ENTRETIENS EPOCH TIMES

« Le départ de Barkhane a permis à des puissances hostiles de s’installer à nos portes », explique le journaliste Loup Viallet

janvier 19, 2025 15:30, Last Updated: janvier 19, 2025 19:54
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ENTRETIEN – Loup Viallet est directeur du média Contre-Poison.fr, journaliste et géopolitologue. Il est également l’auteur de « La fin du Franc CFA » et d’ « Après la paix » (VA Éditions, 2020, 2021). Il revient pour Epoch Times sur une grande enquête exclusive qu’il a menée pendant deux ans sur l’après Barkhane au Mali pour le magazine Causeur.

Epoch Times – Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’après Barkhane au Sahel ?

Loup Viallet – L’Afrique est un angle mort de la politique française, pourtant le continent africain est la première source d’immigration en France.

Ce continent, qui est le plus proche du nôtre, est le talon d’Achille de l’Europe. Sa fragilité représente une menace durable pour notre sécurité collective. L’opération Barkhane était un facteur de stabilisation de notre grand voisinage. Son départ a permis à des puissances hostiles de s’installer à nos portes.

J’ai voulu documenter la déliquescence qui a suivi le retrait de l’armée française et comprendre quel souvenir celle-ci a laissé auprès de ceux qui l’ont connue. Mon enquête dresse un état des lieux apocalyptique de territoires où régnait auparavant une paix fragile et dément l’idée selon laquelle le sentiment anti-français serait généralisé.

Au Mali, tous les verrous migratoires ont sauté, les djihadistes ont gagné du terrain et l’État malien, porté à bout de bras par la Russie, cherche à régler des comptes historiques avec certaines de ses populations par le massacre et l’épuration ethnique.

Qui sont les témoins que vous avez interrogés ? De quel type de crime parle-t-on ?

Les témoins que j’ai pu interroger sont tous issus du centre et du nord du Mali, c’est-à-dire d’endroits où étaient, soit brièvement, soit durablement, installées les troupes françaises de l’opération Barkhane pendant neuf ans. Je pense particulièrement à Tombouctou, Kidal, Gao, Ménaka, Tessalit.

Ces victimes de la milice russe sont encore, à l’heure actuelle dans le Nord, ou dans le centre du Mali pour la minorité restée sur place. La plupart des victimes de Wagner avec lesquelles j’ai pu échanger ont émigré dans leur voisinage et leur grand voisinage, en Algérie, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Tunisie… jusqu’en France (à Paris, Toulouse et Blois, Orléans…).

Concernant la nature des crimes, il s’agit de crimes de guerre : des femmes ont été violées. D’ailleurs, des enfants sont nés à l’issue de certains viols : les « bébés Wagner ». Des hommes ont également été victimes d’agressions sexuelles, ce que peu de médias ont rapporté. Il y a eu aussi des arrestations et des fusillades arbitraires ainsi que des passages à tabac allant parfois jusqu’à la mort.

Mais les crimes étaient surtout raciaux. Les troupes de Wagner débarquaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit par voie terrestre ou aérienne dans des villages pour persécuter les Peuls, les Touaregs ou les Maures. Autrement dit, des populations qui ne sont pas celles de la capitale.

En réalité, le départ des troupes françaises a provoqué une véritable mutation géopolitique. D’une part, une puissance impérialiste hostile à la France a pris pied au Sahel : l’État russe. D’autre part, de nouvelles alliances se sont constituées. Les Touaregs, qui cherchent à instaurer leur État souverain se sont alliés avec l’Ukraine pour renverser le régime pro-russe de Bamako.

Ces crimes ont-ils également été commis par les Forces armées maliennes ?

Tout à fait, mais ces crimes sont avant tout, ceux de Wagner puisque les Forces armées maliennes (FAMA) sont à la merci de la milice russe.

Si les soldats maliens s’opposent, ou discutent un ordre, ils peuvent être passés à tabac ou même fusillés. Wagner a comme un droit de vie ou de mort sur eux. C’est ce que m’ont d’ailleurs confirmé les témoins quand je leur ai demandé qui dirige les opérations.

Les journalistes qui écrivent que Wagner est le « supplétif » des FAMA se trompent et reprennent des éléments de langage assez curieux. C’est exactement l’inverse ! En réalité, Wagner se comporte comme une armée coloniale issue d’un pays impérialiste qui dirige les troupes nationales.

Vous écrivez dans votre enquête que les civils victimes de Wagner regrettent le départ des troupes françaises de l’opération Barkhane. On peut donc aujourd’hui dire qu’un certain nombre de Maliens ont changé d’avis sur la France, mais aussi sur la Russie ?

N’allons pas trop vite en besogne ! En 2021, il y a eu un changement de pouvoir et une propagande anti-française s’est mise en place. Elle a pu se vérifier par certains faits : des Maliens ont, par exemple, jeté des cailloux sur un certain nombre d’éléments de Barkhane : transports, convois, etc.

