Dérapage des finances publiques : « Couvrez ce déficit que je ne saurais voir »

Par Germain de Lupiac
29 janvier 2025 06:12 Mis à jour: 29 janvier 2025 17:52

« Couvrez ce déficit que je ne saurais voir, par de pareils chiffres les Français seraient choqués », pourrait-on paraphraser du Tartuffe de Molière. Il pèse sur les chiffres prévisionnels du déficit de 2024 une ombre de soupçons que les dernières auditions à l’Assemblée n’ont su lever. Certains réclament que ces chiffres ne viennent plus uniquement d’une administration liée politiquement, mais « d’institutions indépendantes » qui donneraient plus de crédit aux prévisions sur le budget.

Le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici a soutenu la semaine dernière l’établissement de prévisions macroéconomiques « indépendantes » de « l’hubris politique », devant les députés de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les causes du dérapage du déficit public.

Le 15 janvier, c’est l’Insee qui estimait que des experts en finances publiques devraient participer à la confection du budget pour éviter à Bercy « de porter seul la responsabilité » des erreurs de prévisions, éludant une éventuelle volonté politique derrière les prévisions trop optimistes sur le déficit. En septembre, le rapporteur général du budget de l’État, le député centriste de la Marne (LIOT) Charles de Courson assurait que le dérapage des comptes publics avait été « caché car il y avait les élections (européennes, ndlr) ».

Le déficit public de 2024 était prévu à 4,4 % du PIB, il devrait atteindre finalement 6,1 % du PIB, un dérapage pour la deuxième année consécutive qui vaut à la France d’être épinglée par Bruxelles pour déficit excessif. Des notes internes de Bercy avaient pourtant alerté sur ce dérapage des comptes publics dès l’automne 2023.

Fin décembre, l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a été auditionné pendant 4 heures pour rechercher la cause de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires pour les années 2023 et 2024, avait fortement démenti ces allégations.

Moscovici plaide pour l’indépendance des prévisions sur le déficit

Pierre Moscovici a repris son plaidoyer le 21 janvier en faveur d’un élargissement du périmètre du Haut Conseil des Finances publiques (HCFP) – qu’il préside – ou pour la mise en place d’un autre dispositif chargé de prendre en main les prévisions macroéconomiques afin d’éviter que Bercy ne soit trop « seul » dans cet exercice.

La commission d’enquête auditionnait Pierre Moscovici dans le cadre de ses travaux sur l’étude des causes des variations observées entre le déficit public et les prévisions fiscales et budgétaires. Initialement prévu à 4,4 % du Produit intérieur brut (PIB) à l’automne 2023, le déficit public devrait finalement s’établir à 6,1 %, un chiffre qui sera confirmé fin mars 2025, largement au-dessus des 3 % tolérés par Bruxelles.

« Certaines mauvaises surprises étaient difficiles à prévoir. Incontestablement […]. Mais il est impossible, je répète, impossible de prétendre en toute conscience que personne ne connaissait la fragilité répétée des prévisions pendant cette période », a estimé l’ancien commissaire européen.

Élargir les compétences du Haut Conseil des Finances publiques

Pierre Moscovici a répété avoir « alerté » à plusieurs reprises sur « le caractère optimiste de la quasi totalité des postes de prévision du gouvernement pour l’année 2024 », notamment la prévision de croissance, qui « était indubitablement et très significativement trop optimiste », sans que ces signaux aient « été entendus ».

« L’indépendance des prévisions en France doit être mieux garantie », et « c’est le rôle des institutions budgétaires indépendantes, donc en France du Haut Conseil des Finances publiques (HCFP), que de garantir la qualité des prévisions et de les tenir éloignées de ce que j’appellerais l’hubris du politique », a estimé l’ancien ministre de l’Économie.

Pour se prémunir de cet « orgueil démesuré », il a soutenu un élargissement des compétences du HCFP afin de lui conférer « un rôle de validation des prévisions macroéconomiques et de finances publiques du gouvernement », évoquant notamment l’exemple d’autres pays européens comme le Portugal.

« Tant que la prévision sera le seul fait de l’administration, elle sera forcément soumise aux arbitrages gouvernementaux », a-t-il poursuivi. Pierre Moscovici a également mis en cause nommément l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui avait été entendu par la commission d’enquête le 12 décembre 2024.

« Contrairement à ce qui a été indiqué à plusieurs reprises devant votre commission, y compris par Bruno Le Maire, l’ancien ministre, lors de son audition, le HCFP n’a ni validé les prévisions de croissance pour 2024, ni a fortiori considéré qu’elles étaient plausibles dans son avis sur le projet de loi de finance pour 2024″, a-t-il affirmé.

Le HCFP a aussi « regretté à plusieurs reprises un manque d’information, des informations incomplètes de la part du gouvernement dans ses avis », a également estimé Pierre Moscovici.

L’Insee juge également Bercy trop « seul » dans ses prévisions

Le directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, était questionné une semaine plus tôt par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le dérapage du déficit public en 2024.

Jean-Luc Tavernier est membre du Haut conseil des finances publiques (HCFP), organisme présidé par le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, et chargé de donner son avis sur les prévisions budgétaires du gouvernement.

Il a constaté que « tout un tas de gens publient des hypothèses macroéconomiques, et qu’on peut voir ainsi si on est dans le consensus », alors qu’il n’y a pas « tout cet écosystème » pour les prévisions de dépenses et de recettes.

Pour M. Tavernier, « il faudrait que certains labos académiques – il a cité l’Institut des politiques publiques, Rexecode, l’OFCE – soient incités, y compris en les finançant, à travailler sur ces sujets ». Il a jugé que « du point de vue de Bercy [ce serait] salutaire, car ce n’est pas bon d’être seul et de porter seul la responsabilité quand on se trompe ».

Questionné sur la part éventuelle de volonté politique dans les prévisions trop optimistes qui ont abouti au dérapage, M. Tavernier s’est rangé à l’explication générale : « Plutôt des erreurs de prévisions qui sont malheureusement pour la plupart tombées du mauvais côté ».

Il a pesté enfin contre les conditions d’exercice du HCFP, qui nuit à la « collégialité » des travaux : « Je ne sais pas quand nous serons saisis pour une révision des hypothèses de la loi de finances initiale », a-t-il noté, comme celle d’un déficit public revu à 5,4 % du PIB au lieu de 5 % cette année ou d’une croissance abaissée à 0,9 % au lieu de 1,1 %.

La France possède le ratio d’endettement le plus élevé de la zone euro

La France vise un déficit public de 5,4 % du PIB en 2025 – supérieur à la projection de 5 % du précédent gouvernement – et abaisse sa prévision de croissance à 0,9 % cette année contre 1,1 % avant la censure du gouvernement Barnier.

L’objectif de déficit public sera fixé à 5,4 % du produit intérieur brut (PIB) pour cette année, avec le maintien de l’objectif de le ramener en 2029 au maximum de 3 % toléré par la Commission européenne.

À la fin septembre 2024, la dette publique atteignait 113,7 % du PIB à 3303 milliards d’euros, faisant de la France le pays affichant le ratio d’endettement le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce et l’Italie.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.