Nous traversons une période marquée par un discours ambiant économique et politique autour de la capacité d’initiative, de la nécessité de l’élan entrepreneurial, des nouvelles formes de rapport à l’activité et de nouvelles formes d’engagement. Dans ce contexte, mobiliser quelques références conceptuelles fortes capables de donner du sens à ces nouvelles perspectives prend tout son sens.
Les notions d’auto-efficacité, désirabilité, faisabilité, propension à agir qui sont des dimensions clefs mobilisées dans les travaux de recherche en entrepreneuriat offrent des repères de compréhension utiles au décodage des intentions. Elles apportent un cadre de référence à ce mouvement de fond autour de la nécessité de mobiliser autrement les talents de chacun.
L’apport de Bandura et de la théorie sociocognitive
Albert Bandura, l’un des plus célèbres psychologues américains, est au fondement du courant sociocognitiviste au cours des années 1970. Il place l’individu au cœur d’une dynamique d’interactions entre facteurs cognitifs, comportementaux et contextuels. Les sujets sociaux apparaissent ainsi à la fois comme les producteurs et les produits de leur environnement. L’approche sociocognitive (ou psychologie sociale cognitive) « s’appuie sur le postulat que la cognition est sociale, au sens où l’ensemble des processus de production de connaissances sont intrinsèquement, inévitablement et profondément sociaux » (Lauriol, 1996, p. 5).
Bandura (1992) a montré que le sens de la compétence et la croyance de pouvoir mettre en œuvre un comportement cible, constituent une attitude puissante qui conduit à la prise de décision, il a ainsi introduit la notion d’auto-efficacité.
L’auto-efficacité est le sens de sa propre compétence, c’est-à-dire la croyance qu’il est en notre pouvoir de faire quelque chose de spécifique (Bandura, 1997, 2001). C’est la croyance d’un sujet en sa capacité d’accomplir efficacement certaines activités et de prendre des responsabilités (Chen et coll., 1998 ; Markman et Baron, 2001).
C’est aussi la conviction qu’un individu a lui-même d’être capable d’organiser et de réaliser les actions nécessaires à l’accomplissement d’un but. (Bandura, 1997, cité par Karsenti et Larose, 2001). La notion d’auto efficacité, (comme celle de lieu de contrôle interne), est également une variable cruciale pour le processus de rebond face à l’adversité et l’épreuve.
Auto-efficacité et entrepreneuriat
En 1994, Boyd et Vozikis ont proposé l’idée que l’auto-efficacité joue un rôle important dans le développement des intentions et des actions entrepreneuriales et Krueger et Brazeal (1994) ont proposé l’idée que l’auto-efficacité permet de prévoir ainsi le potentiel entrepreneurial.
Si nous examinons plus précisément les travaux, qui ont donc été menés pour étudier le rôle que peut jouer l’auto-efficacité dans l’étude de l’entrepreneuriat, les résultats ont été les suivants :
- l’auto-efficacité est une variable cognitive déterminante dans l’évaluation du comportement entrepreneurial (Levander et Racuia, 2001) ;
- l’auto-efficacité est fondamentale pour s’engager dans des activités entrepreneuriales (Markman et Baron, 2001) ;
L’auto-efficacité entrepreneuriale est la perception de la confiance des entrepreneurs en eux-mêmes, dans leurs propres capacités entrepreneuriales, avant qu’ils ne soient disposés à se lancer dans les affaires (Bandura, 1986). La perception de l’auto-efficacité est un antécédent essentiel de l’opportunité perçue (Krueger et Dickson, 1994).
- les individus ayant un sentiment élevé d’auto-efficacité considèrent les situations comme des opportunités réalisables (Bandura, 2001) ;
- les entrepreneurs comparés aux non-entrepreneurs ont un fort sentiment de maîtrise de leur avenir (Brockhaus, 1982) ;
- la notion d’optimisme entrepreneurial est liée à la croyance en l’auto-efficacité (Krueger et Dickson, 1994 ; Krueger et Brazeal, 1994).
