Dominique Chargé est éleveur en Loire Atlantique et président du conseil d’administration de La Coopération Agricole, la représentation unifiée de 2200 coopératives agricoles, agroalimentaires, agro-industrielles et forestières en France. Il a été invité par Thomas Huges pour évoquer sur B Smart les obstacles qui entravent actuellement la souveraineté alimentaire de la France.
Pour Thomas Huges, ces 2200 coopératives agricoles et agro-alimentaires sont au sein des enjeux de souveraineté alimentaire car elles représentent plus de 190 000 salariés (filiales comprises) avec un chiffre d’affaires d’environ 84,5 milliards d’euros. Dès sa première question, le journaliste invite le président de La Coopération Agricole à entrer directement dans le vif du sujet : « La souveraineté alimentaire est-elle menacée aujourd’hui ? » « Oui, absolument ! Elle ne l’a jamais autant été », a répondu sans hésitation Dominique Chargé.
Perte de compétitivité des filières agricoles et agro-alimentaires
Monsieur Chargé pointe d’abord une perte de compétitivité liée au coût de production dans un contexte où « les effets de l’inflation ont conduit nos compatriotes à modifier leurs comportements de consommation. Ils se sont massivement reportés sur deux effets mécaniques de cette inflation (…) : ils ont à la fois diminué le volume de consommation, et fait une descente en gamme. C’est-à-dire ils achètent beaucoup plus massivement des produits d’entrée de gamme [ou] de moyen gamme. 70% des consommateurs [français] déclarent aujourd’hui chercher des bonnes affaires et des premiers prix. Cette consommation se reporte massivement sur des produits importés, des produits que nous ne pouvons plus faire aujourd’hui [avec] nos modèles de production français. »
Le président de La Coopération Agricoles explique la perte de compétitivité liée au coût de production des modèles français de production agricole et agro-alimentaire par le fait que l’« on nous a demandé, à juste titre très probablement, de faire à la fois une montée en gamme, de nous impliquer dans la décarbonation des filières [agricoles et agro-alimentaires], de nous impliquer dans la transition écologique, de nous impliquer dans le renouvellement de génération qui [demande] de mieux rémunérer nos agriculteurs. Tout cela a effectivement un coût. Ce coût fait que les consommateurs ont massivement réduit leurs achats alimentaires. Ils font finalement porter à l’agriculture et agro-alimentation le poids de cette inflation (…) C’est un problème que nous devons traiter. »
Mais alors, « comment redevenir compétitif sur ces produis d’entrée de gamme qui sont privilégiés par les Français aujourd’hui ? » questionne Thomas Huges. Pour atteindre cet objectif, Dominique Chargé a « appelé à un choc de compétitivité [pour redonner] les moyens de pouvoir faire cette production agricole qui correspond à ce que les consommateurs demandent aujourd’hui ». Selon lui, ce choc passe « d’abord par « une simplification » des « complexités administrative » car « il y a énormément de complexité administrative» en France.
« Par exemple, [il faut] deux ans en France pour développer un projet de construction d’un bâtiment d’élevage quand il faut six mois en Allemagne. Ça c’est un premier temps, avec énormément de recours et de complexité administrative », continue Dominique Chargé, pour évoquer ensuite la rigidité de l’autorité de la concurrence : « On a aujourd’hui un [autre] sujet qui mine notre performance, c’est celui de la dureté de l’autorité de la concurrence. [Il y a] des acteurs qui voudraient (…) consolider leurs efforts sur un territoire dans une production, mais ils ne peuvent pas parce que l’autorité de la concurrence les en empêche. »
Une problématique liée à « des règlements européens et français qui s’empilent les uns sur les autres »
Étant donné les facteurs qui pèsent sur la compétitivité des filières agricoles et agro-alimentaires énoncés par son interlocuteur, l’ancien présentateur de TF1 demande si « ce choc de compétitivité peut arriver vite », notamment dans un contexte où existent « des règlements européens et français qui s’empilent les uns sur les autres », « ce qui complique la donne ».
Sur « ce sujet de normes françaises et de normes européennes », Dominique Chargé dénonce « les distorsions de la concurrence que l’on a avec des autres pays européens », à cause des « surtranspositions qui amènent finalement la France à ne pas pouvoir développer un certain nombre de productions ».
