Que signifie revenir ? Que signifie revenir à la maison ? Le foyer est le lieu d’appartenance, les personnes et les lieux sont les nôtres tandis que nous sommes les leurs. Cependant, cette appartenance n’atteint sa plénitude que si nous la choisissons activement et si nous nous conformons aux restrictions que nous impose notre attachement à un peuple et à un lieu. Un tel attachement exige un choix, une réaffirmation et un retour constants.
L’Odyssée d’Homère explore en profondeur ces notions de retour et d’appartenance. Le mot « Nostos » – « Retour » – est le mot et le concept phare du poème, comme l’explique Eva Brann dans son livre Homeric Moments. Cependant il existe différentes sortes de retour. Elle écrit : « Il semble que revenir à la maison, le retour, n’est pas si simple que de survivre à la mer et de reprendre un palais ; vous pouvez rentrer à la maison mais ne pas y être, vous pouvez revenir mais ne pas être vous ». Dans l’Odyssée, Homère nous chante une sorte de retour plus profond – le retour perpétuel à la véritable fidélité.
Fidélité à un mortel
Bien que le thème de la fidélité soit présent tout au long du poème, il trouve son expression la plus profonde et la plus importante dans le mariage entre Ulysse (Odysseus) et sa femme, Pénélope (Pènélopéia).
Dans la littérature occidentale, Pénélope est un paragon de fidélité. Elle attend 20 longues années le retour de son mari, luttant contre les prétendants qui cherchent à usurper la couronne et le lit d’Ulysse. Elle s’accroche à l’espoir et à ses vœux de mariage alors que de nombreuses femmes auraient abandonné Ulysse et cédé aux immenses pressions exercées sur elles afin qu’elles se remarient.
Son cœur inébranlable ne cesse de désirer son mari. Le temps ne semble pas guérir la blessure de la perte pour elle – ou étouffer tout à fait l’espoir. « (…) je suis la proie d’un deuil que je ne puis oublier. Car je pleure une tête bien aimée, et je garde le souvenir éternel de l’homme dont la gloire emplit Hellas et Argos », se lamente-t-elle, comme si Ulysse n’était parti que la veille.
Ulysse est également affligé par le chagrin de son épouse. Et bien que sa fidélité ne soit pas à la mesure de celle de Pénélope, elle n’en est pas moins remarquable. La première fois dans le poème que nous voyons Ulysse « à l’âme endurante » – pour utiliser son épithète homérique la plus importante – il se languit de Pénélope alors qu’il est pris au piège sur une île par la nymphe Calypso, qui lui demande d’être son mari. Homère dépeint le cœur d’Ulysse comme attaché à sa femme et à son retour. Dans une image poignante, Homère représente Ulysse sur l’île comme suit : « assis sur les rochers et sur les rivages, il déchirait son cœur par les larmes, les gémissements et les douleurs, et il regardait la mer indomptée en versant des larmes ».
Ulysse pleure peut-être Pénélope, mais en fait, il trompe sa femme au cours de son voyage de retour. Ulysse ne parvient pas à rester fidèle à Pénélope par le corps. Pourtant, il prouve son ultime loyauté envers elle lorsqu’il prend la décision cruciale de renoncer non seulement à Calypso, une divinité belle et puissante, mais aussi à l’immortalité elle-même, pour l’amour de Pénélope.
C’est ainsi que Calypso tente astucieusement d’inciter Ulysse à rester, même après que Zeus lui a ordonné de le laisser partir :
« Divin Laertiade, subtil Odysseus, ainsi, tu veux donc retourner dans ta demeure et dans la chère terre de la patrie ? Cependant, reçois mon salut. Si tu savais dans ton esprit combien de maux il est dans ta destinée de subir avant d’arriver à la terre de la patrie, certes, tu resterais ici avec moi, dans cette demeure, et tu serais immortel, bien que tu désires revoir ta femme que tu regrettes tous les jours. Et certes, je me glorifie de ne lui être inférieure ni par la beauté, ni par l’esprit, car les mortelles ne peuvent lutter de beauté avec les immortelles. »
Mais voici la réponse éclairée d’Ulysse :
« – Vénérable déesse, ne t’irrite point pour cela contre moi. Je sais en effet que la sage Pènélopéia t’est bien inférieure en beauté et majesté. Elle est mortelle, et tu ne connaîtras point la vieillesse ; et, cependant, je veux et je désire tous les jours revoir le moment du retour et regagner ma demeure. Si quelque dieu m’accable encore de maux sur la sombre mer, je les subirai avec un cœur patient. J’ai déjà beaucoup souffert sur les flots et dans la guerre ; que de nouvelles misères m’arrivent, s’il le faut. »
Ce qui rend la réponse si belle, c’est qu’Ulysse ne réfute pas le point de vue de la déesse – elle est plus belle et plus impressionnante que Pénélope. De plus, elle est immortelle, contrairement à l’épouse d’Ulysse, destinée à vieillir et à mourir. Ulysse reconnaît tout cela, mais il choisit quand même Pénélope.
