Du jamais vu à Montréal: le long d’un espace vert au bord d’un large boulevard s’étirent depuis l’été une centaine de tentes de personnes sans-abri, dont certaines jetées à la rue par la pandémie.
« Bienvenue au chic campement Notre-Dame! », lance en riant Jacques Brochu, surnommé « le maire » par ses voisins.
A 60 ans, M. Brochu raconte s’être retrouvé en juillet dans ce campement bordant le boulevard du même nom, après avoir notamment perdu son logement abordable, réclamé par son propriétaire.
Comme ses voisins, il vit dans sa tente et se prépare à affronter l’hiver québécois, où le mercure chute souvent sous les -20 degrés Celsius.
« J’arrive à très bien chauffer ma tente », explique-t-il en montrant ses petites bougies. Une bâche recouvrant son abri fait le reste.
Guylain Levasseur, 55 ans, un peu le « régisseur »
Dans ce campement de Hochelaga, un ancien quartier ouvrier de l’est de Montréal en voie d’embourgeoisement, se côtoient des itinérants chroniques mais aussi des gens qui ont perdu leur emploi, des étudiants ou des travailleurs sans logement.
Sans domicile depuis six ans et vivant dans une petite caravane, Guylain Levasseur, 55 ans, est un peu le « régisseur » du campement.
A côté de sa caravane, bordée de fauteuils, il a aménagé une « cuisine », qu’un auvent et des bâches protègent contre les intempéries. Les gens viennent y donner et chercher à manger.
« Il y a du monde qui vient nous porter des repas tous les jours », ajoute-t-il.
Sa camionnette déborde de sacs de couchage et de vêtements chauds également offerts aux campeurs par de bons samaritains.
Le campement Notre-Dame
Depuis trois mois, il consacre une partie de ses maigres allocations sociales à l’achat de générateurs électriques pour chauffer des tentes.
Il en a sept d’installés, qui tournent grâce à des dons d’essence, souligne-t-il dans le ronron des moteurs.
Un autre occupant a monté un réseau internet. « On a le réseau ici, campement Notre-Dame », dit-il avec fierté en montrant sa caravane, surmontée d’une antenne relais.
Les sans-abri ont aussi accès à des toilettes portatives.
A la mairie de Montréal, Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance, reconnaît que la pandémie a « jeté à la rue des centaines de personnes ».
« C’est nouveau à Montréal, le phénomène des campements », indique-t-il à l’AFP.
D’environ 3.000 ces dernières années, le nombre de sans-abri a beaucoup augmenté avec la pandémie, situation aggravée par une pénurie chronique de logements abordables.
« Nos services d’hébergement d’urgence débordent, il y a une demande croissante, il y a des campeurs un peu partout dans la ville ».
Résultat: « plus de 1.000 personnes » dorment maintenant dehors à Montréal, contre environ 700 avant l’arrivée du virus, selon les estimations de M. Lareault.
Foyers aux règles spartiates
Face à l’urgence, le gouvernement du Québec et la ville de Montréal multiplient les initiatives. Ouvert début novembre, un hôtel devrait accueillir sous peu 380 itinérants du soir au matin jusqu’à fin mars.
Mais tous n’ont pas forcément envie de fréquenter ces foyers aux règles spartiates et à la promiscuité dangereuse en pleine pandémie.
M. Brochu en a vécu l’expérience au printemps après avoir perdu son logement.
« On ne sait jamais qui va être notre voisin, ni où il est allé avant », explique-il.
Il ne veut pas y retourner.
L’itinérance est une réalité de plus en plus visible à l’extérieur du centre-ville de Montréal, où sont concentrés les refuges pour les sans-abri.#montreal pic.twitter.com/T7FqClEt5z
— ICI Grand Montréal (@icimontreal) March 7, 2018
Rester tout l’hiver
« Ici, moi je suis capable de m’arranger », dit-il vêtu d’un anorak « flambant neuf » offert par des bienfaiteurs.
« Tant qu’il y a du monde qui reste ici, moi je vais être là », assure aussi Guylain Levasseur.
M. Lareault convient que certains sans-abri « campent régulièrement et … sont certainement capables de rester tout l’hiver », mais certainement pas la majorité d’entre eux. « Le froid est vraiment un élément dissuasif ».
Il souhaite que ces personnes « profitent des nouvelles installations. C’est quand même un hôtel, c’est confortable, donc c’est sur ce plan -là qu’on travaille. »
« S’il y a de la dangerosité …, il va falloir les inviter à quitter » le campement, avertit-il.
M. Brochu voit les choses autrement:
« Le problème pour le niveau politique, c’est qu’on est visibles. Et les gens aiment bien ça que l’itinérance, la misère, ça soit invisible », dit-il, avant de conclure: « Ma liberté n’a pas de prix ».
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