Il était environ 22h le lundi 27 février quand la caméra à 360° du Jardin du Lautaret (CNRS/UGA) située sur le Col du Galibier perçut une lueur rose-rouge au-dessus du sommet de la Grande Chible (2931 m) entre Valloire et Albiez-Montrond en Savoie.
Il s’agissait bien d’une aurore boréale, un événement très rare dans cette région. Au même moment d’autres personnes suivant la webcam du Collet d’Allevard (Isère) voyaient la même lueur, confirmant le phénomène. En Bretagne, on photographiait également de très belles lueurs rouges. Une d’entre elles, prise à proximité du mont Saint-Michel a été largement diffusée.
Que s’est-il passé ? À quoi sont dues les aurores boréales ? Et pourquoi est-il rare d’en voir une à ces latitudes ?
Des éruptions solaires à l’origine des aurores boréales
Le Soleil en plus de nous envoyer de la lumière envoie en continu des particules chargées en électricité (des protons et des électrons essentiellement). Ce flux de particules appelé « vent solaire » est très variable dans le temps. Lors d’éruptions solaires, quand le soleil émet d’un coup, un flux de particules très important, ce vent devient plus intense.
Il y a alors plus de particules et celles-ci se déplacent plus rapidement. Le 25 février, une forte éruption solaire a éjecté du Soleil un flux important de particules dans la direction de la Terre.
Ces particules se déplacent à des vitesses entre 300 et 500 km/s parfois 1000 km/s ou plus lors de fortes éruptions. Elles mettent entre 2 et 3 jours à atteindre notre planète. En arrivant à proximité, elle « rencontrent » le champ magnétique de la Terre et suit un trajet complexe qui les amènent sur un ovale centré autour des pôles magnétiques terrestres, légèrement décalés des pôles géographiques. Cet ovale est plus ou moins grand en fonction de l’activité solaire. Il en existe un au Nord et un autre au Sud. L’ovale boréal, le plus observé, passe habituellement au-dessus du nord de la Scandinavie, de l’Islande, au milieu du Groenland et dans le nord du Canada. Côté Russie, il est décalé du fait de l’inclinaison du champ magnétique et passe plutôt dans l’océan Arctique.
Le 26 et le 27 février le flux de particules est arrivé au niveau de la Terre et on a commencé à en observer les effets. L’ovale s’est agrandi et les aurores se sont intensifiées. La frontière sud de l’ovale nord est descendue jusqu’aux latitudes de l’Angleterre et jusqu’à la frontière Canada-USA.
Comment a-t-on pu observer l’aurore en Bretagne et au Col du Galibier ? Les aurores se produisent à très haute altitude entre 100 km pour le vert et 220 km pour le rouge. Un petit calcul de géométrie permet de montrer que l’aurore vue au Galibier était en réalité au-dessus de Sheffield en Angleterre à environ 1000 km de nos montagnes. Les aurores vues depuis la Bretagne captées par un photographe au-dessus du mont Saint-Michel faisaient sans doute partie de la même structure aurorale.
Dans les deux cas, l’effet de projection lié à la sphéricité de la Terre explique que l’on ne voit que le rouge qui est émis à plus haute altitude. Autrement dit, vu depuis la France, le vert est à trop basse altitude et se trouve sous l’horizon.
Est-on capable de prévoir les aurores ?
Cette extension dépend de l’activité géomagnétique et donc de la quantité et de l’énergie des particules qui arrivent à proximité de la Terre. La recherche progresse beaucoup sur ces aspects. Des modèles statistiques sont maintenant capables de calculer avec une précision assez bonne la position de l’ovale. On peut citer ainsi le modèle américain OVATION développé par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, États-Unis).
Cependant le lien est complexe et ces modèles restent encore imprécis et ne donnent que les grandes structures de l’ovale. Il est très complexe de savoir exactement où et quand se produiront les aurores. Si l’on sait distinguer à partir d’images du Soleil, si une éjection de matière s’est produite, il est encore difficile de savoir comment la Terre sera exactement impactée et à quel moment.
L’intelligence artificielle est d’une grande aide pour ce type de question et de nombreux travaux améliorent significativement ces prévisions à partir des données de satellites situés en amont de la Terre sur le segment Terre-Soleil au point de Lagrange L1 et qui enregistrent les paramètres du vent solaire (vitesse, densité, champ magnétique, etc.).
Ce point est un point d’équilibre gravitationnel entre la Terre et le Soleil, un point pour lequel les forces gravitationnelles du Soleil et de la Terre ainsi que la force centrifuge vont se compenser. Un satellite à cette position reste en permanence sur le segment Terre-Soleil à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre et peut enregistrer les flux de particules qui arriveront sur Terre entre 30 et 40 minutes plus tard. Les deux principaux satellites à cet endroit sont ACE (Advanced Composition Explorer) et DSCOVR (Deep Space Climate Observatory).
Cet événement est rare, mais pas forcément exceptionnel. Il se produit typiquement tous les 10 ans. Il est d’ailleurs plus exact de dire que la probabilité qu’il se produise est de 1/10 par an. Il peut y avoir des événements encore plus forts. Ainsi dans la nuit du 12 au 13 mars 1989, des aurores ont été rapportées au-dessus de la Touraine en France. Ces témoignages font état de couleurs vertes indiquant un ovale au-dessus de ces régions à 47° de latitude.
Aux États-Unis, des aurores ont été vues en Floride et l’ovale descendait jusqu’à 42° de latitude, soit celle de Washington. Ce décalage est logique, car l’ovale est décalé vers l’Amérique du fait de l’écart entre le pôle magnétique et le pôle géographique. Des aurores étaient également visibles au Sud à des latitudes similaires comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Cet événement ne fut pas sans conséquence puisque vers 2h44 heure locale au Québec, le réseau électrique tomba suite à de forts courants induits qui surchargèrent des transformateurs centraux, courants eux-mêmes dus à cette très forte activité géomagnétique. Il fallut 10 h environ pour rétablir le courant pour un coût de plusieurs millions de dollars canadiens. Plus fort encore en 1859, une série d’éruptions solaires créa des aurores visibles jusqu’à Cuba ou en Inde. Pas de réseau électrique à l’époque, mais des stations télégraphiques aux États-Unis fonctionnaient « toutes seules » et certaines prirent feu.
On voit ainsi qu’il est important de les étudier, car ces particules en plus de produire de magnifiques aurores peuvent perturber nos technologies, réseaux électriques, satellites, GNSS, communications, etc. Ce domaine d’étude s’appelle la météorologie de l’espace.
Alors en verra-t-on d’autres prochainement sous nos latitudes ? Ce n’est pas impossible, car le Soleil qui a un cycle d’activité de 11 ans entre dans une période active, et pourrait produire d’autres importantes éruptions dans les prochains mois. Le prochain maximum solaire est prévu en 2025, mais le Soleil semble pour ce cycle-là, prendre un peu d’avance. Est-ce que ce cycle sera particulièrement actif, on ne le sait pas encore, mais à tout hasard : à vos appareils photo !
Article écrit par Mathieu Barthélemy, Professeur, directeur du CSUG, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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