Comment la France a-t-elle pu atteindre un tel niveau record de pauvreté en 30 ans ?

Par Germain de Lupiac
20 juillet 2025 14:41 Mis à jour: 21 juillet 2025 13:08

Du jamais vu depuis au moins 30 ans : le taux de pauvreté a battu un record en 2023 (dernières données disponibles) en France métropolitaine où les inégalités se creusent, selon l’Insee.

Entre 2022 et 2023, le taux de pauvreté a augmenté de 0,9 point, passant de 14,4 % à 15,4 %, précise l’Institut national de la statistique et des études économiques dans son étude annuelle parue début juillet. En un an, 650.000 personnes ont basculé dans la pauvreté.

Il s’agit du taux le plus élevé depuis le lancement de l’indicateur en 1996. Concrètement, 9,8 millions de personnes se trouvaient en 2023 en situation de pauvreté monétaire – soit près d’un Français sur six, disposant de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit 1288 euros pour une personne seule.

« Si on veut remonter encore plus loin, il faut revenir au début des années 1970 pour avoir des niveaux de pauvreté à peu près comparables », selon Michel Duée, chef du département ressources et conditions de vie des ménages à l’Insee.

Parmi les causes, selon l’Insee, une inflation qui a durement affecté les ménages à faible revenu, qui consacrent une part importante de leur budget à l’énergie et à l’alimentation. Et le ralentissement économique prévu pour 2025, avec une croissance du PIB limitée à 0,6 %, n’augure aucune évolution positive.

Du jamais vu depuis 30 ans 

« C’est un niveau inégalé depuis près de 30 ans » relève Michel Duée, chef du département ressources et conditions de vie des ménages à l’Insee.

Cette hausse s’explique, selon lui, par l’arrêt des aides exceptionnelles, notamment l’indemnité inflation et la prime exceptionnelle de rentrée, qui avaient été mises en place en 2022 pour soutenir le pouvoir d’achat. « L’autre élément d’explication, c’est la hausse, parmi les non-salariés, de la part des micro-entrepreneurs dont les revenus sont faibles ».

« Les inégalités atteignent des niveaux parmi les plus élevés depuis 30 ans », note Michel Duée. « Le niveau de vie des plus modestes a augmenté moins rapidement que l’inflation tandis que le niveau de vie des plus aisés a été dynamique, notamment grâce à la bonne situation sur le marché du travail et au rendement des produits financiers. »

Le profil des personnes pauvres reste quant à lui globalement inchangé, avec une forte représentation des familles monoparentales – dont le taux de pauvreté augmente de 2,9 points – et des personnes au chômage, en hausse de 0,8 point.

Les chiffres clés de la pauvreté

Selon l’Insee, le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du revenu médian mensuel, s’élevait à 1288 euros pour une personne seule en 2023. Avec un taux de pauvreté passant de 14,4 % en 2022 à 15,4 % en 2023, la France connaît une augmentation sans précédent depuis près de trois décennies.

Quelque 9,8 millions de personnes se trouvaient en 2023 en situation de pauvreté monétaire. Et l’étude annuelle de l’Insee sur la pauvreté ne comprend pas les habitants des départements d’outre-mer, les personnes sans abri et les personnes vivant en institution. La dernière enquête menée sur la totalité de la population française avait estimé à 11,2 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté en 2021.

Cela signifie que près d’un Français sur six vit dans des conditions de précarité financière, peinant à couvrir ses besoins essentiels comme le logement, l’alimentation, la santé ou l’éducation.

Certaines populations sont particulièrement touchées. Les enfants, les jeunes adultes et les familles monoparentales figurent parmi les plus vulnérables. En 2023, 21,6 % des moins de 18 ans, soit environ 3,3 millions d’enfants, vivaient sous le seuil de pauvreté, selon l’Unicef.

Les jeunes de 18 à 29 ans, confrontés à un chômage élevé (7,9 % prévu en 2025) et à des emplois précaires, sont également en difficulté. Les familles monoparentales, majoritairement dirigées par des femmes, affichent un taux de pauvreté parmi les plus élevés, avec 18,5 % contre une moyenne européenne de 15,6 %, d’après Eurostat.

Les seniors ne sont pas épargnés. Un rapport de l’association Petits Frères des Pauvres indique que 2 millions de personnes âgées de plus de 60 ans vivaient sous le seuil de pauvreté de 1216 euros par mois en 2024.

La dynamique inquiétante « d’inaction politique »

La Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) évoque des chiffres « alarmants » mais « loin d’être étonnants » au vu de la situation sur le terrain et de la fin des mesures en faveur du pouvoir d’achat.

« Les coupures d’électricité et de gaz pour impayés explosent, le nombre de personnes qui disent avoir froid chez eux a presque doublé et on voit une montée très forte des expulsions locatives », souligne Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation.

