Comment retrouver « l’art de vivre à la française » dans une société de plus en plus conflictuelle ?

Par Germain de Lupiac
23 juillet 2025 07:22 Mis à jour: 23 juillet 2025 07:46

Au lendemain de la fête nationale du 14 juillet, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, déplorait que près de 500 individus aient été arrêtés pour des faits de troubles à l’ordre public, d’agressions envers les forces de police et de pillages.

Le ministre a évoqué la nécessité de retrouver « l’art de vivre à la française », une déclaration qui a réveillé le débat sur les valeurs fondamentales de la société française. Cet art de vivre inclut, selon lui, de « vivre dans un pays où le bonheur et les moments festifs sont possibles sans crainte de violence ».

« L’art de vivre à la française » est une expression qui désigne une manière de vivre qui met l’accent sur la recherche d’un équilibre harmonieux entre les différentes facettes de l’existence. Ce concept est profondément ancré dans la culture française et reflète une approche particulière de la vie qui valorise le bien-être, le savoir-vivre et la convivialité.

Il trouve ses racines dans l’histoire riche et profonde de la France, remontant au Moyen Âge. Cette période, souvent perçue comme austère et reculée, a pourtant jeté les bases d’un art de vivre sur lequel se sont basé toutes les périodes qui ont suivi. De la table médiévale aux salons du XIXe siècle, cet art de vivre s’est transformé tout en préservant son essence : un équilibre subtil entre la domestication du plaisir, le savoir-être en société et le partage de valeurs communes.

L’art de vivre à la française, un héritage du lointain passé 

Au Moyen Âge, la vie quotidienne était rythmée par les saisons et les fêtes religieuses. Les seigneurs organisaient des banquets fastueux qui n’étaient pas seulement des moments de repas où l’on mange beaucoup et bien, mais des rituels sociaux où musique, poésie et récits épiques construisaient une unité sociale. Les valeurs médiévales insufflaient la courtoisie à cet art de vivre, valorisant la mesure des comportements et la domestication de la violence.

Avec la Renaissance, l’art de vivre à la française prend une nouvelle dimension. Sous l’influence de l’Italie, la cour de France adopte un raffinement sans précédent. Les châteaux, qui se sont multipliés au XIe siècle du fait de la décadence de l’autorité royale et du retour des invasions barbares, deviennent sous François Ier des écrins de luxe, où l’architecture, l’art et la fête se rencontrent en un même endroit.

Au XVIIsiècle, l’art de vivre à la française atteint un apogée avec le classicisme français de Louis XIV et l’idéal de l’honnête homme. Les salons littéraires deviennent des lieux d’échange où la conversation est élevée au rang de discipline. Ce ne sont pas seulement de simples dialogues, mais une esthétique de la langue française poussée à son summum intellectuel et spirituel.

Le XVIIIe siècle, celui des Lumières, enrichit encore cette philosophie. Dans les salons, on y cultive l’esprit, l’humour, et aussi une certaine légèreté, tout en respectant des codes de politesse stricts. Cette période consacre la France comme un modèle de raffinement et de savoir-vivre, où l’élégance n’est pas seulement une affaire d’apparence, mais une manière de penser et d’interagir.

La Révolution française, bien que bouleversant l’ordre social, n’a pas éteint cette quête du beau et du bon. Au XIXsiècle, l’art de vivre se démocratise. Les cafés parisiens, les brasseries et les restaurants deviennent des lieux où l’on célèbre la convivialité à chaque coin de rue et dans chaque village.

Cet art de vivre est unique au monde, car il s’est forgé au fil des siècles pour parvenir jusqu’à nous. Il ne se limite pas aux grandes occasions collectives, il s’exprime dans les gestes du quotidien : prendre le temps de boire un café en terrasse, flâner sur un marché, lire dans un parc. Ces moments, en apparence anodins, sont empreints d’une forme de sacralité dans la culture française.

Une déclinaison dans les différents aspects de la vie 

La cuisine française est sans doute l’ambassadrice la plus emblématique de cet art de vivre à la française. Classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2010, le « repas gastronomique des Français » illustre une approche où chaque détail compte : le choix des ingrédients, la préparation, la présentation, et surtout, le moment partagé. Un repas à la française n’est pas seulement une affaire de nourriture ; c’est une expérience sociale, un moment de communion, un moment de partage en famille ou avec ses amis.

