En annulant la construction d’une première université entièrement en langue française, le gouvernement de la province de l’Ontario a ravivé les tensions linguistiques au Canada et placé les francophones de tout le pays sur le pied de guerre. Attendue depuis longtemps par les quelque 600.000 francophones de la province (4% de la population), cette université de 3.000 étudiants devait voir le jour dès 2020 à Toronto, capitale de l’Ontario et métropole économique du Canada.
Mais les conservateurs du Premier ministre Doug Ford, régulièrement décrit comme un « mini-Trump », ont enterré le projet la semaine dernière, en invoquant des contraintes budgétaires. Ils ont également mis fin aux subventions destinées à des troupes de théâtre de langue française. Pour nombre de francophones (8 millions de personnes sur 37 millions de Canadiens), ces mesures sont vécues comme des « attaques » à l’encontre de « l’un des deux peuples fondateurs » du Canada, pays officiellement bilingue français-anglais.
Doug Ford, frère de l’ex-maire toxicomane de Toronto Rob Ford, a nié vouloir s’en prendre aux droits de la minorité francophone de cette province, la plus nombreuse au Canada hors Québec. Ces mesures « n’ont rien de personnel contre les Franco-Ontariens. Ce sont de bonnes personnes », a-t-il plaidé à la presse. En annulant la construction de l’université francophone, l’Ontario, qui croule sous les déficits, va économiser 80 millions de dollars sur sept ans, a fait valoir M. Ford.
Ses justifications n’ont aucunement convaincu les francophones, ni le gouvernement du Québec, ni le gouvernement fédéral de Justin Trudeau. « Ça me préoccupe beaucoup. J’ai passé beaucoup de temps à jaser avec des gens qui parlent français partout au Canada et je comprends à quel point ces communautés luttent pour protéger leur identité francophone », a dit M. Trudeau, assurant que son gouvernement allait « intervenir » auprès de l’Ontario pour qu’elle respecte les francophones.
Sa ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, a dénoncé une « décision inacceptable » et appelé M. Ford à « reculer », tout en débloquant une enveloppe de 5 millions de dollars en soutien aux contestations judiciaires « des minorités linguistiques ». De leur côté, les associations francophones ont déterré la hache de guerre et appelé à la « résistance ».
Pour l’association militante Impératif français, « le suprématisme anglophone écrase la francophonie » et les décisions de l’Ontario marquent « le retour en force de l’arrogance congénitale et historique du Canada anglais à l’endroit du Québec et de la francophonie canadienne ». Les appels à la mobilisation se sont multipliés cette semaine et 40 manifestations sont prévues le 1er décembre en Ontario. « Nous nous sentons trahis », a regretté à l’AFP Carol Jolin, de l’Assemblée de la Francophonie de l’Ontario.
L’annulation de cette université « contribue à l’assimilation de nos jeunes » car « une fois qu’ils étudient en anglais et travaillent en anglais, le français ne fait plus partie de leur vie », observe-t-il. Pour lui, « ce n’est plus une crise provinciale, c’est une crise nationale ».Cette crise rappelle la fragilité du français dans un océan nord-américain anglophone, et les batailles passées pour défendre son usage et son statut de langue officielle, inclus dans la constitution canadienne depuis 1982.
En 2016, l’Ontario avait par exemple présenté ses excuses à sa minorité francophone pour avoir interdit de 1912 à 1927 l’enseignement en français dans les écoles primaires de cette province. Dans les années 1990, l’Ontario s’était encore attiré les foudres des francophones en voulant fermer l’hôpital Montfort d’Ottawa, le seul de formation universitaire de langue française de la province.
Mais outre l’Ontario, la langue de Molière et de Michel Tremblay est aussi menacée actuellement au Nouveau-Brunswick: un petit parti ayant fait campagne en promettant de sabrer dans les services « coûteux » aux francophones détient la balance du pouvoir dans le nouveau gouvernement de cette province de la côte atlantique, cœur de l’Acadie (premier territoire colonisé par les Français au XVIIe siècle).
Dans une lettre ouverte publiée vendredi dans le journal Le Devoir, l’ancien recteur de l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, Jean-Bernard Robichaud appelle à une « mobilisation monstre » face à « la décision mal avisée du gouvernement Ford » qui « nous ramène aux heures noires d’il y a un siècle ».
D.C avec AFP
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