Par une chaude journée d’été, un professeur prépare ses cours dans son bureau. Il s’étire et prend une pause bien méritée. Il ouvre une fenêtre pour respirer l’air frais, profiter des rayons du soleil et, bien sûr, admirer son jardin. Il constate avec satisfaction que les graines qu’il a plantées au printemps de l’année dernière poussent et fleurissent. Le soleil éclaire ses légumes verts, les fanes des carottes, les pieds des tomates et, oh non… beaucoup de mauvaises herbes.
Trop absorbé par son travail académique des dernières semaines, il n’a pas remarqué que son jardin était envahi par des mauvaises herbes. Il sort et, après une triste inspection, il voit une foule de plantes indésirables. Elles se sont insidieusement glissées dans ses rangs de courges, de haricots et de tournesols. Il est temps pour lui de cultiver son jardin.
Au Moyen Âge, le jardin était symboliquement représenté dans l’art comme l’endroit où l’on cultivait les vertus de l’homme. En l’an 1279, le moine dominicain Frère Laurent d’Orléans écrivit un manuel d’instruction morale et religieuse à destination des laïcs, Le Livre des vices et des vertus ou Somme le Roi, composé d’une enluminure (décoration exécutée à la main qui orne un manuscrit « du latin manus, « les mains » et scribere, « écrire » ») intitulée « Le jardin des vertus ».
Plus tard, à la Renaissance, les artistes ont représenté les jardins comme des lieux allégoriques et se sont inspirés de la littérature classique, des mythes et des légendes dans leurs peintures. L’une de ces histoires est celle de Minerve, la déesse romaine de la sagesse et de la justice, qui veille sur le jardin céleste de la vertu. L’histoire raconte qu’au fil du temps, sa colère juste grandit lorsqu’elle vit le jardin envahi par les mauvaises herbes de nombreux vices.
Cultiver le jardin de la vertu
L’artiste de la Renaissance Andrea Mantegna (vers 1431-1506) a relaté cette histoire dans son tableau « Minerve chassant les vices du jardin de la vertu » (1502). Le tableau de Mantegna présente symboliquement les vices que les gens doivent éliminer par eux-mêmes.
Dans le tableau, Minerve est pieds nus et vêtue de son typique chiton (robe romaine) long jusqu’au sol, portant son casque de combat corinthien repoussé vers l’arrière pour révéler ses traits. Elle tient une lance et une égide, son bouclier étant orné d’une tête de Méduse qui éloigne le mal.
La déesse guerrière s’élance, soutenue par Vertu peinte en femme-laurier qui ressemble à Daphné – repoussoir des avances d’Apollon – plantée comme un point de départ sur le plancher des vertus. Non loin de ses racines, sur le bord de la mare, on peut lire un extrait des Remèdes à l’amour (écrit par Ovide en l’an II après J-C) : « Si tu chasses les vices, l’arc de Cupidon dépérira ». C’est un bout de morale du temps d’Ovide qui nous invite à dissiper l’amour par le travail et l’action. Baignant juste à côté, l’Oisiveté moqueuse présente son derrière à la citation.
Minerve chasse les vices qui s’enfuient, terrorisés. Les cupidons, divinités mineures aux ailes de papillon de nuit qui ont semé la pagaille par malice dans le jardin, se dispersent à présent. Tout est en désordre, les créatures dépravées courent çà et là, luttant pour éviter la colère de Minerve.
Mantegna a utilisé l’épigraphie, une technique d’inscription utilisée au Moyen Âge pour identifier des personnages ou des objets en plaçant des parchemins, des bannières ou des bandeaux près ou sur un personnage. À l’extrême gauche, un olivier aux traits féminins est enveloppé dans un parchemin. Selon certaines sources, la bannière identifie la figure comme Daphné, qui a été transformée en arbre pour échapper à la capture d’Apollon. Selon d’autres sources, il s’agit de la Vertu, qui a été ligotée et ne peut plus pousser dans le jardin.
