« Ou on met de l’essence, ou on mange » : près de Belfort, les Restos du Cœur sillonnent les routes à la rencontre d’un public rural et précaire, dans un contexte d’inflation qui voit bondir le nombre de bénéficiaires.
Œufs, légumes, lait en poudre, boîtes de conserves, pâtes, riz, produits hygiéniques…: devant le centre Bartholdi de Belfort, l’un des quatre de l’association dans le petit département, des bénévoles remplissent les étagères d’un camion frigorifique aménagé. « Un vrai camion-épicerie », sourit Philippe Sarrazin, 63 ans, avant de s’installer au volant, avec deux autres bénévoles.
Trois fois par semaine, le véhicule dessert six communes éloignées des points de distribution fixes pour aller à la rencontre d’un public rural, environ 70 personnes pour lesquelles se déplacer est compliqué, soit en raison de la hausse du coût du carburant, soit tout simplement parce qu’elles ne possèdent pas de véhicule.
Ce jour-là, direction Rougemont-le-Château, une bourgade de 1500 habitants au pied des Vosges. En chemin, petite halte chez une famille qui souhaite être livrée, faute de pouvoir se rendre à Rougemont. Chloé, 25 ans, s’approche. « En viande, vous avez une préférence ? Vous voulez un camembert ? ‘Une Vache qui rit’ », l’interroge Philippe. « Nous sommes sept dans la famille », explique à l’AFP la jeune femme, qui ne souhaite pas donner son nom. Sa mère est au foyer, son beau-père travaille sur des chantiers mais est actuellement sans activité : le quotidien est difficile, surtout avec l’inflation. « Tout a augmenté, quand on arrive à la caisse, on regarde à deux fois », confie la jeune femme, en recherche d’emploi. Les Restos, sa famille les fréquente « depuis plusieurs années ». « Avant, ma mère allait (à la distribution) à Belfort en bus », soit un vingtaine de km aller-retour. « Avec les sacs, en revenant, c’était lourd ! », se souvient Chloé. Alors forcément, le camion qui s’arrête pile devant chez eux, « c’est bien plus pratique… » Livraison faite, le véhicule file vers Rougemont où une dizaine de personnes patientent devant le foyer rural.
« Il faut parfois aller chercher les gens »
À l’intérieur, d’autres bénévoles ont apporté thé, café et gâteaux pour un moment de convivialité, au chaud, en marge de la distribution. « Il faut parfois aller chercher les gens » qui ne viennent pas volontiers s’asseoir autour de la table, explique Rachel Rizzon, vice-présidente du centre communal d’action sociale (CCAS). Ces moments, qui permettent de créer du lien social, peuvent aussi être l’occasion de glisser une information sur telle ou telle demande d’aide sociale qu’ils n’auraient pas pensé à déposer, poursuit-elle.
Guillaume, 44 ans, vit à Rougemont avec sa compagne et leur fils de 8 ans. Sans emplois, ils fréquentent « depuis septembre » cette distribution. La hausse des prix, le couple la subit de plein fouet : « il faut faire un choix : ou on met de l’essence ou on mange », lâche-t-il. « Des gens viennent ici alors qu’ils travaillent, mais ils ont quand même besoin du camion. La vie est trop chère… »
« Il y a de plus en plus de jeunes, mais aussi des retraités »
Dans le Territoire de Belfort, le nombre de bénéficiaires a bondi de « 30% » par rapport aux dernières campagnes, largement en raison de l’inflation, qui a elle-même succédé à la période déjà très compliquée de la crise sanitaire, note Dominique Ory, président de l’antenne départementale.
Durant les campagnes d’hiver et d’été 2021-2022, plus de 425.000 repas ont été distribués. Sur la même période, la distribution itinérante en a proposé plus de 5500. Plus de mille familles sont bénéficiaires rien qu’à Belfort, ville de 45.000 personnes, où l’association distribue environ mille repas par semaine, selon M. Ory. « Il y a de plus en plus de jeunes, mais aussi des retraités », précise Marlène Mathon, la vice-présidente, qui rappelle que l’association intègre désormais le coût de l’énergie dans ses critères, ce qui a mécaniquement élargi le périmètre de ses bénéficiaires potentiels. Bientôt, « en sortant du magasin, on va se faire planter », glisse Guillaume, dans un sourire amer. « On va plutôt nous piquer nos ‘caddies’ que nos bijoux… »
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