ENTRETIENS EPOCH TIMES

Gérald Olivier : « Donald Trump ne s’aligne pas sur la Russie, mais lui donne des gages pour qu’elle revienne à la table des négociations »

mars 6, 2025 13:06, Last Updated: mars 6, 2025 18:00
By

ENTRETIEN – Quelques jours après l’échange musclé dans le Bureau ovale entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump qui s’est soldé par le départ prématuré du président ukrainien de Washington D.C., le journaliste Gérald Olivier répond aux questions d’Epoch Times.

Epoch Times : La semaine dernière, la rencontre entre le président américain et son homologue ukrainien à la Maison-Blanche a été marquée par une vive altercation entre les deux hommes. Donald Trump a notamment reproché à Volodymyr Zelensky de « jouer avec la Troisième guerre mondiale », ajoutant qu’il « n’avait pas les cartes en main ». Une scène qui a provoqué de multiples réactions internationales. Comment avez-vous réagi en visionnant cette séquence ?

Gérald Olivier : Je pense que ce n’était pas prévu par le président américain et son administration. Volodymyr Zelensky venait à Washington pour signer un accord commercial sur l’exploitation de gisements de minerais et de terres rares en Ukraine, une fois la paix obtenue.

Cet accord était préalable à toute négociation : il permettait d’une part aux États-Unis de se rembourser de l’aide octroyée à Kiev depuis le début du conflit, et d’autre part, de créer un lien commercial durable entre l’Amérique et l’Ukraine après la guerre, puis d’apporter des garanties de sécurité à Kiev par la présence de sociétés américaines sur place.

Les gisements de terres rares ne s’exploitent pas du jour au lendemain. Cela demande beaucoup de temps et d’investissements. Ces investissements seraient américains.

Ce « deal » avait été soigneusement préparé par l’administration Trump à travers une série de rencontres à Kiev, Munich, etc. entre les deux parties. Le président ukrainien s’était montré plus récalcitrant que les Américains ne le pensaient mais il avait fini par signifier son souhait de le signer. C’était la raison de sa visite à la Maison-Blanche la semaine dernière.

Mais au lieu de remercier l’Amérique pour son soutien à l’effort de guerre ukrainien, il a continué de plaider sa cause, affirmant qu’on ne peut jamais faire confiance à Vladimir Poutine, dénigrant l’idée que « la diplomatie » peut fonctionner et insistant pour des « garanties de sécurités », prématurées aujourd’hui. Bref, il a montré qu’en réalité il n’était toujours pas prêt à signer l’accord, encore moins à faire la paix.

Dès lors, aussi bien Donald Trump que J.D. Vance ont compris que la discussion ne menait nulle part et la réunion a dégénéré. Les sentiments profonds des uns et des autres sont montés à la surface.

Zelensky n’a pas compris que l’administration américaine a changé. Que Trump n’est pas Biden. Il pensait avoir le soutien indéfectible des États-Unis comme à l’époque de l’administration démocrate, sans comprendre que depuis le 20 janvier, l’Amérique a changé de président !

L’ex-président Joe Biden était prêt à aider Kiev aussi longtemps qu’il le faudrait alors que Donald Trump a fait campagne en promettant de mettre un terme à la guerre rapidement.

L’actuel locataire de la Maison-Blanche ne se considère absolument pas comme le partenaire privilégié de son homologue ukrainien, mais comme un médiateur entre lui et Moscou. Il estime que Volodymyr Zelensky n’a pas d’exigences à avoir puisqu’il n’est pas en position de force, étant totalement dépendant de l’aide américaine.

Ainsi, Donald Trump se montre ouvert à la discussion avec le Kremlin. Et quoi qu’il en soit, une négociation se fait nécessairement à deux !

Donald Trump n’est donc pas en train de s’aligner sur les intérêts du Kremlin comme cela a pu être affirmé ?

Absolument pas ! Il est simplement prêt à faire des ouvertures à la Russie. Le président américain sait qu’il est difficile de faire venir Vladimir Poutine à la table des négociations, parce que ce dernier n’a pas intérêt à négocier cette guerre, il est en train de la gagner.

Le leader russe démontre chaque jour sa supériorité militaire. D’ailleurs, aujourd’hui, des soldats nord-coréens viennent mourir en Ukraine à la place des soldats russes en échange de quelques technologies nucléaires que Moscou va fournir à Pyongyang.

Je note également qu’il a conquis un certain nombre de territoires. Il est désormais presque en mesure d’assurer un couloir continental jusqu’à la Crimée, ce qui était l’un de ses objectifs de guerre. Par ailleurs, la Russie a réussi à contourner les sanctions occidentales et affiche une croissance de 5 %. Pourquoi voudriez-vous donc qu’elle arrête la guerre ?

Celui qui a réellement un intérêt à ce que le conflit s’arrête aujourd’hui, c’est Volodymyr Zelensky.

Mais en s’intéressant à ce dossier, Donald Trump a voulu faire comprendre au Kremlin qu’il avait intérêt à venir négocier parce que certains de ses objectifs seraient obtenus par la paix, notamment la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

Il ne s’aligne donc pas sur la Russie, mais lui donne des gages pour qu’elle vienne à la table des négociations. Il a conscience que l’Ukraine est en position de faiblesse mais qu’elle pourra se redresser avec l’argent des États-Unis.

