Comment faire payer aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), ces plate-formes numériques américaines qui ont révolutionné l’économie, leur juste part d’impôt ? L’Europe s’est attelée à ce casse-tête mais n’a pas encore trouvé la solution.
Qualifiés récemment de « passagers clandestins du monde contemporain » par le président français Emmanuel Macron, les GAFA représentent en effet un véritable défi pour les fiscalistes.
Pourquoi ? Les règles de taxation des entreprises actuelles, conçues pour l’économie traditionnelle, sont fondées sur le principe « d’établissement permanent »: ne peuvent être taxées que les entreprises qui ont une présence physique dans un pays, mesurée par le montant des actifs (usines, machines), le nombre d’employés et le montant des ventes.
Or les entreprises du numérique peuvent offrir leurs services via le net en étant juridiquement installées dans le pays de leur choix: concrètement dans un État qui leur offre des conditions fiscales avantageuses.
Ainsi, par exemple, Facebook: le groupe de Mark Zuckerberg tire sa richesse des données collectées partout en Europe (en France, 33 millions de comptes, en Allemagne, 31 millions) qu’il vend à d’autres entreprises qui peuvent ensuite faire du démarchage.
Grâce aux « Likes » de l’utilisateur, on peut voir s’il préfère le rugby au football par exemple, et le démarcher en conséquence en lui proposant des places de match, des ballons ou autres T-shirts.
Puis Facebook peut faire vendre ses données par des filiales installées ailleurs que là où se trouvent les utilisateurs et leurs données.
Dans ce cas, si ces recettes tirées de la publicité sont minimes en France et en Allemagne, elles s’élevaient en 2015 à près de 7,9 milliards d’euros en Irlande, où il y a beaucoup moins de comptes Facebook (2,5 millions) que dans ces deux autres pays.
C’est en effet dans des États comme l’Irlande, dont le taux d’imposition est le plus faible d’Europe pour les entreprises (12,5%), que les géants de la Silicon Valley domicilient les filiales, là où ils concentrent tous leurs bénéfices engrangés dans les autres pays d’Europe.
Pour Google, on observe le même schéma: en Allemagne, il affiche un peu plus de 71 millions d’utilisateurs de ses services, en France un peu plus de 55 millions, deux nations où ses recettes publicitaires sont minimes. En revanche, en Irlande, où le nombre des utilisateurs s’élève à moins de 5 millions, ses recettes atteignaient 22,6 milliards d’euros en 2015.
Selon une analyse de l’eurodéputé social-démocrate Paul Tang, spécialiste des questions fiscales, publiée en septembre 2017 et centrée sur Google et Facebook entre 2013 et 2015, la France aurait ainsi perdu 741 millions d’euros de recettes fiscales, l’Allemagne 889 millions.
Outre Facebook et Google, Apple s’est aussi installé en Irlande. Amazon a quant à lui choisi le Luxembourg
« Il est très difficile d’évaluer les pertes fiscales, car il y a un enjeu là-dedans, celui de la transparence. On ne sait pas aujourd’hui quelle est l’activité réelle de chaque entreprise, y compris celles des GAFA, dans les pays où elles sont présentes », explique Manon Aubry, porte-parole de l’ONG Oxfam.
« Au delà du nombre de comptes ou d’utilisateurs dans chaque pays, il faudrait connaître, dans le cas de Google par exemple, le montant des ventes publicitaires dans chaque pays. Or, on ne l’a pas. Dans le cas d’Uber, il faudrait connaître le nombre de courses, or on ne l’a pas », relève Mme Aubry.
« L’un des premiers enjeux, c’est donc celui de la transparence: imposer aux grandes entreprises, de publier des informations sur leurs activités et leurs impôts payés dans tous les pays où elles sont présentes », argue la porte-parole d’Oxfam.
Selon la Commission européenne, le taux d’imposition effectif sur le bénéfice des colosses du numérique dans l’UE est en moyenne de seulement 9%, tandis que celui des entreprises traditionnelles dépasse les 20%.
En ce qui concerne Apple, la Commission européenne a évalué il y a un peu plus d’un an ses arriérés d’impôts à 13 milliards d’euros, estimant que le géant américain avait bénéficié d' »avantages fiscaux » indus accordés par Dublin en échange de son implantation en Irlande (avec à la clé des milliers d’emplois).
Fin août 2016, la Commission a sommé le groupe à la pomme de rembourser ce montant, décision contre laquelle l’Irlande et Apple ont fait appel.
