L’opération de lutte contre l’immigration clandestine et la criminalité qui n’en est officiellement pas une et qu’à Mayotte tout le monde, sauf le ministère de l’Intérieur, appelle « Wuambushu » entre dans sa deuxième semaine avec un bilan mitigé.
« Elle n’est pas du tout engluée cette opération, bien au contraire », a assuré lundi sur CNews la porte-parole du ministère, Camille Chaize. « Elle a débuté il y a plusieurs semaines maintenant, elle va continuer de longues semaines, plusieurs mois ».
«L’idée est de mettre fin aux bidonvilles à Mayotte», Camille Chaize dans #LaMatinale pic.twitter.com/Aw8tjob6jI
— CNEWS (@CNEWS) May 1, 2023
En 2019, la précédente opération menée à Mayotte contre l’immigration clandestine avait été baptisée du nom de code « Shikandra », le redouté poisson baliste du lagon qui défend son territoire en mordant les baigneurs.
Pour Wuambushu (« reprise » en shimaoré, « oser » pour d’autres linguistes), aucun agent de l’État ne prononce le nom qui fait pourtant bruisser toute l’île et suscite de très fortes attentes dans la population mahoraise, excédée par l’insécurité. Plus de 1800 policiers ou gendarmes, dont la fameuse CRS 8 arrivée mi-avril avec des détachements du RAID ou du GIGN, ont été mobilisés le jour et surtout la nuit cette première semaine.
Des heurts inhabituellement violents
Sous l’effet de nombre et de l’expertise, les descentes se sont multipliées dans les quartiers chauds de l’île. Les heurts entre forces de l’ordre et jeunes y ont été, même pour les standards de l’île, inhabituellement violents : guet-apens, barrages, caillassages et destructions de véhicules.
Sous le feu des projecteurs, les jeunes ont eux aussi, en miroir des forces de l’ordre, soigné leur communication en revêtant pour leurs « actions » des combinaisons blanches de chantier dans lesquelles ils se pavanent sur les réseaux sociaux. La préfecture a annoncé plusieurs coups de filet dans ces quartiers, dont 14 interpellations entre vendredi et samedi.
Parmi ces prises, un « meneur bien identifié et logisticien des bandes de jeunes délinquants », étranger en situation irrégulière de 38 ans, selon la police. Depuis quelques jours, les émeutes ont baissé en intensité. Mais la population mahoraise reste sur le qui-vive et s’aventure peu dehors en cette période de vacances scolaires où la plupart des événements publics et privés ont été annulés.
Une torpeur inhabituelle s’est emparée de l’archipel aux 350.000 habitants estimés, d’habitude cadenassé par les embouteillages et vibrant de monde. La plupart des étrangers en situation irrégulière se sont mis « au vert » dans les villages et les montagnes où vivent à la maison de peur de se « faire paffer » (prendre par la Police aux frontières).
Depuis lundi, un bras de fer diplomatique s’est engagé entre Paris et le gouvernement comorien, qui revendique une souveraineté sur Mayotte et a refusé de laisser accoster le « Maria Galanta », le ferry transportant quotidiennement des dizaines de Comoriens expulsés. « On travaille d’arrache-pied avec ce gouvernement (de Moroni, ndlr) pour trouver des solutions », a assuré Mme Chaize en insistant sur les « intérêts communs » des deux pays.
#Wuambushu : les interpellations se poursuivent
Présentation ce lundi d’un des meneurs des délinquants avec 3 autres personnes devant le juge des libertés et de la détention. L’homme était activement recherché par la police pour des faits de viol, vol et violences. pic.twitter.com/excSmVZWoQ— Mayotte la 1ère (@mayottela1ere) May 1, 2023
Un centre de rétention « plein à craquer »
Dans ce contexte, le Centre de rétention administrative de Mayotte (136 places) est « plein à craquer », a indiqué une source policière locale à l’AFP. Les arrivées d’embarcation de fortune de migrants, les « kwassa kwassa« , se sont aussi taries. Selon l’Intérieur, aucune traversée n’a été détectée entre le 22 et le 30 avril, lorsque 32 migrants ont été secourus et interpellés par la police. Deux embarcations sont en moyenne détectées par jour dans ces eaux territoriales. Les éloignements de personnes en situation irrégulière n’ont pas été chiffrés par la préfecture, qui a néanmoins relayé l’expulsion par avion d’au moins trois ressortissants sri-lankais et sept malgaches.
Un « décasage » de bidonvilles ou de quartier mis en difficulté
Mobilisées via une plateforme d’avocats, les associations de droits de l’Homme ont multiplié les actions et recours contre l’État, notamment contre l’ouverture à tout-va de lieux de rétention administrative éphémères ne respectant pas les règles habituelles en la matière. Elles ont surtout obtenu une victoire en empêchant in extremis mardi dernier la destruction et l’évacuation d’un bidonville de Koungou, « Talus 2 », où vivent une centaine de familles. Le préfet a fait appel de cette décision.
À ce jour, aucun autre « décasage » de bidonville ou de quartier n’est en phase active à Mayotte. Mais deux jours après le revers de « Talus 2 », la préfecture invitait la presse à assister à la destruction, prévue de longue date, d’une dizaine d’habitations de familles mahoraises sur un terrain lui appartenant et où doit s’ériger bientôt un lycée.
Pour le Collectif des citoyens mahorais, principal organe de soutien à l’opération Wuambushu, celle-ci a été « amputée de ses deux volets » sur l’habitat et l’expulsion des étrangers.
« Nous nous interrogeons sur l’efficacité d’une telle révision des objectifs », a déclaré à l’AFP son responsable, Fatihou Ibrahime, pour qui « si rien n’est fait rapidement pour corriger le tir, cette opération pourrait se révéler être une mise en danger de la vie des Mahorais en plus du camouflet inacceptable pour la République ».
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