« On est sur une dynamique qui est très inquiétante de l’action politique ou plutôt de l’inaction politique », ajoute-t-il. « L’heure n’est plus aux mesures ponctuelles, il faut des mesures structurelles. »

« Nous avons rencontré le Premier ministre François Bayrou, il a évoqué un objectif de réduction de la pauvreté à 10 ans. En soi c’est une bonne chose mais avec quels moyens ? », s’interroge de son côté Delphine Rouilleault, présidente du collectif Alerte qui réunit 37 associations de lutte contre la pauvreté.

« Derrière les paroles d’humanité et l’affichage d’un soutien au secteur associatif, on attend du gouvernement des mesures ambitieuses et une prise de conscience », ajoute-t-elle.

Les causes de la pauvreté en France

Malgré un système de protection sociale parmi les plus généreux au monde, la France n’a pas réussi à enrayer la hausse de la pauvreté.

La hausse de la pauvreté s’inscrit dans un contexte de ralentissement économique français, une dette publique qui atteint des niveaux records et des facteurs structurels comme une compétitivité écrasée par une des pressions fiscales et normatives les plus importantes au monde. Les réformes économiques entreprises sous la présidence d’Emmanuel Macron ont certes attiré des investissements étrangers mais elles n’ont pas permis de relancer la croissance des entreprises françaises.

Un facteur clé de la crise économique actuelle est le poids des taxes sur le travail, qui pèse sur les entreprises et limite leur capacité à dégager des marges. La France se distingue par un des niveaux les plus élevés de prélèvements obligatoires dans l’OCDE, représentant 45,9 % du PIB en 2022. Les cotisations sociales patronales, en particulier, augmentent le coût du travail, ce qui freine l’embauche, surtout pour les travailleurs peu qualifiés. En résumé, plus on taxe les entreprises, moins elles embauchent, et plus la pauvreté augmente.

L’inflation des dernières années a joué un rôle central dans l’aggravation de la pauvreté. La hausse des prix, particulièrement marquée après la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, a affecté de manière disproportionnée les ménages à faible revenu – les dépenses contraintes, comme l’alimentation, le logement et l’énergie, représentent une part plus importante de leur budget. Les prix sont depuis loin d’être redescendus à leur niveau avant-Covid, alors que le prix de l’immobilier et de l’énergie continuent d’augmenter à cause de politiques publiques favorisant les coûteuses énergies renouvelables et une écologie punitive.

Le travail comme outil de lutte contre la pauvreté

En réponse au taux de pauvreté record enregistré en France, le gouvernement a insisté sur le « soutien au travail et aux entreprises », rejetant les options d’une hausse de la taxation des ultra-riches ou d’une réorientation des aides aux entreprises.

Des députés de gauche ont exhorté l’exécutif à faire contribuer davantage les plus grandes fortunes, en plaidant notamment en faveur de la « taxe Zucman » qui instaure un impôt plancher sur le patrimoine des 0,01 % des contribuables les plus riches en France, afin de s’assurer qu’ils payent au moins 2 % de leur fortune en impôt, ou encore en faveur d’une réorientation des aides aux entreprises.

« Nous croyons à deux choses […] au travail » mais « aussi à l’entreprise », a répondu la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. « Nous ne pensons pas que faire partir les 1800 entrepreneurs qui ont réussi et créent des emplois dans ce pays résoudra quoi que ce soit. »

« Le CAC 40 aujourd’hui c’est 1,2 million d’emplois en France, les 6000 plus belles ETI (entreprises de taille intermédiaire, ndlr) de France, ce sont 4 millions d’emplois et ce sont ces emplois que nous devons développer », a-t-elle ajouté. « Oui nous voulons un système social fort, pour cela nous voulons des entreprises fortes et un système fiscal efficace. Ma main ne tremble pas face à la fraude et notre main ne tremblera pas s’il faut prendre des dispositions législatives pour lutter plus efficacement contre la sur-optimisation fiscale ».

« La première réponse au défi » de la pauvreté « c’est bien le travail, c’est bien soutenir nos entreprises », a abondé le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, quelques minutes plus tard, jugeant impossible de répondre à la pauvreté en « affaiblissant les entreprises et notre tissu économique ».

La ministre du Travail et des Solidarités, Catherine Vautrin, a de son côté mis en avant les « 10 millions supplémentaires d’aide alimentaire dans le budget 2025 » et la revalorisation en avril 2024 de 4,6 % des minima sociaux – revalorisation « non prise en compte » dans les chiffres de l’Insee portant sur l’année 2023.

Pour autant, faut-il encore alléger drastiquement les charges sur les entreprises et sur le travail pour relancer l’emploi, seule solution pour faire diminuer la pauvreté dans le pays.

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