Du 6 au 8 octobre, Europe Ecologie Les Verts (EELV) a rassemblé 200 personnes dans la Drôme pour ses « Universités des Ruralités écologistes ». Le but : réfléchir à la stratégie du parti en milieu rural où il est faible. Reportage.
Le vote écologiste est urbain et diplômé. Comment être audible en ruralité ? C’est tout le sens de cette première édition des « Ruralités écologistes » pour EELV et ses alliés. Marie Pochon, députée locale, porte l’événement dans le pittoresque village de Die perché dans le Vercors. La commune divers gauche et bobo-compatible accueille ce rassemblement avec bénédiction. Le public, modeste, est caractéristique : cheveux longs et barbes chez les hommes, style « baba cool », absence totale de diversité ethnique. Le tutoiement est généralisé. La majorité est composé d’élus ou d’anciens élus locaux écologistes. Les restants sont des militants et quelques Diois curieux.
Pendant trois jours, les participants naviguent entre conférences et visites d’espaces de nature ou de projets énergétiques en accord avec les idéaux du parti. Des camions-restaurants permettent de se sustenter, sans viande évidemment.
Laurent Wauquiez, invité à débattre, ne s’est pas rendu disponible. Il sera pourtant au cœur des critiques tout au long des discussions. Quelques jours plus tôt, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes sortait du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN), provoquant l’ire de ces opposants à l’étalement urbain. Joli sens du timing.
Ce sujet occupe une place centrale dans les débats. On aime répéter – à raison – que le double de la surface de Paris est bétonné chaque année en France. L’autre grande peur, c’est le vote RN qui s’enracine dans le milieu rural comme l’ont montré les dernières élections sénatoriales avec l’arrivée surprise de trois sénateurs lepénistes. Ici, le parti de Marine Le Pen progresse en reconnaissant les difficultés économiques des campagnards, notamment agriculteurs, mais aussi leurs cultures comme la chasse et les traditions populaires, des sujets où les écologistes ont des positions opposées, jugées parfois méprisantes et « parisiennes ». Attention, EELV n’est pas en déshérence complète dans nos campagnes, puisque 50 % de ses 3000 élus locaux y sont. Mais les Verts y voient une terre où leur présence, logique, devrait être plus importante.
Le parti de Marine Tondelier est aussi en campagne pour les élections européennes de juin 2024 et ces réunions publiques sont l’occasion de mobiliser en rappelant, en bons européistes, tous les fonds européens aux noms barbares qui soutiennent les agriculteurs : FEDER, FSE, FEADER… La politique agricole commune (PAC), dans sa forme actuelle, fait moins l’unanimité.
Mea culpa sur la chasse et la tauromachie
Pour s’arracher à cette réputation de « prof de yoga intello végane » ou de bobo parisien, selon leurs propres dires, les Verts remettent en question certaines de leurs représentations les plus progressistes… ou urbaines. En introduction, un intervenant évoque le traitement par la presse de gauche de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de rugby mettant en scène Jean Dujardin dans une France du terroir. Libération avait jugé ce spectacle « rance ». Une preuve que « la gauche n’échappe pas aux clichés sur la ruralité » selon l’écologiste, et qu’il faut éviter ces écueils.
Sur ce sujet de la chasse, EELV est lucide. C’est le sujet qui sert de porte d’entrée au RN et aux Républicains pour surfer sur la haine des écologistes en ruralité. Une table ronde avec un président de fédération de chasse (!) y est consacrée. Si les Verts sont unanimes sur l’interdiction de certaines techniques de chasse, comme la chasse à courre, ils sont désormais divisés sur la chasse en général, à l’issue de cette remise en question. Une élue de l’Aude met en avant le besoin de chasseurs pour réguler et empêcher les dégâts des sangliers sur les cultures et le rôle de la chasse dans le lien social. « La chasse ne pose pas de problème de biodiversité contrairement au tourisme de masse », ose-t-elle. Des désaccords se font entendre dans le public. Le « dimanche sans chasse » pour accorder un « répit » aux promeneurs et à la nature ? Compliquer l’accès au permis de chasse ? Les mesures envisagées sont modérées, mais sont déjà difficilement acceptables par les chasseurs. On est loin de l’interdiction de la chasse récréative.
Flash info, les écologistes défendent maintenant la bouvine, c’est-à-dire la tauromachie sans mise à mort. Ils se sont résignés au caractère intouchable de ces traditions populaires lors de la manifestation de février 2023 à Montpellier. 10.000 personnes y avaient défendu la tauromachie en réaction à une tribune d’un élu écologiste et animaliste.
