ENTRETIEN – L’historien africaniste et universitaire Bernard Lugan, auteur de nombreux ouvrages sur le continent africain, en dernier lieu : Histoire des Algéries : des origines à nos jours (Ellipses, 2025) répond aux questions d’Epoch Times sur les tensions entre la France et l’Algérie.
Epoch Times – Bernard Lugan, en tant qu’historien spécialiste de l’Afrique, comment percevez-vous le regain des tensions entre Paris et Alger depuis la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France ?
Bernard Lugan – La question de la marocanité du Sahara occidental et de sa reconnaissance par la France a été l’élément déclencheur de ce regain de tension entre Paris et Alger.
C’est un sujet presque existentiel pour le régime algérien. Il s’est tellement engagé dans cette cause créée de toutes pièces par ses soins qu’il ne peut plus reculer.
Mais aujourd’hui, voyant que de plus en plus de pays occidentaux ont reconnu la marocanité de cette région, il panique.
Pour Alger, cette situation incarne l’échec de toute une politique menée depuis les années 1970. Des sommes considérables ont été versées au Front Polisario.
En soutenant le groupe armé indépendantiste, l’Algérie entend atteindre deux objectifs : couper les projets de développements du Maroc et avoir, par l’intermédiaire de la République arabe sahraouie démocratique, une ouverture sur l’Atlantique.
De son côté, la France a mis fin à sa position d’équilibre entre les deux parties et a fini par choisir le Maroc.
La France a-t-elle eu raison d’entamer un rapprochement avec le Maroc ?
Oui. Historiquement, le Maroc englobait cette région du Sahara et même la Mauritanie. Par ailleurs, la partie ouest saharienne de l’Algérie appartenait au Maroc. En réalité, la France l’a rattaché dans les années 1890-1900 à l’Algérie.
N’oublions pas que Colomb-Béchar, Tindouf, le Tidikelt, la Saoura et Tabelbala faisaient partie du royaume du Maroc. Des archives marocaines montrent que des gouverneurs ont été nommés dans ces régions et que ces dernières payaient des impôts et prêtaient l’hommage au sultan du Maroc.
D’un point de vue politique, la France a également pris la bonne décision : le Maroc a toujours été un allié de la France contrairement à son voisin algérien.
Puis, le Maroc est un pays en pleine croissance avec des atouts économiques majeurs. Le pays va véritablement connaître un bond en avant considérable !
Le régime algérien a employé des mots forts à l’encontre de la France. En décembre, Abdelmadjid Tebboune appelait Paris à reconnaître ses « crimes barbares » perpétrés pendant la colonisation. Dans un long entretien à L’Opinion en février, le chef d’État algérien s’en est pris à certains représentants politiques français déclarant que « nous perdons du temps avec Macron ». Il a également affirmé au quotidien que « Tout ce qui est Retailleau est douteux », puis s’en est pris au Rassemblement national. Pour quelles raisons Alger utilise-t-elle cette rhétorique antifrançaise ?
Pour une raison simple : la seule légitimité du système algérien repose sur la fausse histoire écrite depuis 1962. L’élément majeur de cette histoire est bien entendu la haine de la France à travers la rente mémorielle.
L’Algérie joue cette carte pour calmer ses problèmes internes qui sont colossaux. Le pays est en proie à une crise politique, sociale, économique et identitaire.
Cette rhétorique est d’autant plus facile à utiliser pour Alger qu’elle est soutenue par l’intelligentsia française de gauche qui est complètement acquise à ce qu’on peut appeler l’ethno-masochisme.
Quoi qu’il en soit, Alger a toujours eu deux boucs émissaires alternatifs : le Maroc et la France.
Sans cette rhétorique, le régime pourrait-il s’effondrer ?
Le régime est condamné à la fuite en avant. D’ailleurs, je pense qu’il va s’effondrer. Je ne saurais dire quand exactement, mais il ne peut que tomber.
L’Algérie est une nation très jeune qui est gouvernée par des individus très âgés. Les trois principaux personnages de l’État ont entre 79 et 94 ans ! C’est ce qu’on appelle le « chibanisme ».
Ces leaders sont toujours animés par la mentalité anticoloniale de leur jeunesse des années 1950-1960, mais ce logiciel est complètement dépassé et ne va plus tenir très longtemps.
Un jour ou l’autre, eux ou leurs héritiers vont devoir rendre des comptes à la population algérienne et cela risque d’être sanglant. Regardez ce qu’il s’est passé en Syrie.
Aujourd’hui, une partie importante de la classe politique française semble se montrer plus ferme vis-à-vis d’Alger qu’auparavant. La remise en cause des Accords de 1968 est régulièrement évoquée par le bloc central et la droite par exemple. Pour vous, qu’est-ce qui explique ce changement de ton ?
Honnêtement, je ne sais pas s’ils croient ce qu’ils disent. À mon sens, ils ont surtout peur de voir leurs électeurs partir au Rassemblement national et font ainsi du maximalisme. C’est une question d’opportunité politique. Mais je pense que cela ne trompe personne.
Pendant 40 ans, ils ont été les complices d’une politique migratoire dévastatrice et aujourd’hui, ils réalisent qu’ils sont seuls et ne représentent plus rien. Regardez le score de LR aux derniers rendez-vous électoraux…
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est celui qui incarne la fermeté à l’égard de l’Algérie au sein du gouvernement. Comment jugez-vous sa méthode ?
Pour le moment, on ne voit pas beaucoup de résultats ! Bruno Retailleau a des idées intéressantes, mais comme le dit Laurent Wauquiez, il est tenu par la solidarité gouvernementale.
Comment voulez-vous qu’il puisse avancer alors que la ministre des Sports vient de légitimer le port du voile dans les compétitions sportives féminines.
Malheureusement, ce gouvernement n’a pas de sens : l’aile gauche du gouvernement empêche l’aile droite d’avancer. La contradiction est totale !
À mon avis, le ministre de l’Intérieur va faire de son mieux pour obtenir un certain nombre d’avancées, mais voyant qu’il ne pourra aller au bout de ce qu’il veut faire, il finira par démissionner et annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2027.
Vous venez de publier un ouvrage : Histoires des Algéries : des origines à nos jours. Pourquoi parlez-vous des « Algéries » ?
D’un point de vue historique, géographique, humain et culturel, il n’y pas d’Algérie, mais des Algéries. Ce territoire a été berbère, romain, byzantin, arabo-musulman, turc, français puis algérien depuis 1962. Avant cette année, il y avait donc plusieurs Algéries.
D’ailleurs, même le nom « Algérie » n’existe que depuis la conquête française. Ce nom a été donné en 1839 par le ministre de la Guerre.
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