Pour Bruxelles, le traitement de faveur accordé à Apple par Dublin lui a permis de tirer profit d’un taux d’imposition effectif sur les sociétés de 1% sur ses bénéfices européens en 2003 — taux qui a diminué jusqu’à 0,005 % en 2014 ! –, soit bien plus bas que les 12,5% qui sont normalement en vigueur en Irlande, déjà le plus faible taux d’Europe.
Face à cette situation, plusieurs solutions sont à l’étude
Le président Emmanuel Macron ayant fait de la taxation des GAFA un de ses chevaux de bataille, la France a mis en avant l’idée de les taxer sur le chiffre d’affaires généré dans chaque pays européen par les géants du net, plutôt que sur les bénéfices qui sont aujourd’hui concentrés dans des pays à faible taux d’imposition.
Cette proposition, présentée par le ministre français des Finances Bruno Le Maire fin septembre à ses pairs de l’UE à Tallinn (Estonie), a reçu, selon l’Elysée, le soutien d’une vingtaine de pays, dont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
Mais d’autres États, comme Chypre, Malte, l’Irlande ou le Luxembourg, qui profitent de la concurrence fiscale dans l’UE, y sont opposés.
D’autres États membres restent réservés, notamment parce qu’ils souhaitent que le problème soit traité au niveau international, au sein du G20 ou par l’OCDE, afin d’éviter que d’autres pays hors de l’UE tirent avantage de la manne fiscale des GAFA à leurs dépens.
Or, en matière fiscale, pour faire adopter une nouvelle législation européenne, il faut l’unanimité des 28 membres.
Aiguillonnée par l’initiative française, la Commission européenne a annoncé fin septembre son intention de présenter elle aussi, en 2018, ses solutions.
Dans l’idéal, plaide-t-elle, il faudrait une réforme en profondeur des règles fiscales internationales, qui établirait un lien plus étroit entre la manière dont la valeur est créée et le lieu où elle est taxée.
Sans écarter la proposition française, elle juge plus opportun de profiter d’un ancien projet de 2011 — pendant longtemps dans l’impasse en raison des divergences entre les 28 — qu’elle a relancé en octobre 2016: celui d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis, NDLR).
Ce projet de législation est actuellement examiné par les 28 États membres de l’UE et la taxation de l’économie numérique pourrait facilement être intégrée dans le champ d’application des règles susceptibles d’être adoptées.
En quoi consiste Accis ?
Pour toutes les multinationales ayant une activité dans l’UE, et dont le chiffre d’affaires consolidé total est supérieur à 750 millions d’euros, il n’y aurait plus qu’un seul lieu d’imposition — un seul contact avec une administration fiscale.
Toutefois, cet impôt serait réparti dans tous les pays où la société exerce une activité, non pas en fonction des résultats des filiales dans chacun de ces Etats, mais en fonction du niveau de l’activité.
Ce niveau d’activité étant mesuré dans chaque État membre à l’aide d’une combinaison de trois critères: les effectifs du personnel de la filiale, l’importance des actifs tangibles (bâtiments, machines, etc.) et l’importance des ventes.
À ces trois critères, l’eurodéputé français Alain Lamassoure (PPE, droite), co-rapporteur du projet Accis avec M. Tang, suggère d’en ajouter un quatrième: le volume des données personnelles numériques collectées et exploitées partout où les services des entreprises sont utilisés.
Outre ces pistes européennes, l’OCDE planche sur une solution mondiale, qu’elle doit présenter aux ministres des Finances du G20 lors de leur prochaine réunion en avril à Washington. Cette initiative aurait le mérite d’intégrer aussi bien l’Europe que les États-Unis, le Japon et les pays émergents.
En octobre dernier, les États-Unis — qui traînaient des pieds jusqu’ici pour parvenir à une meilleure taxation de leurs champions nationaux — ont quelque peu évolué. Ils ont notamment accepté de créer un groupe de travail avec la France au sein de l’OCDE.
« Les Américains sont dans la même situation que nous: leur propre fiscalité n’est pas adaptée à cette économie et ils connaissent eux aussi des pertes de recettes très substantielles qui doivent être compensées », a souligné le 13 octobre le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’Union douanière, Pierre Moscovici.
Avant de conclure: « La taxation des GAFA est un problème mondial et la meilleure réponse doit l’être aussi ».
R.B avec AFP
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