Alibaba rachète le South China Morning avec la bénédiction de Pékin

17 décembre 2015 13:10 Mis à jour: 17 décembre 2015 13:10

Dans le classement Forbes des milliardaires chinois, Jack Ma occupe la seconde place. Ce magnat de l’e-commerce, propriétaire de plusieurs entreprises de divertissement, a tout récemment fait l’acquisition d’un conglomérat de presse anglaise.

Le 11 décembre dernier, le groupe Alibaba, appartenant à l’homme d’affaires, a racheté le South China Morning Post (SCMP) et ses actifs médias pour la somme de 266 millions de dollars. Le journal a été crée il y a 112 ans, et possède une histoire et un pedigree de publication primées sur la Chine. Avant l’annonce officielle, les rumeurs de rachat du quotidien anglais de Honk Kong, avaient été chaudement débattues à Hong Kong.

L’achat est accueilli avec scepticisme en raison des liens étroits supposés entre Alibaba et le pouvoir chinois.

Ainsi, le jour même de l’ébruitement du rachat de SCMP, un autre magnat chinois — Guo Guangchang, à la tête du Groupe Fosun— était placé en détention pour « aider à une enquête ». La coïncidence des deux nouvelles annonces montre en filigrane les liens indissociables entre les milliardaires chinois et l’État chinois. En Chine, il est difficile voire impossible de devenir milliardaire sans le soutient tacite des fonctionnaires du Parti communiste.

La prise de contrôle de SCMP arrive au milieu d’une toile de fond où la Chine s’incruste dans l’environnement des médias de Hong Kong. L’année dernière, de grandes banques basées à Hong Kong, avaient retiré leurs publicités du quotidien Apple Daily, un tabloïd populaire de langue chinoise souvent critique à l’égard de Pékin. En Février 2014, Kevin Lau, ancien rédacteur en chef du journal en langue chinoise Ming Pao, de tendance libérale, avait été agressé par des individus non-identifiés, armés de couperets. Selon Willy Lam, un observateur de longue date du paysage chinois, plusieurs magnats du continent se sont alliés au Parti, pour créer de nouveaux groupes de presse à Hong Kong.

Dans un échange relativement franc sur l’orientation future, qui sera impulsée par la nouvelle direction, James Tsai, vice président de Alibaba, a répondu à des questions sur ce que deviendrait la ligne éditoriale. « Aujourd’hui, lorsque je regarde les médias occidentaux couvrir l’actualité chinoise », commence t-il, « je constate qu’ils le font à travers un prisme, très particulier. Ils partent du fait que la Chine est un État communiste et que tout découle de là », explique t-il.

« Beaucoup de ces journalistes qui travaillent avec ces organisations médiatiques occidentales désapprouvent le système de gouvernance en place en Chine, et cela biaise leur couverture médiatique », accuse Tsai.

Mais les responsables d’Alibaba « vont apporter une vision différente des choses ».

Que couvre cette différente vision précisément, ou comment celle-ci se traduira dans la ligne éditoriale du journal, cela n’est pas encore très claire. Les observateurs de la Chine sont majoritairement d’avis que depuis quelques années, le journal était devenu « plus rouge », ponctué par des évènements comme l’arrivée en 2012, de Wang Xiangwei . Ce dernier venu de Chine continentale, avait été nommé rédacteur en chef du journal. Wang avait au préalable exercé ses fonctions au sein de la version anglaise du China Daily, le porte-parole du régime chinois, pendant trois ans. Au cours des dernières années, les journalistes du SCMP qui se sont montrés critiques à l’égard du Parti communiste chinois (PCC), ont été soit limogés, soit fortement incités à quitter le journal. Les chroniqueurs perçus comme flirtant trop près de la ligne jaune ont vu leurs prérogatives sévèrement amputées ; ainsi, le ton général du journal est devenu beaucoup plus complaisant à l’égard de Pékin.

