ENTRETIEN – L’essayiste, journaliste et philosophe Alain de Benoist revient pour Epoch Times sur les premiers pas de François Bayrou à Matignon. Il analyse également la crise franco-algérienne et la manière dont le gouvernement français entend la résoudre.

Epoch Times : Alain de Benoist, François Bayrou est Premier ministre depuis maintenant plus de deux mois. Il a échappé à plusieurs motions de censure. Est-il la personnalité politique dont Emmanuel Macron avait besoin pour gouverner dans la durée ?
Alain de Benoist : Je ne dirais pas cela. François Bayrou, contrairement à son prédécesseur, a échappé aux motions de censure, ce qui constitue un avantage pour Emmanuel Macron.
Cependant, j’ai le sentiment que le président de la République avait une préférence pour la personnalité de Michel Barnier parce qu’il pouvait lui dicter véritablement son programme de gouvernement, alors que François Bayrou est un esprit plus indépendant et complexe qui a d’ailleurs insisté pour être nommé Premier ministre.
On a vu cet esprit indépendant se manifester récemment à l’occasion des tensions entre Paris et Alger, lorsqu’il a souhaité afficher plus de fermeté à l’égard du régime algérien, avant d’être désavoué par le chef de l’État.
Le définir comme centriste n’est pas tout à fait inexact, mais en même temps, ce qualificatif peut avoir plusieurs significations, et ne permet pas de nous apporter des éléments précis à son sujet.
Il est en outre certain qu’il y a chez lui un côté béarnais. C’est un personnage public habitué aux réalités locales et pas totalement étranger à la vie quotidienne des Français par rapport à d’autres membres du gouvernement.
Par ailleurs, c’est un péguyste. Il a consacré l’un de ses mémoires à la pensée de Charles Péguy, ce qui est assez rare chez les hommes politiques.
Le locataire de Matignon est monté au créneau la semaine dernière au sujet de la crise franco-algérienne. Il a notamment fixé un délai de 4 à 6 semaines au gouvernement algérien pour que ce dernier réexamine les accords de 1968, sans quoi la France les dénoncerait. Comment analysez-vous ces tensions entre Paris et Alger et la manière dont François Bayrou s’est exprimé ? N’est-ce pas surprenant de voir une personnalité politique centriste évoquer la possibilité de dénoncer ces accords ?
Dans l’histoire, les centristes n’ont parfois pas manqué de prendre des décisions retentissantes !
Concernant la crise, il y a une relation spéciale et pathologique entre Paris et Alger notamment liée à la présence française en Algérie et à la guerre qui a opposé les deux pays.
Je note qu’Emmanuel Macron a tenu des discours tout à fait contradictoires à ce sujet : en 2017, en tant que candidat à l’élection présidentielle, il s’est rendu en Algérie pour battre la coulpe de la colonisation, puis a rétropédalé quelques années plus tard en reconnaissant qu’Alger vivait essentiellement sur une rente mémorielle.
S’ajoute à cette rente mémorielle, une rente pétrolière. En dehors de l’or noir, l’Algérie ne produit absolument rien. Le pays est dans un état de dévastation avancée, n’est pas en mesure de subvenir aux besoins de sa population, mais par tradition, accuse la France.
Ensuite, le fait que le gouvernement français reconnaisse l’été dernier la marocanité du Sahara occidental a particulièrement irrité le régime algérien. D’ailleurs, Boualem Sansal a, entre autres, était arrêté parce qu’on lui reprochait d’avoir dit que les prétentions de l’Algérie sur cette région n’étaient pas crédibles.
Maintenant, j’ai été surpris de voir que Bruno Retailleau, appuyé par François Bayrou, ait été crédité d’une sorte d’audace décisionniste sur la remise en cause des accords de 1968.
La réaction du ministre de l’Intérieur était parfaitement justifiée après le refus persistant des autorités algériennes de reprendre sur son sol des délinquants algériens arrêtés en France, mais elle demeure néanmoins très modérée.
Il aurait été préférable d’adopter une véritable posture d’autorité et d’annoncer la rupture des accords, puis l’adoption de mesures de représailles. La France n’en manque pas.
Quand je regarde ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, je n’imagine pas un seul instant Donald Trump dire à Volodymyr Zelensky qu’il lui laisse environ six semaines pour réfléchir et prendre une décision comme l’a fait le gouvernement français vis-à-vis de l’Algérie.
Le président américain s’est sans doute comporté de manière brutale avec son homologue ukrainien, mais, contrairement à nos dirigeants, il sait prendre des décisions.
En même temps, Emmanuel Macron a recadré ce lundi François Bayrou et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. « L’accord de 1968, c’est le président de la République », a-t-il déclaré au Figaro. Diriez-vous que cette séquence met en lumière les différences entre le centrisme et le macronisme ?
En tant que philosophe spécialiste des idées politiques, je suis très vite envahi d’un certain scepticisme quand je me penche sur le macronisme. Je n’ai pas l’impression que nous puissions donner une définition théorique ou idéologique du macronisme.
On sait que depuis le départ, Emmanuel Macron a pour ambition de réunir la gauche et la droite modérées afin d’adopter un programme de réformes permettant d’adapter la France à la mondialisation. Mais à l’exception de ce projet, il n’y a pas d’éléments de fond.
L’élément important du macronisme demeure Emmanuel Macron lui-même.
La réaction que vous évoquez vis-à-vis de François Bayrou et de Bruno Retailleau révèle surtout la susceptibilité personnelle du président, c’est-à-dire le fait qu’il ne supporte pas que l’on puisse empiéter sur son domaine.
Concernant François Bayrou, il n’y a pas réellement de pronostics à faire. Il a échappé aux motions de censure, mais la situation reste bloquée par le résultat des élections législatives de juin 2024 : l’envoi à l’Assemblée nationale de représentants de trois blocs à peu près équivalents numériquement.
Et à partir du moment où vous avez cette tripolarité, il suffit que deux blocs du trio votent ensemble la motion de censure pour que le gouvernement issu du troisième s’effondre.
Par ailleurs, en constituant des gouvernements avec des personnalités issues de la mouvance centriste, Emmanuel Macron complexifie encore plus la situation politique, puisque cette dernière est en perte de vitesse. C’est la raison pour laquelle François Bayrou, qui a pourtant beaucoup de relations dans la classe politique, a eu le plus grand mal à trouver des hommes de gauche lorsqu’il composait son gouvernement.
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