne ou pas, qui les a libérés.

Mais aujourd’hui, le Sud est essentiellement chiite. Il n’y a plus beaucoup de chrétiens. Et je ne suis pas persuadé que les Libanais d’autres confessions apprécient le fait d’être en guerre.

Ils font évidemment porter la responsabilité de la guerre et des destructions au Hezbollah, comme en 2006, mais pas au point d’accueillir Israël à bras ouverts. Pour des raisons différentes, beaucoup de Libanais détestent autant le Hezbollah qu’Israël.

La France a réaffirmé sa « ferme opposition à toute incursion terrestre d’Israël au Liban ». Comment analysez-vous la position de la France ?

Elle est à la fois logique et tragiquement impuissante. Logique parce qu’on inverse le postulat en considérant que la France, amie et protectrice traditionnelle du Liban, n’intervienne pas lorsque la guerre fait rage. Impuissante car nous exprimant avec force en faveur d’un allié… sans avoir les moyens de l’aider concrètement et fortement. Là, on perd en crédibilité.

D’ailleurs, défendre le Liban aujourd’hui revient à vouloir protéger un État extrêmement faible, vampirisé par le Hezbollah. Et je rappelle que le Hezbollah est responsable de la mort de 58 soldats français. On est donc en pleine injonction contradictoire !

Je crains que la posture française soit condamnée à être perdante-perdante.

Vagues d’explosions de bipers et de talkie walkies, mort de Nasrallah… Peut-on parler d’un retour en grâce de Benjamin Netanyahu presque un an après le 7 octobre ?

Je parlerais davantage de victoire politique éphémère tant le 7 octobre ne lui sera pas pardonné par la population. À chaque fois que des coups très durs ont été subis par Israël – je pense notamment à la guerre du Kippour de 1973, l’enlisement au Liban en 1982 ou encore l’échec de la guerre contre le Hezbollah en 2006 à l’époque d’Ehud Olmert – une commission a été mise sur pied, et des Premiers ministres ou des gouvernements plus prestigieux que Netanyahu ont chuté.

Par conséquent, je pense que les Israéliens soutiennent les opérations contre le Hezbollah, qu’ils perçoivent, à juste titre, comme un ennemi déloyal, parce qu’il a attaqué Israël à partir du 8 octobre 2023, alors qu’il venait de subir un pogrom. Ils sont aussi furieux contre l’organisation pro-Téhéran parce que 70.000 d’entre eux ne peuvent pas vivre chez eux. Une première depuis 1948.

Mais la population israélienne rend davantage grâce aux militaires et au Mossad qu’aux politiques et notamment au Premier ministre. Seul le retour de tous les otages du Hamas aurait pu offrir à Netanyahu une victoire politique totale.

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