Étoile montante de la French Tech, à 31 ans, Roxanne Varza a été désignée par Xavier Niel, PDG de Free, pour coordonner le projet de la Station F, campus géant situé dans le XIIIe arrondissement et prévu pour accueillir près de 1 000 start-up françaises et étrangères. De la conception du bâtiment à la sélection future des start-up, en passant par l’animation et la gestion de l’espace, elle et son équipe veillent au bon déroulement du projet.
Vous êtes née en Californie, comment avez-vous développé un tel amour pour la France ?
Je ne saurais pas trop l’expliquer… Mes parents ont quitté l’Iran en 1979. Les Iraniens sont très francophiles, ma mère avait étudié dans un lycée français. Aussi en Californie, tout le monde parle espagnol, je voulais faire quelque chose d’un petit peu différent, j’ai fait une licence en littérature française, puis j’ai développé une passion pour cette langue.
Quand vous aviez 12 ans, votre père a voulu vous montrer comment construire un ordinateur. Vous lui avez répondu que cela ne vous intéressait absolument pas…
C’est une vraie histoire (rires) ! Quand j’y pense, à l’époque, je me disais… « les maths, les sciences, je rejette complètement ! »
Finalement, vous avez fait Lettres et vous êtes bien entrée au cœur de la Tech, un parcours qu’on imagine difficilement dans le milieu Tech…
Je suis arrivée dans ce milieu via la France, j’aimais tellement la France, je travaillais pour Business France, et mon boulot était d’aller voir les investisseurs à San Fransisco pour leur parler de la France. J’adore travailler avec les gens créatifs, intelligents, optimistes… et les start-upeurs sont souvent des gens optimistes. C’est comme cela que j’ai découvert la Tech. Cela venait plus de la rencontre avec les gens que de la Tech, et c’est la partie « innovation » qui me plaît davantage. Donc je dirai qu’en effet, la tech est en train de changer.
Quand vous êtes arrivée, comment cela s’est-il passé avec Xavier Niel ?
C’était en 2010. J’étais blogueuse chez Techcrunch, un média très influent dans la Tech et j’ai rencontré Xavier lors d’un évènement chez Microsoft. Il y avait Steve Ballmer, le PDG de Microsoft et tous les autres. Xavier m’a dit : « ah, c’est toi la fille de TechCrunch . Super, les articles que tu fais ! ». J’étais bluffée parce que je n’imaginais pas qu’il lisait mes articles. Et nous sommes restés en contact. Il y a quelques années, il commençait à réfléchir à ce projet. Je connaissais bien l’écosystème des start-up et j’avais une connaissance de la Californie. Il m’a demandé mes idées sur ce projet et de fil en aiguille, il m’a proposé le job.
Sur quels critères sélectionnez-vous les start-up qui entreront dans la Station F ?
Les candidatures n’ont pas encore commencé. Les éléments que je peux partager aujourd’hui, c’est que l’on est quand même sur des start-up assez jeunes, comme on veut avoir 1 000 start-up sur place, on est sur des start-up qui ont probablement moins de dix salariés, probablement peu financées, avec un minimum de preuves. On s’attend au moins à voir une équipe constituée, qu’il y ait un prototype, un produit. Mais on n’est pas encore fixé aujourd’hui. On me pose pas mal de questions sur les verticales industrielles, et aujourd’hui on est ouvert à tout. Donc cela ne va pas être que du e-commerce, nous serons très larges dans notre sélection.
Xavier Niel a parlé d’un rayonnement international. On peut imaginer que pas mal de start-up étrangères décideront de poser un pied en France dans la Station F…
On ne va pas juste l’imaginer, j’espère que cela se fera vraiment (rires)… On voit de plus en plus de start-up étrangères qui s’intéressent à la France. Il y avait déjà des initiatives de la French Tech, le French Tech Ticket, l’année dernière. 50 start-up de 23 pays différents sont venues en France à cette occasion, il y en a certaines qui souhaitent rester et qui seraient donc intéressées par la Station F. D’autres viendront l’année prochaine, et en dehors de ce programme, on pourrait aussi imaginer plein d’autres partenariats, des programmes dédiés à différents pays, des échanges… C’est un axe que l’on aimerait vraiment travailler.
