Anton Bruckner et son incomparable musique sacrée

Par Raymond Beegle
23 avril 2025 07:13 Mis à jour: 25 avril 2025 08:13

Compositeur humble, fantasque et profondément spirituel, Anton Bruckner fut un génie tardif dont les œuvres éthérées ont transformé le monde de la musique sacrée.

Il est curieux de constater que les plus belles œuvres d’art naissent souvent de personnalités peu gracieuses. Chez le compositeur autrichien Anton Bruckner, la gaucherie et la physionomie quelconque prêtaient à sourire, même pour ses amis les plus dévoués.

Origines

Jusqu’à l’âge de 46 ans, Bruckner (1824–1896) vécut dans les contreforts alpins de Haute-Autriche, où la nature s’étend à perte de vue sous un ciel infini. Élevé dans la foi catholique, dans la tradition de ses ancêtres, il conserva jusqu’à la fin une piété inchangée, presque médiévale. La nature grandiose et l’Église formaient les fondations de son être.

À 12 ans, il connut la pauvreté et l’humiliation à la mort de son père : sa mère, sans revenu, dut travailler aux champs pour nourrir la famille. Quatre ans plus tard, le jeune Bruckner devint instituteur adjoint dans le village de Windhaag. En plus de l’enseignement, il jouait de l’orgue pendant les offices, sonnait les cloches à 4 h du matin et épandait du fumier. Son salaire étant dérisoire, il jouait du violon jusque tard dans la nuit pour les bals et fêtes villageoises. Il subissait quotidiennement les injures de son supérieur, homme fruste et méprisant. Cette vie rude et injuste contrastait vivement avec sa vie intérieure, empreinte de beauté, de foi et de bonté.

The birthplace of Anton Bruckner still stands in Ansfelden, Austria. (<a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Dergreg:~commonswiki">Dergreg:</a>/<a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.en">CC BY-SA 3.0</a>)
La maison où est né Anton Bruckner existe toujours, à Ansfelden, en Autriche. (Dergreg:/CC BY-SA 3.0)

Après divers postes modestes dans des écoles et des églises, il fut nommé organiste à la grande cathédrale de Linz, puis professeur de composition au Conservatoire de Vienne. Mais ce n’est que tardivement qu’il reçut l’honneur et la reconnaissance qu’il méritait.

Le caractère de Bruckner

Simple, humble et pieux, Bruckner conserva ses habitudes provinciales, tant dans son langage que dans son habillement. Il restait en bien des aspects un enfant, débordant d’un enthousiasme sincère, parfois incontrôlé. Il aimait danser, bien manger et rire avec ses amis. Mais Bruckner était un génie, et le génie l’entraînait, lentement, vers des horizons insoupçonnés.

Le génie est un fardeau : il enferme l’âme dans des pensées plus hautes que celles des hommes ordinaires. Il engendre souvent l’excentricité. On vit Bruckner s’éprendre de jeunes filles naïves, bien trop jeunes pour lui, ou compter obsessionnellement les feuilles d’un arbre ou les statues d’un parc. Il s’arrêtait soudainement pour prier dans la rue ou en pleine salle de classe dès qu’une cloche d’église sonnait. Wagner lui reprochait d’applaudir trop fort aux concerts.

Bruckner lived in the St. Florian Monastery while a choirboy and, at times, when he was an adult. (<a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Bwag">C.Stadler</a>/<a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en">CC BY-SA 4.0</a>)
Bruckner a vécu au monastère de Saint Florian en tant qu’enfant de cœur, puis parfois aussi dans sa vie adulte. (C.Stadler/CC BY-SA 4.0)

Le monde intérieur de Bruckner était tout autre : vaste, dramatique, volcanique. Il connaissait les sommets de l’extase comme les abîmes du désespoir. Peut-être avait-il conscience du prix qu’exige le don créatif.

