Avec la dissolution de l’Assemblée nationale, le projet de loi sur la fin de vie a été suspendu. Tous les amendements votés depuis l’arrivée du texte à l’Assemblée sont caduques. La prochaine majorité décidera de réinscrire ce texte à l’ordre du jour ou de l’abandonner, après l’installation de la nouvelle Assemblée.
Le sujet de l’euthanasie est un sujet extrêmement complexe. Trop souvent présenté noir ou blanc, il est en fait composé de multiples nuances de gris. Afin de mieux appréhender la complexité du débat, nous nous sommes penchés, dans un premier temps, sur l’expérience du Québec, champion mondial de l’euthanasie, puis sur l’importance du choix des mots et la confusion que cela entraine dans le public. Nous avons ensuite essayé de comprendre en quoi les soins palliatifs constituent un « autre chemin » pour apaiser la souffrance de la fin de vie.
À l’occasion d’un entretien, le Dr Jean-Marc La Piana, directeur de La Maison de Gardanne, nous a confié que si une loi permettant l’euthanasie et le suicide assisté est mise en place un jour en France, cela ne veut pas dire pour autant que les gens auront le choix, pour finir leur vie, entre ces solutions extrêmes et les soins palliatifs. En effet, il faudrait commencer par développer la culture palliative afin que tout le monde puisse y avoir accès comme cela est prévu dans la loi depuis 1999 – un droit pour tous.
Le Dr Jean-Marc La Piana dirige La Maison de Gardanne, un établissement de soins palliatifs pionnier en France situé près d’Aix-en-Provence. Il a fondé cette maison de soins palliatifs en 1994 pour accueillir les malades du sida. L’association a accompagné plus de 10.000 personnes en 30 ans.
« La France répond à 50 % des demandes en soins palliatifs »
« Tant qu’on ne répond pas convenablement à la demande de soins palliatifs, cette loi est dangereuse », indique le Dr La Piana, précisant que lui-même n’a « pas de notion, ni morale ni religieuse, sur la question » de l’euthanasie. Toutefois, selon son expérience personnelle, le Dr La Piana n’est pas favorable à l’euthanasie, tant que l’accès aux soins palliatifs ne s’est pas amélioré.
« Comme nous n’avons pas suffisamment d’unités de soins palliatifs, il y a des gens vivant une détresse majeure qui ne pourront pas aller en soins palliatifs », se désole le médecin. « Ils finiront par choisir le suicide assisté ou l’euthanasie, alors que la meilleure formule serait peut-être de leur donner accès aux soins palliatifs. »
Le jour où nous avons parlé avec le Dr La Piana, La Maison comptabilisait plus de trente demandes. Une seule place allait se libérer deux jours plus tard. L’établissement étant très connu, il reçoit un plus grand nombre de demandes qu’ailleurs.
« Si on fait le bilan sur l’année plutôt que sur cette journée, on prend en moyenne un malade sur trois. Sur un malade sur trois, il y a deux demandes qui sont justifiées, donc on en prend un sur deux. Le troisième connaît en général une situation complexe et ce n’est pas justifié qu’il vienne chez nous », détaille le médecin.
Globalement, si l’on considère le nombre de demandes sur une année, « la France répond à 50 % des demandes au jour d’aujourd’hui », explique le directeur de La Maison. « On prend un malade sur deux. »
Avoir la possibilité d’accéder à un choix
« Je pourrais presque dire : ‘Pourquoi pas une loi comme celle-là, si les gens ont un véritable choix’. L’État dit aux malades : ‘Vous avez le choix, soit vous allez en soins palliatifs, soit vous avez l’euthanasie ou le suicide assisté’. Mais ce n’est pas vrai, il n’y a pas de choix parce que si quelqu’un est en souffrance et qu’il dit : ‘Je vais d’abord essayer les soins palliatifs’, il n’y a pas de place », constate le médecin.