« Ce qu’on constate c’est que les standards de production des produits importés sont des standards qui ne répondent pas aux standards français », poursuit le président de La Coopération Agricole. Il donne alors un exemple qu’il qualifie de « carricature : Aujourd’hui, nos poulaillers biologiques et labellisés sont vides, parce que les Français ont massivement déconsommé ces produits-là, parce que l’on importe des poulets de Pologne et d’Ukraine. Ce sont des poulets sur des standards de production qui ne répondent pas aux standards français. » Et de conclure : « Il faut que l’on puisse regagner en compétitivité sur des capacités de production, à pouvoir faire à nouveau ces productions que les Français plébiscitent dans leur consommation. »
Les poulets ukrainiens, un sujet de crispation croissante chez les éleveurs français
En effet, le récent bond des importations de poulets ukrainiens en Europe irrite les éleveurs français, qui se plaignent d’une concurrence à bas coûts venant d’un pays invoquant de son côté la solidarité et le respect des règles du libre-échange, selon l’AFP. L’Agence France-Presse rapporte que les volailles ukrainiennes affluent depuis que l’Union européenne a, en mai 2022, suspendu les droits de douane avec l’Ukraine pour soutenir l’économie du pays. Comme l’a affirmé Yann Nédélec, directeur de l’interprofession de la volaille Anvol, le poulet ukrainien repasse souvent par des usines en Europe – en Belgique, aux Pays-Bas ou en Pologne notamment -, qui ne sont pas obligées d’en indiquer l’origine. Ce qui fait que les chiffres officiels de 8,1 millions d’euros « ne reflètent pas la réalité » des importations de viandes de volailles ukrainiennes en France, qui ont bondi de 74% au premier semestre sur un an.
Un autre avantage concurrentiel des poulets ukrainiens par rapport aux autres sources d’importations de volailles comme le Brésil et la Thaïlande, est que ceux-ci ne sont soumis à des quotas, d’après Paul-Henri Lava, représentant du lobby de la volaille à Bruxelles AVEC Poultry. De plus, « l’Ukraine exporte principalement des filets de poulet, plombant les prix de cette partie la plus rentable de l’animal », selon lui. Par ailleurs, ce poulet frais ukrainien, généralement élevé dans d’immenses fermes aux coûts de production moins élevés qu’en Europe, pourrait concurrencer les produits locaux, comme les poulets Label Rouge, dans les supermarchés. Une compétition injuste « au moment où la Commission nous dit qu’il faut réduire la taille des exploitations et aller vers des circuits courts », souligne Paul-Henri Lava.
L’accord commercial avec le Mercosur : une autre source de « distorsion de la concurrence »
Evoquée par Dominique Chargé comme une entrave de la souveraineté alimentaire française, la problématique liée aux « distorsions de la concurrence » vis-à-vis des produits importés basés sur « des standards de production qui ne répondent pas aux standards français » ne concerne pas seulement les « poulets de Pologne et d’Ukraine ». Car aujourd’hui en France, « 25% de la viande bovine est importée, 50% des volailles, 40% des légumes et 60% des fruits : c’est la marque tangible que nous sommes en train de décliner », a énuméré avec inquiétude Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Quant au niveau européen, « le Mercosur [Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay] représente plus de 70% des importations européennes de viande bovine et 50% des importations de viande de volaille », selon la Fondation pour la nature et l’homme.
Arnaud Rousseau a appelé fin juin Emmanuel Macron à « rester ferme » sur la position de la France, qui refuse pour le moment de ratifier l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, pourtant conclu en 2019 au niveau de l’UE après plus de 20 ans de négociations.
Cet accord « peut mettre en danger l’agriculture française, car on n’est pas du tout sur les mêmes échelles d’exploitations », soupire Christian Bajard, éleveur de vaches charolaises à Saint-Symphorien-des-Bois, en Bourgogne. Si l’accord entre l’UE et les quatre pays du Mercosur est ratifié, il craint de la voir disparaître face à la « concurrence déloyale » d’immenses exploitations sud-américaines. « On se compare avec des exploitations de 5000 à 10.000 têtes, donc ce n’est pas du tout la même façon de travailler », estime-t-il. « Cela va faciliter l’entrée de produits qui ne respectent pas les mêmes règles qu’on impose aux producteurs français », notamment en ce qui concerne l’utilisation d’engrais chimiques et la traçabilité de la viande.
Selon l’AFP, les interprofessions de la volaille (Anvol), des céréales (Intercéréales), de la viande bovine et ovine (Interbev), des huiles et des protéines végétales (Terres Univia) ainsi que celle de la betterave et du sucre (AIBS) ont également appelé ensemble Emmanuel Macron à opposer « un non ferme et définitif de la France » à la ratification de cet accord, « sous aucune condition ». Il ne serait pas crédible de défendre la souveraineté alimentaire – ont-elles estimé – « tout en fragilisant la production intérieure par un accroissement continu des volumes d’importation de produits agricoles et alimentaires à droits de douane nuls ou réduit ».
« La souveraineté alimentaire, dont tout le monde parle, est un incontournable. Son absence sera un drame au même titre que l’absence de souveraineté énergétique », a alerté mi-septembre le président de la FNSEA lors d’une conférence de presse.
Afin de préserver la souveraineté alimentaire de la France, Dominique Chargé a également plaidé sur le plateau d’Europe 1 pour que la lutte contre la « distorsion de la concurrence » soit une priorité du gouvernement, tout en réclamant une mise en place d’urgence de simplifications normatives. Il a évoqué par ailleurs les problèmes liés à l’accès difficile à l’eau et au renouvellement des générations agricoles comme d’autres menaces majeures en matière de compétitivité pour les filières agricoles et agro-alimentaires françaises.
L’AFP a contribué à cet article.
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