S’il est un homme qui incarne les Béatitudes, c’est bien lui : pauvre en esprit, doux et pur de cœur — autant de vertus qui lui ouvraient les portes du “Royaume des Cieux”. Il appartenait à ce royaume et ne faisait que de rares incursions dans celui du monde terrestre.

Les Russes ont un mot pour désigner un tel homme : Yurodivy, qu’on pourrait traduire par “saint fou”. Il est ce mendiant inspiré dans Boris Godounov de Pouchkine, ou le Prince Mychkine dans L’Idiot de Dostoïevski. Sur les rares photos de Bruckner, il semble absorbé, le regard tourné vers une réalité supérieure que seule sa musique nous laisse entrevoir. Il écrivait par nécessité intérieure, comme s’il avait reçu un ordre de Dieu. Il ne composa jamais pour l’argent.

Les symphonies de Bruckner

Mozart composa sa première symphonie à 8 ans. Bruckner, lui, attendit ses 42 ans. Son œuvre fut d’abord incomprise, jugée trop longue. Tandis que la plus longue symphonie de Brahms dure 50 minutes, celles de Bruckner dépassent parfois les 80 minutes. Des amis bien intentionnés le poussèrent à modifier certaines partitions pour les rendre plus accessibles aux chefs d’orchestre. Il le fit parfois, à contrecœur, tout en conservant soigneusement les versions originales.

Il écrivit :
« On me demande de composer autrement. Je le pourrais, certes, mais je ne le dois pas. Dieu m’a choisi parmi des milliers, et m’a donné ce talent, à moi ! C’est à Lui que je dois rendre des comptes. Comment me tiendrais-je devant Lui si j’avais obéi aux hommes plutôt qu’à Lui ? »

Ses neuf symphonies présentent peu d’évolution stylistique : il portait déjà en lui la forme définitive. Monumentales mais souples, elles ressemblent moins à des colonnes gothiques qu’à de grands arbres enracinés dans l’Alpe natale, parcourus par des nuées d’émotions, et dominés par la présence divine.

Bruckner in a photograph circa 1892. His unshakable faith contributed to the harmonies and dissonances in his music. (Public Domain)
Bruckner aux alentours de 1892. Sa foi inébranlable a contribué aux harmonies et dissonances de sa musique (Domaine public)

Une musique sacrée incomparable

Ses grandes promesses musicales se réalisent dans ses trois grandes Messes, qui révèlent une nouvelle relation entre l’homme et son Créateur : tendre, intime. Les prières ne sont pas tremblantes de peur, mais pleines de confiance et de regret sincère.

Les Credo (“Je crois”) s’enchaînent avec une unité et une fluidité rares : les articles de foi ne sont pas des dogmes figés, mais jaillissent du cœur. Les Gloria, (“Gloire à Dieu”) dévoilent peut-être le plus fidèlement sa vision : une joie exaltée, haletante, comparable seulement au Gloria de la Missa Solemnis de Beethoven.

Even today, the organ at St. Florian Monastery is called the Bruckner Organ in memory of composer Anton Bruckner. (<a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Bwag">C.Stadler/Bwag</a>/<a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en">CC BY-SA 4.0</a>)
Aujourd’hui encore, l’orgue de Saint Florian s’appelle l’orgue de Bruckner, (C.Stadler/Bwag/CC BY-SA 4.0)

« La majesté incompréhensible de Dieu », écrit-il dans son Te Deum, transparaît dans chaque note. Cette œuvre était sa préférée. Sa foi inébranlable, incarnée dans une musique d’une puissance stupéfiante, est un rocher auquel s’arrimer. À travers elle, il semble nous dire :
« Regardez cela ! Comment pouvez-vous ne pas croire ? »

On a parfois l’impression que la pièce dans laquelle on se trouve a moins de réalité que cette musique qui nous traverse.

Les Écritures racontent que les anges et messagers de Dieu chantèrent Gloire à Dieu. Bruckner, simple mortel mais messager lui aussi, chanta cette gloire — et la fit entendre au monde.

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