À la suite de leur « patron », le commissaire C, ce sont les premiers policiers à être entrés dans le Bataclan assiégé, le 13 novembre 2015. Plusieurs ex-policiers de la « BAC de nuit » de Paris, ont raconté mercredi au procès comment ils ont « désobéi » pour sauver des vies.
« Nous sommes des rescapés du Bataclan et les oubliés de l’administration », a résumé à la barre de la cour d’assises spéciale Alain, un ex-policier de la BAC75N, la « brigade anti-criminalité de nuit ».
Alain, Michel, Emmanuel, « primo-intervenants » dans l’enfer du Bataclan font partie des policiers qui se sont constitués partie civile pour que leur rôle et la bravoure quasiment insensée dont ils ont fait preuve, ne soient pas oubliés.
Des visions « apocalyptiques »
Mal équipés – Alain se souvient qu’il ne portait ce soir-là que son casque de maintien de l’ordre qui ne protège pas contre des balles de kalachnikov et une simple arme de poing -, dix-sept policiers de la BAC75N n’hésitent pas quand leur « patron », le commissaire C., le premier à entrer au Bataclan avec son chauffeur, les prévient par radio qu’une attaque s’y déroule.
Les policiers arrivent à proximité peu après 22H00 mais « à 180 mètres de la salle, on nous arrête. Un homme (officier de police) nous dit de ne pas y aller, d’attendre la BRI » (Brigade de recherche et d’intervention), raconte Michel. « Ce jour-là, on n’a pas obéi aux ordres. Notre commissaire est à l’intérieur. Il demande de l’aide. J’ai dit à ce petit monsieur: ‘On y va!' », poursuit l’ancien policier.
Les policiers de la BAC avancent en colonne, les mieux équipés devant, les moins bien équipés derrière. Dès l’entrée dans la salle, à 22H20, ils découvrent des corps enchevêtrés.
Michel envoie un SMS à sa famille pour lui dire : « je vous aime ». « Je pensais qu’on allait y passer », avoue-t-il. Dans la salle, ce sont des visions « apocalyptiques ». « Nos pieds heurtent des chargeurs de kalach, des corps sont entreposés les uns sur les autres », se souvient Michel.
Une des premières personnes vivantes qu’ils découvrent est un enfant de cinq ans, un casque anti-bruit sur les oreilles, que sa mère avait emmené dans la salle. L’enfant est exfiltré. « Plus on avance, plus on évacue des gens. Le sol est extrêmement glissant à cause du sang », poursuit Michel.
« Qui doit vivre qui doit mourir ? »
La voix de l’ancien policier vacille quand il évoque une femme grièvement blessée qui lui agrippe la jambe. « Ne vous inquiétez pas les pompiers vont vite arriver », lui dit-il. C’était un mensonge, avoue-t-il. « La salle n’était pas sécurisée. Les pompiers ne pouvaient pas arriver rapidement ».
Six ans après, il s’en veut toujours. « Qui doit vivre qui doit mourir ? c’est un choix difficile à porter et qui vous pèse. Je pense à cette femme qui m’avait agrippé la jambe. Je suis désolé mais à ce moment-là, je ne pouvais pas la sauver. Je suis navré ».
Les policiers de la BRI arrivent à leur tour. On demande à ceux de la BAC de se replier. Ils obtempèrent. Ensanglantés, ils se retrouvent à régler la circulation aux abords du Bataclan avant de rejoindre leur « base » dans le nord de Paris. Combien de temps ont mis les effectifs de la BRI pour arriver ?, veut savoir le président Jean-Louis Périès. « Un certain temps », répond Michel. « Je ne veux pas faire de polémique. Mais ils ont mis un temps certain ».
Lui reviennent en mémoire des scènes absurdes. Alors qu’avec ses camarades, il progressait vers le Bataclan, une femme passe devant, avec son chien. Quand il lui dit « de décamper », elle répond : « Écoutez, je promène mon chien tous les soirs, vous n’allez pas me dire ce que j’ai à faire ».
Mais c’est le traumatisme qui demeure le plus prégnant. « Au Bataclan, on a subi quelque chose que je n’avais jamais vu ni imaginé », dit Alain.
Une prime de 500 euros ?
Il n’ont pas digéré l’oubli qui les a frappés. Aucun d’eux ne sera convié à la cérémonie d’hommage aux victimes, dans la cour des Invalides, le 27 novembre 2015. Leur hiérarchie leur demande « de ne pas parler » de leur intervention au nom du « devoir de réserve ». Des collègues les traitent de « mythos » quand ils évoquent leur 13-Novembre.
« On a eu une médaille, gagné un échelon et une prime de 500 euros pour nous récompenser », dit Alain. « Bien ? Pas bien ? Si on me demande, je pense que non ».
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