Six associations de protection de l’enfance ont saisi la justice afin de demander le retrait d’une œuvre exposée au Palais de Tokyo dont elles dénoncent le caractère pédopornographique. Suite à une audience devant le juge des référés, qui s’est tenue le 27 mars, le tribunal administratif de Paris a décidé de les débouter de leur requête, apprenait-on mardi.
Six associations de protection de l’enfance (Juristes pour l’enfance, Enfance en partage, Pornostop, Face à l’inceste, Innocence en danger et le Collectif féministe contre le viol) ont saisi le juge en référé-liberté en vue de réclamer le retrait du tableau Fuck Abstraction actuellement exposé au Palais de Tokyo à Paris ou bien, à défaut, l’interdiction d’accès des mineurs à la pièce dans laquelle il est affiché. Accusant l’artiste suisse Miriam Cahn de représenter dans sa toile une scène de fellation imposée par un homme massif à un enfant, ces organismes estiment que cette œuvre constitue une « apologie de la pédopornographie » : une infraction au titre de l’article 227-23 du code pénal, ont-elles fait valoir lors d’une audience en procédure urgente lundi 27 mars.
Pour le tribunal administratif, le tableau n’est pas pédopornographique
La juge des référés Sylvie Vidal ne l’a, en revanche, pas entendu de cette oreille, estimant dans une ordonnance rendue ce mardi 28 mars que cette œuvre doit être interprétée « dans son contexte » : « Cette œuvre ne saurait être comprise en dehors de son contexte et du travail de l’artiste Miriam Cahn qui vise à dénoncer les horreurs de la guerre, ainsi que cela est rappelé dans le document de présentation de l’événement distribué au public », soutient la magistrate.
Et d’ajouter : « Ce tableau qui représente la silhouette d’un homme au corps très puissant, sans visage, qui impose une fellation à une victime de corpulence très fragile, qui est à genoux et les mains liées dans le dos, traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre et fait référence aux exactions commises dans la ville de Boutcha en Ukraine lors de l’invasion russe ». Aussi, pour le tribunal administratif de Paris, « le tableau n’a pas de caractère pédopornographique ».
« Les libertés fondamentales en jeu sont la liberté d’expression et la liberté de création », déclame le jugement. Il précise que, depuis le 17 février 2023, l’exposition a accueilli 45.000 visiteurs « sans qu’aucune difficulté n’ait jamais été constatée par le Palais de Tokyo qui n’a reçu aucune plainte ou signalement des visiteurs et n’a pas recensé de mineurs visitant seuls l’exposition. »
Des arguments identiques à ceux de la ministre de la Culture
Un argumentaire qui fait écho à celui opposé à la députée du RN Caroline Parmentier par la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, interpelée le 21 mars à l’Assemblée nationale sur la nécessité de décrocher ce tableau à « caractère pédopornographique ». La femme politique avait alors mis en avant une interprétation de la parlementaire opposée à celle de l’artiste suisse et rappelé que la liberté d’expression et de création est garantie par la loi.
Dans un communiqué publié par le Palais de Tokyo le 7 mars, l’artiste soutenait que « ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité ». Suite à la polémique, le centre d’art parisien a ajouté un texte explicatif à côté de l’œuvre et des médiateurs sont désormais aussi présents afin de faire comprendre au public l’intention de l’auteur de la toile.
Initialement, aucun message n’indiquait à côté de l’œuvre que des crimes de guerre étaient dénoncés, n’avait pas manqué de pointer du doigt Juristes pour l’enfance, attirant également l’attention sur un jeu remis sur place aux enfants, qui les incite à découvrir les désirs et les sensations de leur corps au cours de l’exposition : « Tu vas donc construire une enveloppe corporelle comprenant les couches d’émotions, de ressentis, d’événements marquants, de rencontres, de manques, de désirs qui te constituent. Comme si tu assemblais les différents fragments de toi. Et cette enveloppe tu pourras choisir de l’envoyer, de la partager. Pour confier à quelqu’un un peu de ton intimité, ce qu’on t’a toujours demandé de camoufler et de garder pour toi. »
Intérêt de l’enfant contre défense de l’art contemporain ?
« Si le Palais de Tokyo a mis en place des médiateurs et un message d’avertissement, c’est qu’il a bien conscience d’avoir diffusé une œuvre qui pose un problème », a rétorqué Adeline Le Gouvello, avocat de Juristes pour l’enfance, lors de l’audience du 27 mars. Ce tableau est une « atteinte grave, caractérisée, irrémédiable à une liberté fondamentale, celle de l’intérêt supérieur de l’enfant ». « Il n’y a pas de question à se poser, l’image est répréhensible », a-t-elle asséné.
En plus des dispositifs d’avertissement, le défenseur des intérêts du Palais de Tokyo, Paul Mathonnet, a pour sa part fait valoir que le centre d’art déconseillait la visite de l’exposition par les groupes scolaires. « L’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en compte », a plaidé l’avocat, estimant que « les difficultés ne sont apparues que lorsque deux personnes, Karl Zero et Caroline Parmentier, se sont emparées du tableau et l’ont publié hors de tout contexte et précautions ». Et de conclure : « Est-ce la protection de l’enfance ou l’art contemporain qui est la cible ? ».
Se basant sur un arrêté de la cour d’appel de Versailles de 2003, qui dispose que la diffusion d’une scène présentant des aspects violents, pornographiques ou portant gravement atteinte à la dignité humaine ne constitue pas nécessairement la diffusion d’un message de la nature de ceux qu’interdit le code pénal, son associé, Richard Malka, a renchéri : « Il y a dans cette salle un souffle venu d’outre-Atlantique. Les requérants font une lecture littéraliste et fondamentaliste du code pénal comme ils font une lecture littérale et fondamentaliste d’une œuvre d’art. »
Mardi, le Palais de Tokyo s’est réjoui du jugement rendu dans un communiqué en date du 28 mars : « Le tableau a été sorti de son contexte, diffusé très largement sans l’autorisation de l’artiste ni du Palais de Tokyo, en l’interprétant de manière erronée et orientée, auprès de milliers d’internautes », déplore la direction. À la tête du conseil d’administration du Palais de Tokyo, le président d’Emerige, Laurent Dumas, n’hésite pas à évoquer une « victoire contre l’obscurantisme ».
Le Conseil d’État saisi
Suite à la décision du Tribunal administratif de Paris de rejeter leur requête, Juristes pour l’enfance a décidé de porter l’affaire auprès du Conseil d’État. « Il est plus que regrettable que la décision admette comme normal qu’un enfant puisse voir une scène explicite de viol d’un enfant dès lors qu’il est accompagné d’un adulte ou d’un message de sensibilisation », a commenté son avocate maître Adeline Le Gouvello.
L’association qu’elle représente n’a pas manqué d’étriller l’ordonnance sur Twitter : « Le juge administratif, Mme Sylvie Vidal, permet le maintien public d’une scène de pédocriminalité, accessible en outre aux mineurs. Honte. Où est la justice ? Nous demandons que cesse la complicité. L’art ne saurait servir de prétexte au porno pédocriminel. »
De son côté, la députée RN Caroline Parmentier, qui a accordé un entretien à The Epoch Times sur ce dossier, a annoncé mardi sur Twitter qu’elle avait adressé un message à la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel.
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