Malgré toutes ses imperfections, personne ne peut remplacer l’âme unique qu’Ulysse a choisie comme compagne de vie il y a tant d’années. Il s’agit là d’une vérité profonde sur le mariage et la fidélité. Comme le dit Wendell Berry dans son essai The Body and the Earth (Le corps et la terre), extrait de The Unsettling of America (La déstabilisation de l’Amérique) : « Il s’agit en fait d’un rituel de mariage semblable au nôtre, dans lequel Ulysse abandonne tout, en renonçant à une divinité, une femme immortelle, et renouvelle son vœu de respecter les engagements mortels de son mariage ».
Quelque chose, en effet, doit être sacrifié lorsque nous nous marions. Avant le mariage, nous avons tous un projet, un idéal de la personne que nous espérons épouser. D’une certaine manière, les hommes aiment la féminité et les femmes la masculinité dans une forme abstraite, en tant qu’idéaux. Mais lorsque nous tombons amoureux et que nous nous marions, cet idéal abstrait doit devenir particulier et concret. Nous n’aimons plus la femme ou l’homme, ou un spécimen immortel et parfait de ceux-ci, mais plutôt cet être particulier, merveilleux et imparfait, et seulement celui-ci.
Homère nous montre que la vraie fidélité consiste à renoncer à tous les autres partenaires possibles – même et surtout à cet « idéal » qui existe dans l’abstrait, « là-bas » quelque part, cette déesse ou ce dieu que beaucoup se leurrent à attendre – en faveur d’un être réel, mortel. L’idéal doit être sacrifié pour la personne réelle, celle qui nous sied véritablement.
Et cette personne, bien qu’elle ne soit ni un dieu ni une déesse, est, d’une manière mystérieuse, bien supérieure à notre version idéalisée d’un conjoint, tout comme les lecteurs savent que Pénélope est d’une certaine manière bien supérieure à la déesse Calypso, qui tente de la supplanter. L’histoire d’Ulysse met tout cela en scène.
Le mariage, une institution enracinée
Le dernier test que Pénélope fait subir à Ulysse au sujet de leur lit conjugal consiste à savoir s’il est revenu seulement dans son corps ou aussi dans son cœur. Est-il le même homme ? Est-il loyal envers elle et leur foyer ? Dans sa connaissance de l’inamovibilité de leur lit (qui est littéralement enraciné dans la terre), Ulysse se montre inchangé. « Le test qu’il a passé est celui de l’identité dans son sens littéral, l’identité propre », écrit Eva Brann. « Il est toujours l’homme qu’il était avant d’aller à Troie, son mari qui est revenu inébranlable dans son amour inaltérable pour sa femme, chargé de souvenirs, et dans sa loyauté envers l’institution naturellement enracinée du mariage ».
La fidélité exige un retour constant, un choix constant, malgré toutes les difficultés de la terre et de la mer. Et si l’on est fidèle, la joie reviendra aussi. Wendell Berry commente : « Ce que le mariage offre – et ce que la fidélité est censée protéger – c’est la possibilité de moments où ce que nous avons choisi et ce que nous désirons sont identiques ».
Ces moments ne peuvent être continus, nous rappelle-t-il. Ulysse et Pénélope sont séparés depuis longtemps – symboliquement, leur amour est épuisant, douloureux, sans récompense. Mais la loyauté d’Ulysse et de Pénélope est récompensée lorsqu’ils vivent, pour ainsi dire, une seconde nuit de noces après leur fameuse retrouvaille à la fin du poème. À l’âge mûr, leur amour redevient frais, neuf. La joie résonne avec plus d’intensité que lors de leur première union. Une telle expérience n’est possible que dans la fidélité.
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