Puis pour Donald Trump, la paix en Ukraine n’est pas l’objectif final : il cherche avant tout à briser l’alliance entre Pékin et Moscou afin d’affaiblir la Chine sur la scène internationale.

Lundi, le président américain a mis en « pause » l’aide des États-Unis à l’Ukraine…

C’est une manière pour lui de faire comprendre au chef d’État ukrainien qu’il ne peut pas bénéficier de l’argent américain éternellement et qu’il est temps de négocier la paix.

Mettre en pause l’aide est un moyen de pression considérable : sans celle-ci, les Ukrainiens se retrouvent sans munitions au bout de six mois. Et ce ne sont pas les Européens qui vont remplacer cette aide. Zelensky l’a très bien compris. C’est la raison pour laquelle il a immédiatement écrit au président Trump pour lui signifier qu’il regrettait l’incident du bureau ovale, qu’il était bien disposé à faire la paix sous la conduite des États-Unis. C’est un renversement total de sa position.

Trump a lu cette lettre lors de son discours devant le Congrès. Elle remet la perspective d’une négociation de paix en place alors que celle-ci avait été compromise par le « clash » du 28 février.

Au passage, les sommes comptent. Donald Trump a longtemps critiqué le fait que 200 milliards de dollars avaient été donnés à Kiev et qu’ils auraient pu être investis autrement. Il a même indiqué qu’avec cette somme, les États-Unis seraient en mesure de rattraper leur retard sur la Chine en termes de force navale.

À la suite de la rencontre entre les deux chefs d’État, les dirigeants européens s’étaient réunis dimanche dernier à Londres dans le cadre d’un sommet sur la guerre en Ukraine et la sécurité de l’Europe. À l’issue de ce sommet, la présidente de la Commission a déclaré que « nous devons urgemment réarmer l’Europe ». Elle a par ailleurs annoncé mardi un plan de 800 milliards pour atteindre cet objectif. L’Europe est-elle aujourd’hui en mesure de bâtir une défense européenne ?

L’Europe n’en a pas les compétences et les propos d’Ursula Von der Leyen sont vides de sens. Bruxelles n’a pas d’autorité sur la politique de défense européenne. Si c’était le cas, il n’y aurait pas tant de retard dans le financement de l’OTAN. La politique de défense est une compétence nationale. Cela fait des décennies que j’entends parler de réarmement de l’Europe. Ce n’est jamais suivi d’actes.

Que les pays européens se réarment individuellement me paraît pertinent s’ils en ont les moyens. Malheureusement, ce n’est pas le cas. La France n’est pas en mesure de se doter de forces armées dignes de ce nom avec le déficit budgétaire actuel. La situation économique n’est guère meilleure outre-Manche et l’Allemagne connaît une récession depuis deux ans… D’ailleurs, je rappelle que le peuple allemand a basculé dans le pacifisme par peur de ses propres instincts. De plus, les pays de l’Est préfèrent acheter du matériel militaire américain qu’européen.

Et où iraient les 800 milliards annoncés par la présidente de la Commission ? Tout cela n’est pas clair.

En réalité, il n’y a jamais eu d’armée européenne parce que les Européens ont toujours eu du mal à laisser un pays prendre l’ascendant sur les autres. La France, seule puissance nucléaire de l’UE, a vocation à prendre ce leadership, mais l’Allemagne ne l’a jamais voulu.

Ainsi, cette idée qu’on va réarmer l’Europe ne tient pas un instant. Les nations européennes, individuellement, peuvent chercher à se réarmer mais cela restera dans le cadre de l’OTAN, pas dans le cadre d’une armée européenne.

L’Europe peut-elle être stimulée par la politique de Donald Trump ?

Les Européens se sont bercés d’illusions en se laissant protéger par les États-Unis. Mais s’ils l’ont fait, c’est parce qu’ils savaient très bien qu’ils n’étaient pas capables de monter eux mêmes leur propre défense, notamment, encore une fois, en raison des rivalités nationales.

Pour autant, nous avons passé un cap : nous nous dirigeons vers une rupture entre les États-Unis et l’Europe. Le discours de J.D. Vance à Munich en est la preuve. Vance a constaté et dénoncé une dérive bureaucratique et anti-démocratique en Europe.

L’Union européenne est noyautée par une forme de progressisme de plus en plus anti-démocratique : la liberté d’expression est restreinte au quotidien, des élections sont annulées quand des résultats ne conviennent pas, les mouvements populistes sont dénoncés comme systématiquement « fascistes »…

N’oublions pas que Donald Trump a incarné la lutte contre le wokisme outre-Atlantique et a été victime de ce dernier : on a essayé de le mettre en prison, il a été exclu des réseaux sociaux, etc. Il observe qu’un phénomène similaire s’empare désormais du Vieux Continent et il ne voit pas pourquoi il devrait aller porter secours à une Europe devenue woke, en opposition aux anciennes valeurs démocratiques communes aux deux continents.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.

Voir sur epochtimes.fr
PARTAGER