Si le référendum a simplement consisté à choisir entre le oui et le non, le Brexit est de plus en plus compliqué. Il place le Royaume-Uni face à son plus grand défi constitutionnel depuis des siècles et met les institutions non élues sous l’ire publique.
Dans un cas qui fera date, la Cour suprême britannique a tenu cette semaine une audience pour savoir si le gouvernement doit d’abord tenir un vote au Parlement avant de pouvoir déclencher l’article 50 qui lance le processus officiel de sortie de l’Union européenne.
Mais indépendamment de la décision de la Cour suprême, il y a de nombreux autres pièges constitutionnels latents, notamment ceux concernant la Chambre des Lords non élus, pouvant entraver les avancées du Brexit et mettre à l’épreuve les limites de la constitution non écrite de la nation.
Le Parlement dispose de deux chambres qui adoptent les lois. La Chambre des communes, composée de députés élus, et la Chambre des Lords non élue, dont 10 % des membres le sont en vertu d’un droit d’aînesse, qui a été périodiquement menacé de réforme fondamentale et longtemps méprisé comme un anachronisme antidémocratique.
Or selon Andrew Henshaw, un avocat des affaires de droit public qui a conseillé le gouvernement et les clients privés en la matière, si le Parlement vote l’article 50, la Chambre des lords peut retarder le Brexit d’un an — au risque d’affaiblir l’élan politique.
« La Chambre des Lords peut jouer un rôle très pertinent, puisqu’il est de notoriété publique qu’au sein de la Chambre des Lords, un certain nombre de personnes ne sont pas enthousiasmées par un Brexit ou par un Brexit dur », a-t-il expliqué.
Même si la Cour suprême déclare que le gouvernement peut contourner un vote au Parlement, la Chambre des Lords pourrait encore frustrer l’adoption de la législation ultérieure nécessaire à la promulgation du Brexit.
Si le public les perçoit comme des aristocrates non élus qui tentent d’interférer avec le processus d’une ultime consécration de la souveraineté arrachée des mains des technocrates non élus de l’UE, cela pourrait provoquer une collision frontale avec le gouvernement.
Le gouvernement pourrait alors être tenté d’annihiler les pouvoirs des Lords de retarder l’adoption de la loi. « Nous serions dans la même situation qu’en 1911 », a explique Henshaw, en référence à un affrontement constitutionnel avec le gouvernement qui a fini par octroyer aux Lords leurs pouvoirs actuels.
Les Lords pourraient frustrer le Brexit, non pour des raisons politiques, mais pour simplement jouer leur rôle traditionnel d’exposer les problèmes constitutionnels avec la législation, en tant qu’experts en matière de droit.
« La Chambre des Lords est le garant de la constitution et dispose de son propre Comité de la Constitution », explique Robert Hazell, professeur en matière de gouvernement et de la constitution à l’Université de Londres.
Dans un message électronique, il explique que « cette chambre est moins politique que la Chambre des communes et se compose en effet de quelque 200 membres qui sont des experts non politiques ».
Pour Jo Murkens, professeur agrégé de droit à la London School of Economics et également spécialiste en droit constitutionnel, la réforme de la chambre est attendue depuis longtemps. Il estime qu’il y a un cruel défaut en matière de pouvoirs démocratiques, mais les Lords doivent néanmoins suivre leur rôle constitutionnel traditionnel.
Il est en désaccord avec la majorité qui prédit une crise constitutionnelle si la Chambre des Lords contrecarre les plans du gouvernement. D’après lui, c’est tout le contraire — si les Lords ne se prononcent pas sur les questions constitutionnelles de la législation du Brexit, alors une crise constitutionnelle « surgirait » nécessairement.
« L’examen par la Chambre des lords de l’agenda du gouvernement est susceptible de révéler des questions passées sous silence, mal pensés, ou imprévues, etc. Tout d’un coup, la détermination affichée par le gouvernement (le Brexit c’est le Brexit) pourrait être ouvertement remise en question, ce qui serait politiquement embarrassant pour le Premier ministre. Et cela pourrait certainement retarder son calendrier », a estimé Murkens dans un courriel.
Si la Cour suprême statue que le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du Nord obtiennent chacun un vote sur l’Article 50, une crise constitutionnelle pourrait également voir le jour. « Le Parlement écossais refuserait le consentement, sur la base que 62 % des Écossais ont voté pour rester dans l’UE » croit Hazell. « Ce qui déclencherait une confrontation frontale avec l’Ecosse et rouvrirait la question de l’indépendance écossaise ».
Henshaw estime que les limites constitutionnelles sont mises à l’épreuve non pas parce que la constitution n’est pas codifiée ou est particulièrement inadéquate, mais simplement en raison de la vaste portée et de la complexité du Brexit elle-même.
Au-delà de la Cour suprême et des Lords, le Brexit continuera d’exercer une pression et une surchauffe de la politique et de la constitution dans un plasma imprévisible.
Pour Catherine Barnard, professeur de droit de l’UE à l’Université de Cambridge, les questions constitutionnelles et politiques sont étroitement liées et très complexes.
« Rien n’est simple avec le Brexit », précise-t-elle. « Nous ne disposons pas d’une constitution écrite et des questions majeures se posent au sujet des pouvoirs décentralisés. Même si nous avions une constitution écrite, je doute qu’elle nous fournisse un canevas efficace lorsque l’on quitte une organisation comme l’UE ».
Même si le gouvernement, les tribunaux et les deux chambres du Parlement s’accordent parfaitement, le processus ne sera pas simple. Le droit britannique et le droit de l’UE sont « extraordinairement alambiqués », fait constater Barnard, ajoutant que« le processus de désenchevêtrement est absolument colossal ».
Et de conclure : « Nous sommes dans de nouvelles eaux constitutionnelles. En temps de paix, c’est le plus grand défi de la fonction publique ».
Version anglaise : Brexit: Out of the Political Frying Pan, Into the Constitutional Fire
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