Lorsqu’il a fait remarquer à la ministre que des patients risquaient de se tourner vers l’euthanasie ou le suicide assisté par manque de places en soins palliatifs, on lui a répondu : « C’est le problème du médecin de trouver une place ».
« Non, ça ne marche pas comme cela. S’il n’y a pas de place, il n’y a pas de place ! » s’insurge le Dr La Piana. Il ajoute une question éthique liée au manque de places : « Et si j’ai plusieurs demandes, pourquoi est-ce que c’est ce malade qui passera en priorité ? »
« Il faut faire attention à ce que le suicide assisté et l’euthanasie ne soient pas une manière de répondre à la mauvaise qualité des soins ou au mauvais accès des soins », insiste-t-il. « Même si je n’y suis pas favorable, il faudrait que ce cela puisse peut-être exister un jour. Mais à ce moment-là, il faudrait que cela s’adresse aux personnes ayant réellement eu un choix dans leur vie et ayant eu la possibilité d’accéder à ce choix. »
Développer la culture palliative
Le manque flagrant de places en soins palliatifs ne veut pas dire qu’il faudrait multiplier par deux le nombre de lits de soins palliatifs, selon le directeur de La Maison de Gardanne. Cela signifie plutôt qu’il faut développer la culture des soins palliatifs afin de permettre aux personnes qui le désirent de recevoir ces soins dans leur lieu de vie si tel est leur souhait.
« La culture palliative, ce n’est pas forcément une formation, c’est du compagnonnage », précise le Dr Jean-Marc La Piana. Il est important que le soignant soit confronté à la réalité, bien accompagné, pour qu’il ne se retrouve pas en difficulté quand il rencontre une situation inhabituelle. « Il y a une formation de base, c’est une chose ; mais le compagnonnage, c’est ce qui va permettre d’être vraiment au plus près de la situation et d’aider les soignants ainsi que le personnel des maisons de retraite là où ils sont. »
À la question de savoir s’il y a assez de mentors actuellement pour assurer ce compagnonnage, le directeur remarque qu’il y a un creux de génération par manque de médecins et de soignants. Certains, comme lui, vieillissent. « Heureusement, les jeunes générations sont là, elles ont l’air de s’intéresser aux soins palliatifs », se réjouit-il. Concrètement, cela se traduit par le fait que l’établissement a de moins en moins de difficultés à trouver des internes, ces derniers choisissant d’eux-mêmes La Maison.
« Pour beaucoup de gens, les soins palliatifs, c’est une médecine de l’abandon, alors qu’au contraire, c’est une médecine extrêmement active. On a une autre vision de la prise en soin de la personne, mais ce n’est certainement pas la médecine de l’abandon. C’est un métier passionnant », estime le généraliste, lui-même passionné de ce domaine.
Que ce soit pour les médecins, les infirmiers ou les aides soignants, « c’est un métier dans lequel on peut redorer son blason de soignant, parce qu’on retrouve une qualité relationnelle autant dans les équipes elles-mêmes qu’avec les patients et l’entourage des patients ».
« Souvent, on est un peu paniqué dans l’accompagnement des personnes en fin de vie ou des personnes qui vont mourir, parce qu’on a peur de mal faire. On va hospitaliser le malade ailleurs, à l’hôpital, aux urgences, alors qu’il valait peut-être mieux le garder sur place. Mais pour cela, il faut quand même mettre en place des formations de façon plus importante, à la fois sur le plan universitaire et dans les lieux où les gens vivent. »
« La culture palliative ne doit pas être une culture de l’accompagnement des gens pour lesquels il reste peu de temps à vivre. Les soins palliatifs ne sont pas des soins terminaux. Les soins palliatifs doivent démarrer beaucoup plus tôt dans la prise en soins des malades, dès que ces derniers ont une maladie qui risque d’être grave ou mortelle », explique-t-il, rejoignant le point de vue du Dr Océane Dantec.
« Il faut que la culture palliative se diffuse partout pour que les gens puissent mourir là où ils vivent, si c’est leur choix bien sûr », conclut le directeur de l’établissement de soins palliatifs.
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