L’exécutif retient son souffle avant l’examen jeudi au Sénat du traité Ceta de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada : une alliance gauche-droite de circonstance, en pleine campagne européenne, met en péril le processus de ratification de cet accord décrié.
« Je n’ai jamais vu autant de lobbying avant un vote au Sénat. » Chefs d’entreprise, ambassade canadienne, syndicats agricoles, gouvernement… Des sollicitations de tous bords ont plu dans les boîtes mail des sénateurs ces derniers jours, comme le confirme un cadre de la droite sénatoriale.
Car le débat dépasse largement les murs du Palais du Luxembourg, où les 348 sénateurs sont appelés à valider la ratification du Ceta jeudi matin. Appliqué provisoirement depuis 2017 et son adoption au Parlement européen, l’accord de libre-échange n’a jamais été soumis à la chambre haute française, une étape nécessaire sur le chemin de la ratification.
Coup de poker
Or le camp présidentiel, déjà mis en difficulté lors du passage du traité à l’Assemblée nationale en 2019 – il y avait été adopté de justesse avec beaucoup d’abstentions dans les rangs macronistes, est très minoritaire au Sénat. « La démocratie, ce n’est pas jouer quand on gagne et ne pas jouer quand on est sûr de perdre », invective le sénateur communiste Fabien Gay, qui promet « un coup de tonnerre politique » face à un gouvernement qui « considère le Parlement comme un paillasson ».
Le groupe communiste est en effet à l’origine de ce coup de poker rarissime au Parlement : il a décidé d’inscrire sur son temps parlementaire – sa « niche » – non pas une de ses propositions, mais bel et bien ce projet de loi du gouvernement, avec la ferme intention de le voir rejeté.
Les Républicains (LR), première force politique à la Haute assemblée, semblent tout autant déterminés à s’y opposer. « Ils nous faut des accords de libre-échange, mais certainement pas aux dépens de notre souveraineté notamment alimentaire », affirme le chef des sénateurs LR Bruno Retailleau.
« Une instrumentalisation en pleine campagne européenne »
Face au risque de rejet, le gouvernement tente de se faire entendre. « Il ne faut pas être naïf. C’est une instrumentalisation en pleine campagne européenne », a estimé lundi le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester, sur BFM Business.
Un rejet du Sénat serait loin d’être anodin : en effet, le sort du texte pourrait être identique en deuxième lecture à l’Assemblée nationale où le camp présidentiel ne dispose pas de majorité absolue.
Or si un Parlement national acte le rejet du traité, cela remet en cause son application provisoire à l’échelle de toute l’Europe, à condition néanmoins que le gouvernement français notifie à Bruxelles la décision de son Parlement… Ce qu’il n’est pas tenu de faire.
Actuellement, dix États membres n’ont pas terminé le processus de ratification et un seul l’a rejeté : il s’agit de Chypre. Mais le gouvernement chypriote n’a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l’accord de continuer de s’appliquer.
Si le gouvernement reste encore muet sur ses intentions potentielles en cas d’opposition du Sénat, il prend le dossier très au sérieux : « Il faut faire attention à ne pas envoyer un message négatif sur un accord qui produit des effets bénéfiques », glisse-t-on de source gouvernementale.
Des exportations en hausse
L’exécutif s’appuie notamment sur les chiffres des exportations vers le Canada, en hausse de 33% entre 2017 et 2023 à 4,2 milliards d’euros (contre 35% d’augmentation des importations), et sur l’excédent commercial des filières agricoles et agroalimentaires françaises, multiplié par trois sur cette période. Les secteurs viticole et laitier sont notamment cités parmi les grands gagnants du Ceta.
« Les Républicains vont voter comme un seul homme avec les communistes et les écolos… C’est une honte. C’est lunaire », s’indigne le sénateur Horizons Vincent Louault.
« L’agriculture du centre du Canada est purement industrielle et s’affranchit de toutes les règles. Ce sont deux mondes opposés qui s’affrontent », rétorque le sénateur LR Laurent Duplomb, agriculteur de métier qui compte bien envoyer un « coup de semonce » à Bruxelles.
L’exécutif trouve néanmoins quelques soutiens au sein du groupe centriste présidé par Hervé Marseille (UDI) : ce dernier a déposé une motion de renvoi en commission pour reporter l’examen du texte. Mais rien n’assure qu’elle sera adoptée.
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