La convivialité est une valeur centrale de l’art de vivre à la française. Les Français aiment se réunir, que ce soit autour d’une table, d’un café, ou lors d’une fête de village. Cette sociabilité s’exprime dans des rituels comme l’apéritif, où l’on partage un verre de vin ou une boisson avant le repas, où l’on prend le temps de savourer le temps passé ensemble. Cette convivialité n’est pas seulement spontanée ; elle repose sur des codes implicites de respect et d’écoute, où chacun trouve sa place.

La civilité et les bonnes manières occupent une place centrale dans l’identité culturelle française et plus largement dans la civilisation occidentale. Les valeurs de politesse, d’urbanité et de retenue ont été célébrées à travers les siècles comme des vertus sociales faisant de la France un modèle civilisationnel pour les autres nations. En France, la civilité est bien plus qu’un ensemble de règles, elle est constitutive de la sociabilité, un art à la portée de tous, universel, sans distinction de race, de religion ou de milieu social. Selon Dominique Picard, professeure émérite de psychologie sociale, la politesse est « un art de la vie en société » qui crée du lien entre les individus, structure les interactions, réduit les frictions et favorise la coexistence.

Les fêtes, qu’elles soient familiales, religieuses ou populaires, occupent également une place spéciale. Lors des célébrations comme le 14 juillet, les bals et les feux d’artifice, les fêtes de village, etc., les Français apprécient chaque grande occasion comme un moment de joie collective. Ces événements sont l’occasion de célébrer l’existence, par la danse et la musique, en partageant des plaisirs simples : une bonne table, un bon vin, des jeux, une musique soigneusement choisie, etc.

Ce savoir-vivre s’étend à l’esthétique : les Français accordent une importance particulière à l’élégance, qu’il s’agisse de leur tenue, de leur maison ou de leur façon de s’exprimer. L’élégance à la française est un pilier fondamental de l’identité française. Dans un monde où l’uniformité des codes vestimentaires et des expressions peut dominer, cette élégance, marquée par une inventivité toujours renouvelée, montre le caractère précieux d’avoir sa propre manière de se comporter, de penser et d’interagir avec le monde. Cette élégance n’est pas réservée à une élite, elle est accessible à tous ceux qui veulent l’adopter, s’affine et se travaille avec le temps.

Enfin, cette philosophie s’incarne aussi dans l’amour de la beauté. Que ce soit dans l’architecture, les jardins à la française, dans les villages et les paysages, dans les arts et la musique, les Français cherchent à entourer leur quotidien de beauté et de finesse. Cette quête esthétique s’étend aussi aux objets : un bel intérieur, un beau mobilier, de beaux vêtements, des beaux livres, etc. sont autant de moyens d’embellir la vie.

Un art de vivre menacé par la « crainte des violences »

Si l’on s’en tient aux traités de civilité d’Érasme et d’Antoine de Courtin, l’art de vivre à la française est né pour permettre à l’homme de sortir de la barbarie de ses passions et des maux de son animalité, et de le mener vers la civilité.

L’une des menaces les plus visibles qui pèse aujourd’hui sur cet art de vivre à la française est un retour massif des incivilités et d’une insécurité qui se généralise. Le sujet domine de plus en plus les débats publics et les préoccupations des Français. En 2025, la France a fait face à une montée inédite de la délinquance et des faits de violence, dans les grandes villes aussi bien que dans les plus petites, une violence qui semble ne trouver aucune limite.

En mai 2025, Bruno Retailleau dénonçait une « société qui a engendré une fabrique de barbares », suite au rodéo urbain à Évian-les-Bains qui avait coûté la mort d’un pompier volontaire. Un constat approuvé par 72 % des Français.

Les statistiques officielles du ministère de l’Intérieur montrent une augmentation des actes de petite délinquance – vols, agressions verbales, incivilités – dans des espaces autrefois perçus comme des bastions de la convivialité : les transports en commun, les marchés, les fêtes de village, les terrasses de cafés, les moments de communion sportives ou nationales. Ces lieux et ces moments, emblématiques de l’art de vivre, sont désormais associés à un sentiment d’insécurité et les familles hésitent pour la sécurité de leurs enfants de s’y rendre sans crainte.

Dans les grandes métropoles comme Paris, Marseille ou Lyon, les habitants rapportent une méfiance croissante lorsqu’ils fréquentent certains espaces publics. Certains lieux de convivialité sont alors évités après certaines heures, particulièrement à proximité de quartiers jugés « sensibles », où les agressions fréquentes créent un climat d’insécurité.