Cependant, on ne peut pas réellement mesurer le niveau de détestation de la France au Mali en 2021 et aujourd’hui. D’ailleurs, je ne sais pas ce que les victimes que j’ai interrogées pensaient de la présence des troupes françaises il y a deux ans et demi. Certains avaient des bons contacts avec elles, elles me l’ont dit. D’autres entretenaient simplement des relations cordiales ou souhaitaient leur départ.

Aujourd’hui la grande majorité regrette leur départ, sans se faire d’illusion sur le retour de la France, perçue désormais comme faible.

Lors d’une conférence à l’Élysée le 6 janvier, Emmanuel Macron a pointé du doigt « l’ingratitude des dirigeants africains » à l’égard de la France. Comment interprétez-vous cette déclaration du chef de l’État ?

J’ai interprété cette déclaration comme une sorte d’accès d’émotivité de la part du président de la République qui me semblait décalée par rapport à la réalité. Si nous en sommes là aujourd’hui, ce n’est pas parce que les Africains ne nous ont pas dit merci.

D’abord, la France avait un intérêt à être présente au Sahel, notre « grand voisinage ». Cette zone est également un corridor migratoire. Je ne comprends pas pourquoi il ne l’a pas rappelé. L’Europe et l’Afrique sont deux continents très proches géographiquement, et le continent africain est de plus en plus instable, et son instabilité a des conséquences sur notre propre sol en termes migratoires et sécuritaires.

D’autre part, le départ de Barkhane a été aussi le résultat du laxisme et de l’attentisme, non pas de la diplomatie française, mais du président Macron lui-même. Il n’a pas agi lorsqu’il y a eu des coups d’état perpétrés par des alliés de la Russie. Il n’a soutenu aucun des partenaires de la France et n’est jamais intervenu. Je pense notamment au Niger et au Burkina Faso. Il a laissé la situation se détériorer, et s’indigne aujourd’hui de ce résultat.

Emmanuel Macron est, en quelque sorte, le co-auteur de cette situation. Il n’a pas répondu aux arguments anti-français qui prospéraient et a ainsi fait preuve de faiblesse, alors qu’il fallait justement apparaître comme fort.

À l’époque, il avait justifié le retrait des troupes françaises par le fait que la France n’avait pas vocation à soutenir des juntes militaires. Mais aujourd’hui, ces pays bénéficient du Franc CFA que les contribuables français financent. Le Franc CFA sert de filet de sécurité financière au Mali, au Burkina Faso, au Niger, et au Sénégal.

Mais pourquoi est-ce que les pays du Sahel, désormais alliés de la Russie, bénéficient encore de cet instrument souverain régalien qui est la première monnaie d’Afrique ? Nous n’avons pas vocation à financer les déficits des juntes du Sahel.

La mort de l’ancien chef de Wagner, Evgueni Prigojine survenue en août 2023 a-t-elle eu un impact sur la présence de la milice en Afrique ? Aujourd’hui, celle qui a été rebaptisée « Africa corps » est-elle toujours aussi présente qu’en 2021 ?

Cela dépend des endroits. Certains éléments se sont redéployés en Ukraine. Ce qui est certain, c’est qu’au départ, Wagner était une milice paraétatique, mais qui bénéficiait d’une certaine autonomie. Or, depuis la mort de Prigojine, l’organisation a non seulement changé de nom comme vous l’avez rappelé, mais a aussi changé de statut. C’est-à-dire que les chefs de la milice ont prêté serment auprès du ministère de la Défense russe et de Vladimir Poutine. Nous avons donc aujourd’hui affaire à une milice d’État.

J’ai été d’ailleurs, très surpris du niveau de connaissances des victimes de Wagner. Quand je les interrogeais sur la situation, elles pointaient du doigt la responsabilité de la Russie.

Autrement dit, si nous transformions complètement notre modèle de projection militaire en envoyant des mercenaires à la place des soldats, Ils n’y verraient pas autre chose que des Français.

La chute du régime de Bachar Al-Assad va-t-elle selon vous, encourager la Russie a renforcer ses positions en Afrique ?

Il est encore trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Pour l’instant, j’ai plutôt l’impression que la Russie concentre ses efforts sur le front ukrainien et ainsi, rapatrie un certain nombre de miliciens de Wagner sur ce théâtre d’opérations.

Il est certain que depuis que la Russie domine et colonise le Sahel, elle déstabilise aussi l’Afrique du Nord, que ce soit l’Algérie, la Tunisie, et de plus en plus, la Libye. Moscou est en train de s’installer durablement sur les côtes méditerranéennes libyennes. Ce qui peut engendrer, à mon sens, un problème de sécurité majeur pour l’Europe. Nous sommes à portée de missiles des Russes ! Que nous ayons de l’amitié ou des affinités culturelles avec le peuple russe ou non, laisser une puissance hostile à la France depuis des années s’installer de l’autre côté de la Méditerranée, est dangereux.

Nous avons en face de nous des régimes dominés par la Russie. Pendant ce temps, Jean-Noël Barrot préfère aller donner des leçons au Tchad et précipiter le démantèlement des bases permanentes françaises.

Quoi qu’il en soit, je pense que, pour défendre une fois de plus ses intérêts sécuritaires, la France va revenir au Sahel dans les années qui viennent. J’en ai même la certitude. Il faut renouer avec le langage de la force.

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