D’où vient l’argent qui a servi à acheter en 2015 le château de La Rochepot, joyau de la Bourgogne ? Sept personnes seront jugées à partir de lundi à Nancy pour blanchiment, dans cette affaire singulière qui implique des prévenus ukrainiens face à un actionnaire russe.
Sept personnes sont mises en examen « pour blanchiment des fonds utilisés pour l’achat du château », explique une source judiciaire. Après un report de neuf mois, l’audience, qui va durer deux semaines jusqu’au 21 novembre, doit faire la lumière sur l’achat en 2015 de cette forteresse néo-gothique du XIIe siècle.
Le principal prévenu, Dmitri Malinovsky, comparaîtra libre sous contrôle judiciaire, aux côtés des six autres prévenus: il faudra déterminer le rôle de chacun dans l’affaire.
Parmi les autres personnes poursuivies, l’ex-épouse de M. Malinovsky, Alla Tscherkasova, et son ancienne compagne, Olga Kiselova, toutes deux de nationalité ukrainienne. Cette dernière affirme avoir apporté les fonds pour l’achat du château et en être donc la véritable propriétaire.
Pour l’accusation, elle a avancé les fonds et a été remboursée, et n’a donc servi que d’intermédiaire, explique-t-on de source judiciaire.
Car derrière l’achat se dessine un complexe montage juridique: La Rochepot a été racheté par une SCI française, elle-même détenue par la société luxembourgeoise GAPM, et est gérée par une SARL.
D’où viennent les fonds qui ont permis de l’acheter ?
Reste à déterminer la provenance des fonds qui ont servi à acheter le château, et qui est le bénéficiaire réel derrière cette structure.
Pour la partie civile, une société singapourienne de trading en fertilisants détenue par un ressortissant russe, leur origine est très claire: les millions utilisés proviennent d’une escroquerie commise à son préjudice à hauteur de 13 millions d’euros en 2015, affirme son avocate, Me Charlotte Plantin.
« Mon client attend la justice, la condamnation des protagonistes, et de pouvoir récupérer une partie de ses avoirs », ajoute Me Plantin.
Le procès s’annonce « fleuve », indique Me Benoît Diry, avocat de Dmitri Malinovsky, et « sera riche de débats tant sur le plan purement juridique que sur le plan factuel », ajoute-t-il.
Un fugitif ukrainien impliqué dans l’achat
Le château de La Rochepot, village de carte postale de la Bourgogne viticole, avait été racheté en 2015 après être resté en vente trois ans. Un soulagement pour les habitants de ce village de 300 habitants. Les nouveaux acquéreurs leur avaient assuré qu’ils respecteraient les lieux, condition de la vente posée par la précédente propriétaire, descendante de l’ancien président de la République Sadi Carnot.
Mais les nouveaux propriétaires, qui ont déboursé quelque trois millions d’euros, restent nimbés de mystère. Au village, apparaît parfois un Ukrainien qui parle de « son » château mais préfère qu’on l’appelle « Monsieur » plutôt que de donner son nom.
En décembre 2017, le quotidien local Le Bien Public révèle que les artisans engagés pour le projet de rénovation n’ont jamais été payés. La justice est alors saisie.
Alertée, Europol découvre que ce « Monsieur » est un « fugitif de haut vol » qui s’était fait passer pour mort en 2014 pour échapper à la justice ukrainienne. Celle-ci l’accuse d’escroquerie.
Mais au moment de l’achat du château, il est en réalité bien vivant et vit en France « sous de fausses identités », confie la source judiciaire.
Le 5 octobre 2018, les gendarmes l’arrêtent au château. Devant la « complexité inhérente au financement du château », le parquet de Dijon se dessaisit de l’affaire fin 2018 au profit de la Juridiction inter-régionale spécialisée (Jirs) de Nancy.
Les habitants du village espèrent sauver leur château
Depuis, les lieux sont fermés et vides; les meubles ont été vendus l’an dernier lors d’une vente aux enchères à Beaune. Un « crève-coeur » pour les habitants, qui voyaient défiler quelque 30.000 touristes par an grâce au château.
Sa gestion a récemment été confiée à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) par le parquet, décision saluée par Véronique Richer, la maire de La Rochepot. Mme Richer explique que cela va permettre d’entreprendre de nécessaires travaux d’entretien du bâtiment. Elle espère elle qu’à l’issue de la procédure judiciaire, le château de son village pourra « trouver une nouvelle vie » et rouvrir aux visites.
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