Sentiment d’efficacité personnelle et besoin d’accomplissement
Les personnes qui ont un faible SEP (sentiment d’efficacité personnelle) dans un domaine particulier, évitent les tâches difficiles qu’elles perçoivent comme menaçantes. Elles manifestent de faibles niveaux d’aspiration et une implication réduite par rapport aux buts qu’elles ont choisi d’atteindre.
Confrontées à des difficultés, ces personnes butent sur leurs potentielles défaillances personnelles, sur les obstacles et sur les conséquences négatives de leurs actes plutôt que de se concentrer sur la façon d’obtenir un résultat plus satisfaisant.
Elles ont tendance à diminuer leurs efforts et se découragent plus rapidement face aux difficultés. Elles sont plus lentes à retrouver leur sens de l’efficacité après un échec. Elles considèrent un résultat insatisfaisant comme la marque d’une déficience d’aptitude et le moindre échec est de nature à entamer leur propre conviction en leurs capacités.
Le cumul de ces caractéristiques réduit les opportunités d’accomplissement et expose l’individu au stress et à la dépression. La question du sentiment d’auto efficacité est donc sous cette forme un facteur déterminant, pour un individu qui veut redonner un nouvel élan à sa vie.
Au contraire, un SEP élevé renforce les besoins d’accomplissement et le bien-être personnel de plusieurs façons. Les personnes avec une forte assurance concernant leurs capacités dans un domaine particulier considèrent les difficultés comme des défis à relever plutôt que comme des menaces à éviter.
Ces individus se fixent des buts stimulants et maintiennent un engagement fort pour les atteindre. Ils augmentent et maintiennent l’engagement dans l’effort face aux difficultés et recouvrent ainsi rapidement leur sens de l’efficacité après un échec ou un retard.
L’échec est considéré comme dû à des efforts insuffisants ou à un manque de connaissances ou de savoir-faire qui peuvent être acquis, et non qu’une fatalité. Les situations menaçantes sont ici approchées avec assurance, car les individus estiment exercer un contrôle sur celles-ci.
Cet ensemble de caractéristiques d’auto-efficacité favorise les accomplissements personnels, réduit le stress et la vulnérabilité. Nous rejoignons là la problématique de la Résilience. Les personnes résilientes ont forgé leur sentiment d’efficacité personnelle à travers les épreuves et développent précisément, la capacité à conserver le cap pour atteindre les objectifs fondamentaux, sans jamais relâcher leur attention, même si parfois des moments de découragement peuvent se faire sentir.
Le passage à l’acte entrepreneurial
Ces travaux mettent en évidence que posséder un sentiment d’auto-efficacité favorise la reconnaissance d’opportunités chez l’entrepreneur.
Le choix de créer se fera en fonction de trois éléments :
- les perceptions de désirabilité : Elles représentent le degré d’attraction personnelle de créer son entreprise. Les croyances de désirabilité sont doubles. Elles comprennent les croyances relatives aux conséquences de la création d’une entreprise d’une part et les croyances relatives à l’environnement social d’autre part (Ajzen, 1991, Shapero et Sokol, 1982) ; la notion de la désirabilité est également très intéressante pour la problématique du rebond à la suite d’une confrontation violente à l’échec, car en effet elle s’articule parfaitement avec la reconquête de l’estime de soi.
- les perceptions de faisabilité : Elles reflètent le degré de croyance de l’individu dans le fait qu’il est personnellement capable de créer une organisation.
- la propension à agir : Shapero conçoit « la propension d’agir » comme une disposition personnelle d’agir selon ses propres décisions. Ainsi, la propension d’agir reflète la composante délibérée de l’intention. Conceptuellement, cette propension dépend des perceptions de contrôle des conséquences de son comportement sur l’environnement et le contexte. Cette notion qui est au cœur de l’intention semble aussi de nature à nourrir le processus de reconstruction, qui passe par de nouveaux talents acquis aussi lors de la traversée des épreuves et de l’affrontement de l’adversité. Un personnage comme Steve Jobs incarne parfaitement cette notion.
Ces notions ont toute leur place dans une approche de développement de la culture entrepreneuriale partagée et dans la façon de faire émerger et de renforcer ces qualités majeures au sein des jeunes générations.
Marie-Josée Bernard, Professeure en Management – Leadership — Développement humain , EM Lyon
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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