Vous laissez donc le champ ouvert…
Très ouvert, nous n’avons pas envie de nous limiter à ce jour. Dès que quelqu’un veut entreprendre à l’international, que ce soit à partir de la France ou de l’étranger, je pense que la Station F pourra jouer son rôle.
À propos du milieu des start-up, les États-Unis et la France ont des ambitions très fortes, mais avec des moyens très différents. Aux États-Unis, il y a beaucoup de moyens, de budget et d’espaces. La France aligne certains atouts comme la qualité de ses ingénieurs et des formations, mais on reste encore derrière au niveau des moyens…
Concernant le manque de moyens, je pense que cela est derrière nous. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Des études ont été faites, j’ai lu un article dans The Economist qui le confirmait : en Europe, la France est en tête concernant les levées de fonds. Sur le nombre de start-up qui lèvent de l’argent, cette année, la France se positionne mieux que l’Angleterre, et mieux qu’Israël. Donc pour nous, heureusement, la question des moyens de financements ne se pose plus. Au niveau du développement, il y a encore beaucoup à faire, mais cela concerne l’Europe et pas seulement la France.
Si l’on voulait comparer avec l’ensemble des États-Unis, c’est dur… Alors je le fais souvent avec la Silicon Valley : là-bas, les montants investis et les salaires sont astronomiques. D’après ce que je vois, les choses changent plutôt pour le pire. C’est devenu très, très compétitif, les gens ne peuvent plus se permettre de vivre à San Francisco et beaucoup de personnes ont une envie de quitter la Silicon Valley. On a l’impression que tout se concentre autour des start-up et qu’il n’y a plus rien d’autre. Je pense que cela nuit aussi à l’innovation et à la diversité, à la création des projets.
De ce point de vue là, j’ai plutôt l’impression que la France et Paris se positionnent très bien pour attirer les différents talents des différents pays. Les prix des salaires et des loyers sont encore très abordables. On n’est pas au niveau de Berlin, mais par rapport à Londres où d’autres places, c’est déjà très bien. On a un talent Tech ici que l’on ne trouve pas ailleurs. Même à San Francisco, parmi les meilleurs ingénieurs, on trouve beaucoup de Français…
On en voit d’ailleurs beaucoup dans les GAFA…
Oui, il n’y a que des Français (rires) !
Pensez-vous que les Français pourraient s’inspirer de la culture américaine, l’audace par exemple ?
Nous vivons certains changements, je vois en tout cas que l’ambition, la culture de l’échec ou ne plus avoir peur de l’échec et aussi l’internationalisation des projets commencent vraiment à être ancrés dans l’esprit entrepreneurial en France. Les gens lancent leur projet dès le premier jour en visant l’international, on est moins sur des produits franco-français. Les ambitions sont différentes : il y a quelques années, on entendait encore : « D’ici deux ans, je veux que l’on trouve mon produit à Paris et Lyon ». Aujourd’hui, ce serait plutôt : « Je veux qu’on le trouve dans une dizaine de pays ». Les gens pensent plus large.
À propos de ne pas avoir peur de l’échec, vous aviez animé la FailCon, des conférences sur l’échec, la progression… ?
Au sujet de la FailCon, l’objectif était de permettre aux intervenants de parler librement de leurs échecs et de ce qu’ils ont appris pour éviter aux autres de faire les mêmes erreurs. Je suis venue en France pour faire mon Master, et j’ai constaté qu’en cours, lorsqu’un élève pose une question, ce n’est pas du tout dans le même état d’esprit qu’aux États-Unis. Là-bas, on pose une question ridicule sans le moindre souci car on vient apprendre. En France, on pose une question pour montrer ce que l’on sait, du coup, les gens ne se permettent pas de poser n’importe quelle question. Ce n’était pas la même chose. C’est dans cet esprit que nous avions lancé FailCon, et c’était dur les premières années, personne ne voulait nous sponsoriser, les gens ne voulaient pas parler de leurs échecs personnels. On a changé de modèle, obligé les gens à parler en anglais, on a fait venir des étrangers… Puis il y a eu l’année où Fleur Pellerin, alors secrétaire d’État au numérique, avait lancé une conférence sur le rebond.