La vente du SCMP à Alibaba, semble finaliser et officialiser cette transition. Selon le New York Times, « le cerveau de l’opération » serait Eric X. Li, connu comme défenseur et porte-voix acharné de la ligne du PCC. Il aurait conseillé Alibaba, dans le processus de l’acquisition. Dans une interview, il donne son point de vue en ses termes : « les occidentaux s’adonnent à une couverture médiatique trop idéologique et biaisée de la Chine ». Avec Alibaba, le SCMP pourra « offrir aux lecteurs une vision globale, pluraliste et plus réaliste du pays ».

Que ce soit simplement une manière détournée de la ligne du parti communiste de se présenter sous une forme acceptable pour un lectorat occidental sophistiqué est encore flou —mais c’est l’hypothèse dominante auprès des observateurs.

Le 11 décembre, jour du rachat du médias, l’annonce a été publiée sur la page Facebook de SCMP, à Hong Kong. Jusqu’à minuit, aucun des 40 commentaires postés sur le réseau social de SCMP n’était positif.

Ainsi, Maria L. Yau s’insurgeait : « comment pouvez-vous garantir l’indépendance éditoriale du journal, sachant que c’est l’État Chinois qui est derrière l’achat d’Alibaba ?! ».

Ling Lui amer, fustigeait à son tour : « dans votre prisme, la pollution de l’air est la norme, la justice est pervertie, la vérité n’est pas une bonne chose, la corruption est la culture générale. On peut faire du commerce avec des aliments avariés, et la voie du combat est pour vous la solution aux problèmes ».

« Repose en Paix, SCMP », a résumé un autre.

« Je ne pense pas que cela va être bon pour le journal », prédit un journaliste occidental, ancien de SCMP pendant de nombreuses années. « Je ne crois pas au fait que l’entreprise de Jack Ma sera disposée à en faire un journal objectif ». L’ancien de la maison SCMP, qui veut garder l’anonymat en raison son emploi actuel, poursuit son analyse : « James Tsai, s’appuie sur l’idée de la partialité des médias occidentaux. D’emblée, c’est un mauvais signe. Pour moi, les journalistes occidentaux couvrent l’actualité chinoise exactement de la même façon qu’ils couvrent les informations sur les pays occidentaux, sans aucune différence. Un certain nombre de journalistes continentaux et Hongkongais, ont quitté le SCMP parce qu’ils s’y sentaient frustrés. Ce n’est pas vraiment un problème de partialité des médias occidentaux ».

La première parution du SCMP remonte au 6 novembre 1903, à l’époque coloniale de Hong Kong. Pendant plusieurs décennies, ce journal avait été considéré comme le journal de langue anglaise, offrant la meilleure couverture de cette ville méridionale chinoise et une publication de premier plan dans toute la région. En 1987, la News Corporation du magnat australien Rupert Murdoch, s’est emparée de l’entreprise privée. Dans les années 1990 et au début des années 2000, le journal s’est montré très rentable. Il a généré à son apogée en 1997, environ 100 millions $ (environ 200 millions $, en dollars actuel), et se vantait d’être tiré à environ 500 000 exemplaires, rappelle Quartz. Au cours des dernières années, sous la propriété de Robert Kuok, magnat du sucre malaisien, qui possède de vastes intérêts commerciaux en Chine, la réputation du papier a décliné, et il s’est vu reproché sa grande proximité avec Pékin.

La capacité du journal à produire des articles objectifs et de qualité a probablement été compromise par un exode des membres de la rédaction. Le Hong Kong Free Press, qui cite des sources internes au journal, affirme qu’au moins une quarantaine de membres du personnel, avait quitté le navire au cours des sept derniers mois.

Pour le journaliste occidental, « la situation actuelle est telle, que dans une certaine mesure, les informations sont déjà censurées ». Et de terminer : « lorsque Jack Ma, aura le contrôle effectif, je ne vois aucune raison pour qu’il ne serre pas la vis, un peu plus ».

 

Version anglaise : The Implications Of Ali Baba Takeover Of The South China Moring Post

 

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