À l’autre bout de cette mare aux diables, tout à droite, un muret de pierre affiche un message en latin : « Et vous, Ô dieux, prêtez-moi votre concours, moi la Mère des Vertus.» Serait-ce un papier laissé par Minerve ? Elle est madame Prudence, première des quatre vertus. Son appel à l’aide est doublé par le message porté par la femme-laurier à gauche : « Venez compagnes divines des vertus, vous qui êtes revenues du ciel, chassez de nos sphères les vices, monstres abominables ».
Une figure, tenant plusieurs bébés et identifiée par un rouleau tenu par un cupidon, regarde en arrière, terrifiée, alors que Minerve se précipite vers elle. Au centre, Diane, déesse de l’amour chaste, est sauvée alors qu’elle se tient sur le dos d’un centaure, symbole de la concupiscence, qui tire sur sa robe.
Minerve chasse les personnages dépravés dans le marais. En bas à droite, l’Avarice et l’Ingratitude sautent dans le marais en portant une Ignorance, impotente et couronnée. D’autres vices sont poussés dans le marais. En bas à droite, l’Inertie, au regard effrayé mais qui semble ne pas voir, tire l’Oisiveté, nue et sans bras, incapable de rien, à l’aide d’une corde. Son sourire est narquois, le spectateur moqué.
Dans cette peinture et dans d’autres, Mantegna a représenté des nuages anthropomorphes (objets inanimés avec des traits humains), comme on peut le voir en haut à droite. Un singe, poussé dans le marais, possède également des attributs humains. Son bras est levé, presque pour parer les coups de la déesse vertueuse. Rien n’échappe à la colère de la déesse.
En haut à droite, les figures de la Justice, de la Tempérance et de la Force d’âme attendent que les vices soient nettoyés pour pouvoir retourner dans le jardin. Une bannière blanche sortant du mur identifie la vertu emmurée de la Prudence qui réclame d’être libérée.
Le Studiolo
Au cours de la Renaissance italienne, les personnes cultivées et érudites ajoutaient un bureau privé, ou studiolo, à leur résidence pour y réfléchir, étudier les classiques et profiter de la compagnie d’amis partageant les mêmes idées. Ils concevaient cette pièce privée avec le plus grand soin, en utilisant du beau bois avec de la marqueterie, des sols polis et des œuvres d’art qui encourageaient la réflexion et la discussion.
En 1491, la marquise de Mantoue, Isabelle d’Este, commanda à Mantegna deux peintures pour son studiolo dans l’une de ses deux résidences, le Castello di San Giorgio à Mantoue, en Italie. Selon le site web My Daily Art Display, Mantegna, âgé de 70 ans, a mis quatre ans à réaliser la peinture de la Minerve. À cette époque, plus désenchanté que jamais, Mantegna écrivit à son duc : « Partout l’Ignorance fait obstacle à la Vertu (…) les présomptueux et les sauvages triomphent. »
À cette époque, Isabelle était l’un des principaux mécènes de l’art et faisait preuve de la plus grande prudence dans ses choix. Son biographe a écrit: « Dans ce sanctuaire d’où étaient bannis les soucis et les bruits du monde extérieur, Isabelle rêvait que les murs soient ornés de peintures exprimant ses idéaux de culture et invitant l’esprit à des pensées pures et nobles. »
Isabella a passé plus de 30 ans à décorer son studiolo, où elle a placé sa collection de livres, de bijoux, de camées antiques et de sculptures. Elle a constamment adapté ce cabinet de travail aux goûts changeants de la cour. Le studiolo contenait finalement cinq tableaux d’artistes, dont ceux de Mantegna, qui avaient tous pour thème la victoire de la vertu sur le vice.
Les experts conseillent aux jardiniers de planter densément et d’utiliser du paillis et des couvre-sols pour ne pas laisser de place aux mauvaises herbes, d’utiliser d’autres méthodes naturelles pour s’en débarrasser et, surtout, de ne jamais renoncer à déraciner ces hôtes indésirables de leur jardin.
Tout comme Minerve a nettoyé son jardin pour que les vertus puissent revenir et s’épanouir, il est possible d’éliminer les mauvais éléments en nous-mêmes pour que nos plus belles qualités puissent briller. L’élimination de nos vices peut être un travail difficile, mais cela permet aux fruits de notre travail de s’épanouir à l’automne de notre vie.
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