Les codes de civilité – dire « bonjour » en entrant dans une boutique, respecter la file d’attente, s’exprimer avec courtoisie, etc. – sont au cœur de l’interaction sociale en France. Pourtant, ces gestes simples semblent s’effriter face à une montée des comportements perçus comme irrespectueux. Dans les transports en commun, par exemple, les récits d’incivilités abondent : des passagers qui parlent fort au téléphone, ignorent les priorités pour les personnes âgées, ou adoptent des attitudes agressives. Ces comportements érodent le sentiment de communauté et de respect mutuel.

Dans les petites villes comme dans les grandes, les marchés, lieux emblématiques de l’échange et de la convivialité, ne sont pas épargnés. Des commerçants rapportent des vols de produits, des disputes entre clients, ou encore des tensions liées à des différences culturelles dans la manière d’interagir.

Cette érosion du savoir-vivre est particulièrement préoccupante dans un contexte de diversité culturelle croissante. La France, pays d’immigration historique, est riche de cultures variées, mais cette diversité peut parfois engendrer des conflits et des violences.

Le défi du multiculturalisme

La France est une terre d’immigration depuis des siècles, mais les flux migratoires massifs des dernières décennies, particulièrement depuis les années 1960, ont profondément modifié la société. En 2025, environ 10 % de la population française est née à l’étranger, selon l’Insee, et près de 20 % des Français ont au moins un parent ou grand-parent immigré. Ces chiffres reflètent une réalité : la France devient de plus en plus multiculturelle, avec des communautés issues d’endroits du monde avec des histoires et des cultures différentes, n’ayant parfois pas les mêmes codes que ceux de la République. Cela pourrait paraître contradictoire alors que ce sont les gouvernements depuis plus de 60 ans qui ont favorisé ce mélange culturel.

Le multiculturalisme, qui prône la coexistence de cultures différentes au sein d’une même société, est aujourd’hui au cœur des débats. En France, le modèle républicain le privilégie en se basant sur l’héritage de l’universalisme des Lumières et de la Révolution. Mais dans les faits, une société multiculturelle devient une société multi-conflictuelle.

Par exemple, dans certaines écoles, les enseignants rapportent des difficultés à transmettre les codes de politesse français à des élèves issus de cultures où l’expression de la respectabilité passe par d’autres canaux, comme le rapport de force et la violence verbale.

Le multiculturalisme contribue à des fractures qui fragilisent la société et l’art de vivre à la française. Dans certains territoires, le repli communautaire peut se manifester par un sentiment d’exclusion et une violence décomplexée contre tout ce qui représente la France. Les émeutes de 2023 à Nanterre, déclenchées par la mort de Nahel lors d’un contrôle policier, ont mis en lumière le fossé entre une partie de la jeunesse de ces quartiers et le reste de la société.

Le principal défi posé par le multiculturalisme est celui de l’intégration. Le modèle français, qui repose sur l’assimilation, demande aux nouveaux arrivants d’adopter les valeurs et les codes de la société d’accueil. Mais ce modèle n’est pas accepté pour certaines populations qui veulent promouvoir leur propre culture et leurs propres codes.

L’autre danger : la mondialisation et le numérique

Au-delà des questions de sécurité et de multiculturalisme, l’art de vivre à la française est aussi menacé par des influences plus globales liées à la mondialisation. L’influence des modes de vie anglo-saxons, par exemple, entre en concurrence avec les modes de vie de la culture française.

Dans un monde de plus en plus globalisé et traversé par des cultures du monde entier, l’art de vivre à la française est chamboulé. Prendre le temps pour savourer un repas, cultiver une conversation, apprécier un livre ou une promenade, etc. semble devenir le luxe d’un passé lointain.

Le « fast food », la livraison à domicile, les horaires de travail extensifs et la culture numérique du « toujours connecté » gagnent un terrain considérable. Les jeunes générations, biberonnées aux plateformes de streaming, aux jeux vidéos et aux réseaux sociaux, adoptent des habitudes qui privilégient l’individualité plutôt que le rituel ancestral du vivre-ensemble.

Une enquête de l’Institut Montaigne en 2024 montrait que 45 % des Français de moins de 35 ans mangent régulièrement seuls devant un écran, une pratique qui rompt avec la tradition des repas partagés, de la convivialité et de la conversation, constitutifs de l’art de vivre à la française.

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