Imaginez envoyer un astronaute dans l’espace pendant un an et pouvoir comparer les réactions de son corps à celles de son jumeau resté, lui, sur Terre. C’est exactement ce qu’a fait la Nasa, qui a publié jeudi les résultats d’une étude permettant de donner un meilleur aperçu des conséquences sur les humains de longs séjours dans l’espace, en prévision par exemple de voyages vers Mars.
L’astronaute américain Scott Kelly, 50 ans, a passé un an dans la Station spatiale internationale (ISS), pendant que son frère Mark Kelly, ancien astronaute lui-même, restait sur la terre ferme. Les chercheurs ont observé attentivement les changements provoqués par leurs environnements respectifs sur leur corps. Les résultats, publiés dans la prestigieuse revue Science, montrent que la plupart des modifications provoquées par un voyage spatial disparaissent peu à peu après le retour sur la planète bleue.
Selon Susan Bailey, de l’université de l’Etat du Colorado, l’étude est « l’appréciation la plus complète que nous ayons jamais eue sur la réponse du corps humain à un vol dans l’espace ». Utilisant Mark comme référence, les 84 chercheurs, issus de 12 universités différentes, ont documenté les conséquences moléculaires, cognitives et physiologiques des 340 jours consécutifs passés par Scott dans l’espace, entre 2015 et 2016.
L’intérêt de l’exercice? « Parce qu’ils sont jumeaux, ils ont essentiellement le même code génétique », explique Andy Feinberg, de l’université Johns Hopkins. Scott, qui a comme son frère participé par le passé à plusieurs missions de la navette spatiale américaine, a été examiné avant, pendant et après son voyage. Du sang, de l’urine et des échantillons de selles ont été rapportés sur Terre à bord de vaisseaux ravitailleurs.
Parallèlement, les chercheurs ont également surveillé Mark, dénommé « référent génétique terrestre ». « Des milliers de changements moléculaires et génétiques surviennent lorsque quelqu’un va dans l’espace », expose Michael Snyder, de l’université de Stanford. « Pratiquement tout cela revient à la normale dans les six mois », a-t-il expliqué. « C’est rassurant de savoir que lorsque vous rentrez, les choses rentrent globalement dans l’ordre ».
Des mesures de l’épaisseur de la paroi de l’artère carotide des deux frères ont été prises. Un épaississement peut être l’indicateur de maladies cardiovasculaires ou de risques d’accident vasculaire cérébral (AVC). « Notre découverte principale est que la paroi de l’artère carotide de Scott est devenue plus épaisse lors du vol, et est restée ainsi pendant toute la durée de la mission », a expliqué Stuart Lee, du centre spatial Johnson de la Nasa. La même réaction n’a pas été observée chez Mark.
Scott a également perdu 7% de sa masse corporelle pendant qu’il se trouvait dans l’ISS, tandis que celle de Mark a elle augmenté de 4% sur la même période. Un vaccin contre la grippe leur a été administré, déclenchant la même réaction immunitaire chez les deux frères. Les jumeaux se sont également soumis à une batterie de tests cognitifs avant, pendant et après la mission. Ceux-ci ont montré que les performances de Mark avaient décliné à son retour, en termes de vitesse et de justesse.
Chris Mason, généticien au Weill Cornell Medicine, s’est lui penché sur l’influence de l’environnement si particulier qu’est l’espace sur les gènes humains. La « vaste majorité, plus de 90% » des changements observés, ont disparu une fois de retour sur Terre, dit-il. L’une des observations les plus intéressantes a été faite par l’équipe de Susan Bailey, qui s’est intéressée aux télomères. Ces derniers se trouvent à l’extrémité des chromosomes et raccourcissent habituellement avec l’âge, ce qui fait d’eux un marqueur de la vieillesse.
Avant la mission, ceux de Mark et Scott étaient très similaires. Mais les chercheurs ont été surpris de constater chez Scott une « élongation des télomères » pendant son séjour dans l’ISS. Les scientifiques cherchent à déterminer si l’exposition plus élevée aux radiations dans l’espace, ou encore le stress, pourraient être la cause de cet allongement. Attention, cette découverte « ne peut pas vraiment être vue comme la fontaine de jouvence » ou comme la preuve que les humains pourraient « vivre plus longtemps dans l’espace », a toutefois prévenu Susan Bailey.
La longueur des télomères a « très rapidement » décru après de retour sur Terre de Scott, souligne-t-elle. Malgré tout, ces observations représentent « un élément important pour l’évaluation de la santé et des risques à long terme pour les futurs astronautes », conclut l’étude.
D.C avec AFP
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