Les gens ont compris par la suite qu’il fallait donner plus d’attention au sujet. Donc l’année suivante, on a eu moins de problèmes pour trouver des sponsors ou des speakers !
Beaucoup de start-up ne dépassent pas le cap des premières années…
Justement, ce n’est pas forcément la réalité. Il y a des start-up qui commencent à aller très loin. Il y a une start-up qui a levé de l’argent la semaine dernière… Zenly, ils ont levé avec les meilleurs investisseurs des États-Unis, sans même avoir ouvert de filiale là-bas. En 28 jours, ce doit être un record mondial ! Cela veut dire qu’aujourd’hui, même les investisseurs américains regardent ce qui se passe en France.
Quels conseils leur donneriez-vous ?
En terme de conseil, je pense que les gens sont parfois enfermés, il y a tellement de ressources, d’évènements, de réseaux, de programmes… Il faut vraiment aller les chercher. J’espère que Station F en fera partie. Je donne toujours les mêmes conseils, ce sont les choses qui m’ont servi personnellement : d’aller à l’étranger, même lorsqu’on va en vacances, il faut voir ce qui se passe là-bas, cela peut servir. Je dis aux gens d’apprendre un minimum de code, ce sera un peu comme l’anglais de demain. Je ne suis pas forcément convaincue qu’il faille à tout prix lancer de start-up. Pour ma part, j’ai commencé avec un projet, un blog, une association, je n’ai jamais vraiment monté de start-up mais ces projets m’ont permis d’établir un réseau.
Votre start-up du moment ?
J’adore une start-up qui s’appelle Agricool. Cela pourrait changer l’agriculture. L’idée est de cultiver des fraises en centre ville dans des cabines, mais ce qui est intéressant c’est comment envisager l’agriculture de demain. Pour ces start-upers, cela se passera à l’intérieur des villes : ils veulent monter des cabines où l’on fera, par exemple, pousser des fraises. Il y a aussi Sandra Rey de Glowee qui crée de la lumière à partir des algues et de la matière biologique. Ce n’est pas le même type de technologie, mais c’est impressionnant !
La station F, le campus aux 1000 start-up
Adossé à la bibliothèque François Mitterrand, le plus grand campus du monde long de 310 mètres sur 58 – soit une tour Eiffel couchée –, ouvrira ses portes début 2017. Imaginé par Xavier Niel, PDG de Free, le bâtiment, en plus des 3 000 postes réservés aux start-up, accueillera tout un écosystème entrepreneurial.
Si la Gare conçue par Eugène Freyssinet servait à connecter les voyageurs depuis son ouverture en 1929, la Station F visera, elle, la connexion des start-up. Dans ce lieu, tout est préparé pour répondre aux besoins des entrepreneurs. En plus des 3 000 postes de travail, l’incubateur comporte deux espaces supplémentaires :
une zone « Chill », ouverte au public, qui comportera un espace de coworking, plusieurs restaurants, un bar ouvert 24h/24 et deux wagons accueillant des événements. Une zone « Share » sera réservée au travail, aux rencontres et événements. Celle-ci comprendra un auditorium de 370 places, une FabLab avec imprimantes 3D, des ateliers pour le travail de bois et de métaux, un pop-up store et des espaces dédiés aux services pour les start-up.
Contrairement aux 80 incubateurs français, limités à n’héberger que quelques dizaines de projets en même temps, la Station F marque un changement d’échelle. Roxanne Varza, directrice de la Station F, a retenu une approche holistique. « Nous travaillons les espaces, les aménagements pour que cela corresponde bien aux besoins des start-up. On touche quasiment tous les sujets et nous vérifions que l’ensemble des acteurs sur place proposent des offres différentes et variées répondant à ces besoins ». Pour ne pas faire les choses à moitié, le patron de l’école 42 a également prévu 600 logements à Ivry-sur-Seine pour loger les occupants de la Station F, dont l’ouverture est prévue un an plus tard.
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