ENTRETIEN – Alexandre Sabatou est député RN de l’Oise. Il revient pour Epoch Times sur le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle qui s’est tenu la semaine dernière à Paris.
Epoch Times : Alexandre Sabatou, Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissements privés français et étrangers de 109 milliards d’euros « dans les prochaines années » pour l’IA. Il entend notamment faire de la France un concurrent de taille en la matière, face aux États-Unis et à la Chine. Est-ce faisable ?
Alexandre Sabatou : Rivaliser avec les États-Unis et la Chine me semble utopique. Cela relève des effets d’annonce du Président de la République qui a du mal à être humble sur le sujet.
Dans un rapport parlementaire que j’ai co-écrit, j’expliquais justement que la France ne pourra pas rivaliser avec Washington ou Pékin. Cependant, elle peut être un grand pays du numérique et de l’IA, capable de proposer une troisième voie. Si on arrivait à donner corps à cette ambition, ce serait déjà bien.
L’IA est devenue un enjeu de souveraineté et de puissance. De quels atouts dispose la France pour s’imposer parmi les grandes puissances de ce secteur ?
Le meilleur atout de la France reste ses talents. Dans le cadre de la rédaction du rapport, mes collègues et moi sommes allés aux États-Unis et dans chaque entreprise que nous avons pu visiter (OpenAI, Nvidia, Anthropic ou Meta), nous avons rencontré des ingénieurs français.
Dans toutes les grandes entreprises de la Silicon Valley ou de l’IA et du numérique, il y avait des ingénieurs français à la pointe sur ces sujets.
L’énergie est également nécessaire pour développer cette technologie. On sait que l’IA est globalement très énergivore et dans un contexte de réchauffement climatique, avoir une énergie nucléaire abondante et décarbonée est quand même un grand plus.
Vous parlez des ingénieurs français travaillant aux États-Unis. Pourquoi quittent-ils la France ?
D’après ce que m’ont dit les Français que nous avons rencontrés outre-Atlantique, l’Europe et la France privilégient trop la régulation à l’innovation.
Ils nous expliquaient à quel point il était compliqué de se lancer en France à cause des multiples barrières existantes, tandis qu’aux États-Unis, ils pouvaient avancer. Pour autant, ils nous ont assuré que s’ils pouvaient revenir, ils le feraient. Ont-ils dit ça pour faire plaisir aux politiques que nous sommes ? Je ne sais pas.
Mais ils ont quand même ce sentiment que l’Amérique est bien différente de la France, notamment sur la question sociale. Ils sont très attachés à la France et si on les laissait au moins se lancer, créer leur entreprise et innover, ils resteraient volontiers.
Ensuite, l’autre raison pour laquelle ils partent est bien entendu financière. Les salaires sont bien plus élevés aux États-Unis qu’en France.
Comment faut-il, selon vous, appréhender l’IA et les craintes qu’elle suscite ? Une étude Ipsos-Cesi indiquait que 44 % des Français craignent une diminution des capacités cognitives et une dépendance technologique.
Depuis le début, il y a énormément de craintes au niveau de l’intelligence artificielle. En tant que fan de science-fiction, je peux affirmer que les films réalisés entre les années 1970 et 1990 ont renforcé les craintes des Français.
Toujours est-il que l’IA est une révolution. Elle est aussi importante, voire plus importante que la révolution industrielle. Pour autant, l’IA a quand même besoin de l’humain et le sujet en réalité va être de réinventer notre manière de fonctionner.
On voit bien qu’au niveau de l’école, les devoirs à la maison ne sont plus faits de la même manière, puisque l’IA a le niveau d’un doctorant sur n’importe quel sujet. Elle est donc capable de faire les devoirs d’un élève à sa place.
Mais il faut voir cet outil comme quelque chose qui nous accompagne, nous simplifie la vie. L’IA va être capable d’expliquer à l’enfant les étapes qu’il a du mal à comprendre. Pour ma part, je considère que sa principale qualité réside dans l’aspect « personnalisation ».
J’en entends souvent certains dans le milieu éducatif affirmer que tel ou tel élève ne rentre pas dans le moule. Avec l’IA, ce n’est plus l’enfant qui devra rentrer dans le moule, mais le moule qui s’adaptera à chaque enfant pour l’accompagner au mieux.
Elle va être une formidable opportunité pour rendre les élèves plus intelligents au lieu de les faire régresser. Ainsi, il va falloir repenser et imaginer une manière de faire pour intégrer l’IA dans l’apprentissage, comme assistant, plutôt que d’y voir une solution de facilité.
« Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que ça va tout remplacer », a affirmé le chef de l’État alors que le développement de l’IA pourrait engendrer la disparition de milliers d’emplois. Comment voyez-vous l’impact économique et social de l’intelligence artificielle ?
Difficile à dire. C’est l’une des questions que nous avons soulevées dans le rapport, mais personne n’arrive vraiment à répondre sur ce sujet. Certains parlent d’un point de PIB en plus, de transformation des emplois et non de remplacement de ces derniers.
Avec les éléments que nous avons à notre disposition, on ne sait pas exactement jusqu’où elle peut aller, mais ça reste une possibilité.
Je pense qu’à l’horizon 2035-2045, l’IA va être un outil d’accompagnement.
En même temps, ce qui va être intéressant, c’est que toutes les tâches un peu banales vont être réalisées par l’intelligence artificielle. Les opérateurs et les ouvriers vont pouvoir réaliser des tâches qui ont plus de sens et apporteront une plus-value plus intéressante.
Cela leur permettra même d’augmenter leur salaire. Chacun sait que l’ouvrier actuel est bien mieux payé que celui du XIXe siècle. Pourquoi ? Parce que la machine a permis de développer la productivité. Ainsi, toutes les actions faites par l’entreprise ou l’opérateur sont démultipliées et donc, ils produisent plus. En conséquence, ils sont mieux rémunérés.
Le sujet est extrêmement vaste, mais je pense sincèrement que ça va plutôt être un soutien à l’économie et à l’emploi à moyen terme plutôt qu’une chute des emplois du jour au lendemain.
Le vice-président américain, lui aussi présent à ce Sommet, a mis en garde contre une régulation excessive de l’IA. « Nous pensons qu’une régulation excessive de l’IA pourrait tuer un secteur en développement juste au moment où il prend son envol et j’aimerais qu’un air de dérégulation souffle sur les conversations lors de cette conférence », a-t-il déclaré. Qu’en pensez-vous ?
C’est un propos que nous aurions pu tenir dans le cadre de notre rapport. L’Europe est devenue championne du monde de la régulation. Mais pour quels résultats ? Pas grand-chose. À la fin, nous avons du mal à créer des géants de la tech comme aux États-Unis.
Au Rassemblement national et d’ailleurs dans le rapport parlementaire, nous avons proposé une régulation à l’échelle internationale. C’est-à-dire qu’à l’échelle de l’OCDE ou de l’ONU, nous nous mettions d’accord sur des règles de bonnes pratiques communes pour éviter des distorsions de concurrence et le blocage de l’innovation sur notre territoire.
Nous avons formulé cette proposition parce que l’IA est une technologie internationale. Par exemple, Chat GPT s’appuie sur des données du monde entier pour travailler.
Étant donné que le monde entier va être impacté par cette technologie, il est nécessaire que la régulation se fasse à l’international.
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