Sur les réintroductions du loup et de l’ours, tous n’ont pas encore renoncé. Certains se placent du point de vue des agriculteurs qui perdent leur bétail, d’autres prônent « l’acceptation » de ces pertes potentielles comme faisant partie de la nature des choses. Le véganisme restera absent des débats. Un tabou ?
Benoît Biteau, l’anti-Sandrine Rousseau
L’une des figures de ces journées écologistes est un gaillard barbu et rustique à la voix grave. Benoît Biteau est eurodéputé EELV mais aussi paysan. Ce spécialiste des questions agricoles, qu’il vit au quotidien, est l’arme de Marine Tondelier pour parler aux ruraux. Et ça marche : « Je connais des électeurs qui voteraient RN si je n’étais pas là », confesse-t-il. L’élu sait ce qui bloque l’électorat populaire et non urbain. « C’est trop », lâche-t-il en faisant référence aux discours de certains écologistes sur le féminisme, le véganisme et les LGBT, « les gens se fichent de ces histoires-là ». En pleine table ronde, il taquine : « Je suis un mâle blanc hétérosexuel de plus de 50 ans », mais cela n’amuse pas ses collègues et crée même un froid. Aujourd’hui, la surmédiatisation de Sandrine Rousseau, qui incarne la radicalité sur les sujets de société, fait oublier les profils à haut potentiel comme Benoît Biteau. Pourtant, la députée de Paris est contestée, voire détestée, en interne. Elle est restée silencieuse pour cette première édition des Ruralités écologistes.
La remise en question a ses limites. EELV reste un parti de gauche qui n’hésite pas à digresser en parler « inclusif » sur le féminisme ou le nécessaire accueil des migrants qui redonnerait une vie à nos villages tristes.
Le régionalisme écologique : « une terre, un peuple » ?
Le week-end est coorganisé avec Régions et Peuples solidaires (RPS), la fédération des partis régionalistes de France alliée des écologistes.
La conférence dédiée au régionalisme ne rassemble que 10 personnes (contre 100 pour celle sur la chasse). « On la fait en occitan ? » plaisante l’animateur. « La diversité culturelle ne devrait pas se limiter aux cultures lointaines », poursuit-il pour lancer le débat. La promotion des langues et cultures régionales a plusieurs justifications pour les écologistes. Au-delà de communiquer d’égal à égal avec les paysans qui parlent encore le patois, les cultures et les langues sont les produits des territoires et y sont spécifiquement adaptées. Par exemple, il existe 100 mots pour désigner la neige chez les Sami de Finlande, tandis que nous n’en avons qu’un. Perdre une langue régionale, c’est perdre une partie de la connaissance humaine sur un territoire, et des techniques ancestrales comme la traction animale (sic). Curieusement, ce discours rappelant celui des identitaires ne s’oppose pas au choc des cultures engendré par l’immigration massive : « Les cultures sont dynamiques et le produit de dialogues avec d’autres cultures », tente de se défendre le directeur de RPS, titillé sur le sujet.
Une écologie rurale bottom-up et collectiviste
Pour défendre leur crédibilité en ruralité, les Verts revendiquent des succès locaux à travers des mairies écologistes ou des projets collectifs. L’exemple le plus fréquent est celui de Luc-en-Diois où villageois et collectivités, constitués en la coopérative DWatts, ont presque garanti l’autosuffisance à leur commune grâce à des panneaux photovoltaïques.
Présents aux universités, les maires d’Anduze (Gard) et d’Arcueil (Val-de-Marne) souhaitent aussi montrer l’exemple. Geneviève Blanc, maire d’Anduze, 3500 habitants, promettait la fin de l’étalement urbain. Aux manettes, elle coupe court aux projets de supermarchés et de lotissements pour lancer la rénovation du centre ancien, la construction d’un « écoquartier » et l’utilisation des terres fertiles. « Pour l’instant, ça tient », dit-elle fièrement, mais sachant qu’il faudra aviser selon la croissance de la commune. Le maire d’Arcueil aussi fait la guerre au béton : sa municipalité est en train de débétonner les cours d’école ainsi que certains trottoirs, remplacés par pelouses et plantes. Par ailleurs, il se satisfait de sa démarche « ville comestible » consistant à planter des végétaux utilisables en cuisine, accessibles aux administrés. Pour les écologistes, le salut viendra d’en bas.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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