Juin 2013, nord de la Syrie. La voiture des journalistes Édouard Elias et Didier François est arrêtée. « Cagoule sur la tête, mains dans le dos, on nous embarque dans une camionnette », raconte le premier ex-otage mercredi à la barre. « Je vois les mains de Didier trembler et je me dis que ça pue ».
Édouard Elias est photographe, il a 33 ans. Il en avait 22 en 2013 quand il a été enlevé par le groupe jihadiste naissant État islamique, raconte-t-il devant la cour d’assises spéciale de Paris.

La camionnette s’arrête. « A genoux, ‘Allah Akbar’, la kalachnikov sur la tête, clac. Premier simulacre d’exécution, ça fait bizarre », mais « on s’habitue », précisera-t-il plus tard.
Attachés à un radiateur pendant quatre jours, sans eau ni nourriture
Arrivés dans leur premier lieu de détention, ils sont attachés dans des pièces séparées à un radiateur pendant quatre jours, sans eau ni nourriture. Se font tabasser.
« On a aucun répit. A côté on entend des hurlements à mort on sait pas ce qu’il se passe. On est des loques », décrit d’une voix rapide et calme Édouard Elias, grand, fin, chemise blanche sous une veste noire.
Ensuite ils sont emmenés à l’hôpital d’Alep (ils l’apprendront plus tard), transformé en prison.
« Un abattage systématique de Syriens »
Là, c’est l’enfer : « c’est continuellement, continuellement, des cris de gens en train de mourir. Tout le temps, le jour la nuit, un abattage systématique de Syriens. C’était une machine, une horreur absolue ».
Dans les couloirs, des rangées d’hommes suspendus au plafond – les images de la vidéosurveillance de l’époque ont été diffusées à l’audience la veille – frappés par des gardiens à grands coups de bâtons.
Au sol, des « monceaux d’êtres humains en train de geindre, des cadavres vivants ». Les otages occidentaux sont privés de nourriture et frappés – « je vois mon visage en cellule, il est bleu, littéralement bleu » – mais se rendent vite qu’ils sont « à part », qu’ils ont de la valeur et qu’on ne les tuera pas comme ça, dans un sous-sol d’hôpital parmi des milliers d’anonymes.
« J’entendais des gens hurler, ils ont égorgé des gens juste devant ma porte ». Il s’arrête un instant. « Là c’est compliqué car je sais pas où est Didier » François.
« Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne »
Et puis un jour il entend un cri en français dans une cellule voisine. « AMI ! », a crié la voix.
« Et je sais pas ce qui me prend, je me mets à chanter. ‘Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne’ « , entonne Édouard Elias, reprenant le Chant des partisans dans le micro.
« Et là Didier reprend et chante avec moi, et je comprends qu’il est à côté de moi. Et je ne suis plus seul ».
Il poursuit son récit, les changements de lieux de détention, les retrouvailles avec les autres otages – « John (Cantlie), Federico (Motka), James (Foley), David (Haines) », énumère-t-il. Les deux derniers seront exécutés à genoux les mains derrière le dos en tenue orange, dans des vidéos de propagande qui avaient révélé au monde la cruauté de ce nouveau groupe jihadiste. Édouard Elias a presque fini son témoignage.
« Cette voix, c’est celle que j’ai entendue en Syrie »
« Il y a une voix que j’ai entendue ici, dans cette salle. Je l’ai reconnue formellement », dit-il sans un regard pour Mehdi Nemmouche dans le box, qui a lui soutenu n’avoir « jamais » été geôlier.
« Cette voix » dit-il sans prononcer son nom, « c’est celle que j’ai entendue en Syrie, je suis formel parce que c’est au fond de mes tripes ».
« C’est la voix qui m’emmerdait pendant des heures », qui « me terrorisait, qui me faisait chier en cellule ». Celle de celui « qui parlait trop, qui parlait tout le temps, qui disait ‘mon ptit Didiiiier’ « , imite Édouard Elias d’un ton chantant.
« Cette diction, cette tournure de phrases, ce cynisme, cette arrogance, cette forme d’ironie : ‘Je suis un ancien délinquant reconverti en nettoyeur ethnique islamique’ « , reproduit-il encore.
« Dès que cette personne parle, je ressens cette peur »
Et physiquement ?, demande plus tard le président Laurent Raviot. Cette fois Édouard Elias se tourne vers le box.

« Levez-vous », dit le président à Mehdi Nemmouche. Les deux hommes se toisent, pendant de longues secondes, à trois mètres l’un de l’autre. « Il était cagoulé je peux pas dire, je sais pas ». Mais « dès que cette personne parle », dit-il portant sa main au cœur, « je ressens cette peur ».
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.