ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, l’écrivain et cofondateur du programme « Lire et faire lire » Alexandre Jardin analyse les raisons pour lesquelles certains jeunes sombrent dans la violence. Pour le romancier, la non-maîtrise de l’écriture et de la lecture peut conduire à la violence.
Epoch Times – Alexandre Jardin, l’actualité a été marquée par des actes d’une rare violence commis par des individus très jeunes. La jeune Samara passée à tabac à Montpellier et Shemseddine frappé à mort à Viry-Châtillon. Sur l’antenne de Cnews vous avez déclaré : « Il y a une corrélation très étroite entre le niveau du lexique et la violence physique ». Pour vous, l’absence de vocabulaire conduit inéluctablement à la violence physique ?
Alexandre Jardin – Pas inéluctablement, mais statistiquement. Si vous prenez 100 adolescents qui ont très peu de mots communs avec nous, vous allez les retrouver dans les statistiques des actes violents et cela s’observe à l’œil nu.
Lorsque vous allez faire le tour des commissariats le samedi soir ou que vous traînez un peu dans les quartiers des mineurs des prisons françaises, c’est très frappant. Vous tombez sur des gens qui ne parlent pas ou qui s’expriment très mal et pire que tout, qui ne peuvent pas être concernés et impliqués dans de l’action éducative, notamment dans les cours en prison.
Vous avez co-fondé en 1999 l’association « Lire et faire lire ». Comment est-elle née ?
L’idée est très simple. Il s’agit d’une extension nationale d’un programme qui existait déjà à Brest depuis 1985. Des membres de l’Office des Retraités et des Personnes Âgées de Brest (ORPAB) ont commencé à intervenir au sein de l’école Nattier pour participer au fonctionnement de la bibliothèque et ensuite le programme s’est progressivement développé.
Pour ma part, je faisais déjà venir depuis quinze ans les retraités dans les quartiers difficiles pour transmettre le plaisir de la lecture. On s’est vraiment rendu compte que le taux d’emprunt dans les bibliothèques bondissait et que l’action éducative se portait beaucoup mieux, tout simplement parce que l’on pariait sur l’alliance entre les générations, entre les anciens et les petits.
Quand nous avons vu cela avec un certain nombre d’amis, nous avons décidé d’étendre à l’échelle nationale le programme brestois. Aujourd’hui, il s’appelle « Lire et faire lire » et chaque année, ce sont environ 20.000 personnes âgées de 50 ans ou plus qui font lire 750.000 enfants. Maintenant, l’enjeu est de faire augmenter ce chiffre. Autrement on ne va jamais s’en sortir.
Votre association a-t-elle des relais sur l’ensemble du territoire ?
L’association est présente dans les 101 départements, DOM-TOM compris. Nous avons une structure nationale qui est déjà massive. Maintenant, il faut que ça se normalise. Les retraités doivent se mobiliser pour les enfants des quartiers. L’objectif n’est pas du tout de faire de « Lire et faire lire » un programme éducatif au sens classique du terme. C’est un programme de transmission du plaisir et j’insiste là-dessus parce que c’est fondamental.
Les 30% d’enfants qui ne maîtrisent pas l’écriture et la lecture quand ils entrent au collège et ceux qu’on retrouve dans les statistiques d’actes violents sont, en général, les mêmes.
Ce sont des enfants qui sont passés par le système scolaire, mais le système n’a eu aucun effet sur eux. Et pour une raison simple, ils n’ont jamais éprouvé d’émotion devant l’écrit. Aujourd’hui, on sait que ce qui pérennise l’acquis scolaire, c’est l’accès à l’émotion par l’écrit.
Pour vous, est-ce que l’Éducation nationale ne fait plus son travail en matière d’apprentissage de la lecture et de transmission du goût de la lecture ? Les parents ont-ils également une responsabilité ?
Les ministres de l’Éducation nationale en poste disent toujours qu’il y a à peu près 30% des enfants qui ne maîtrisent pas l’écriture et la lecture à l’entrée au collège. Et quand ils en sortent, ils sont toujours 30%. On est dans des chiffres qui sont socialement insoutenables. La société ne peut pas vivre comme ça.
Et la responsabilité des parents est gigantesque. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a rien fait puisqu’il est très difficile de mener des actions de sensibilisation à l’égard des parents, notamment à cause de la structure pyramidale et technocratique de l’Éducation nationale. Elle bloque les initiatives. Les expériences qui impliquent beaucoup mieux la société, notamment les parents d’élèves, sont menées à l’échelon local, en particulier dans les communes. Mais dans un État centralisé comme l’État français, c’est très compliqué.
Les pays qui ont de meilleurs résultats n’ont pas d’Éducation nationale. Je pense à l’Allemagne et à la Suisse. Dans ces pays, il y a une grande mobilisation des acteurs locaux et une régulation par le politique. En France, quand une école ne fonctionne pas, les citoyens n’ont aucune marge de manœuvre. Un recteur qui ne dépend pas du peuple est nommé. En Suisse, cela dépend du canton. S’il y a un problème, à l’élection suivante, l’équipe au pouvoir est remerciée.
Le problème en France est donc structurel et aucun parti politique n’envisage sérieusement de confier l’action éducative à des pouvoirs publics locaux puisqu’ils sont tous jacobins. Notre échec scolaire est aussi une maladie du jacobinisme.
Vous avez également déclaré sur Cnews que le problème de la lecture se règle dès le plus jeune âge, c’est-à-dire à l’école maternelle et primaire. Mais comment fait-on pour les jeunes individus violents qui ont entre 12 et 16 ans. Est-il trop tard pour eux ?
Pour eux, je pense que le lien intergénérationnel n’est pas un bon outil. Les adolescents ne veulent pas être associés au monde des adultes et encore moins à celui des personnes âgées. Dans leur imaginaire, ils identifient ça à la petite enfance. Donc, ils cherchent à en sortir.
Je crois qu’une bonne solution pour ces jeunes serait d’en finir avec le collège unique. On ne s’en sortira pas en conservant une structure qui, malgré les milliards dépensés dans l’éducation prioritaire, ne marche pas. Encore une fois, il faut s’inspirer de ce qui fonctionne à l’étranger et regarder les pays où le chômage des jeunes est quasiment inexistant. En Allemagne et en Suisse, tout le monde est en apprentissage. Les enfants sont introduits dans le monde du travail très tôt, alors qu’en France, cela a toujours été associé à l’échec scolaire. S’ajoutent à cela un monde enseignant qui a développé un imaginaire dont l’objectif est d’éloigner les élèves du monde du travail et une bourgeoisie française qui ne souhaite pas que ses enfants entrent en apprentissage.
Le monde économique doit donc être utilisé pour aider ces jeunes. Il a une énorme fonction socialisante.
Cependant, je voudrais quand même rappeler qu’il y a en France des personnes qui ont mis en place de très bons dispositifs. Je pense notamment à l’Agence pour l’Éducation par Le Sport (APELS) qui regroupe les clubs de sport et qui travaille sur la question de la formation professionnelle. Les Français se défendent comme ils peuvent dans un système qui est structurellement défaillant.
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