Déserts médicaux, fin de vie: un médecin généraliste s’exprime sur ces sujets qui touchent la profession

Par Julian Herrero
7 juillet 2023 22:55 Mis à jour: 10 juillet 2023 16:55

Pascaline Letourneur, médecin généraliste, exerce dans un cabinet situé au Neubourg, une commune du département de l’Eure, en région Normandie. Le département est en proie au phénomène de «désertification médicale». Quel est son avis sur la situation de la profession ?

Epoch Times : Plusieurs départements français souffrent depuis des années de ce qu’on appelle la « désertification médicale ». L’Eure fait partie des départements les plus touchés par ce phénomène. Quelles sont, selon vous, les causes de cette situation ? Quelles en sont les conséquences actuelles ? La proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, aussi appelée proposition de loi Valletoux qui consiste notamment à imposer des contraintes aux médecins libéraux répond-elle efficacement à la problématique ? Enfin quelles pistes préconiseriez-vous pour y remédier ?

Pascaline Letourneur : Je pense que l’antériorité de la formation des étudiants en médecine depuis de nombreuses années y est pour quelque chose. C’est à dire qu’on a réduit la formation des différents médecins et cette réduction du nombre de formations n’a pas compensé les départs en retraite des dix dernières années. Aussi, l’augmentation de la population, mêlée à celle de l’espérance de vie, ont favorisé cette désertification médicale progressive. Vous comprenez, on vit de plus en plus longtemps avec des gens qui ont une santé plus fragile, qui nécessitent par conséquent plus de professionnels, différents intervenants, différentes spécialités, pas uniquement en ce qui concerne la mienne, la médecine générale. En somme, nous avons réellement besoin de plus de médecins.

N’omettons pas aussi que la réduction du numerus clausus a aussi entraîné une diminution de la formation des médecins. Certes, ce dernier a été réaugmenté il y a quelques années mais c’est arrivé bien trop tard. Je crois également que certaines spécialités médicales rencontrent moins de succès qu’il y a quelques décennies et sont par conséquent moins choisies par les étudiants.

J’ajoute que les départs à l’étranger de nombreux professionnels de santé français participent à ce phénomène de désertification médicale. Certains médecins choisissent encore de partir vers l’étranger et pas forcément très loin mais dans des pays relativement proches. Nous avons des étudiants en médecine qui ont échoué en France et qui sont allés faire médecine dans d’autres pays et qui y sont restés.

Au niveau des conséquences, aujourd’hui, on a un certain nombre de patients qui se retrouvent sans médecin traitant, des femmes qui n’ont plus de suivi gynécologique régulier, des enfants qui n’ont plus de pédiatre de ville et finalement des personnes qui ne se font plus soigner tout simplement, ou alors de façon très irrégulière, sans accès aux soins primaires.

À l’heure actuelle, nous avons presque tous les jours des personnes qui téléphonent pour demander une prise en charge parce qu’elles n’ont plus de médecin traitant en raison d’un départ à la retraite du professionnel de santé ou d’un non-remplacement.

Pour revenir sur la proposition de loi Valletoux, je trouve ça un peu difficile pour de jeunes médecins qui viennent de passer 9 à 10 ans dans leurs études, qui sortent à 27, 28, 29 ans pour s’installer, qui parfois ont déjà une vie de famille, une femme, des enfants, d’aller leur demander de s’installer à un endroit qu’ils ne connaissent pas, dans lequel la famille ne pourra pas forcément suivre. Je ne pense pas que ce soit une solution intéressante et qui va permettre vraiment d’augmenter le nombre de médecins dans les zones déficitaires.

En termes de solutions, il faut rappeler que des solutions financières avaient déjà été proposées il y a quelques années par l’assurance maladie, avec des primes pour les médecins qui s’installaient dans les zones justement déficitaires, pour les encourager, pour les aider à s’installer. De toute évidence, ces solutions financières ont échoué et n’ont pas entraîné une augmentation du nombre de médecins dans ces territoires. Le problème c’est l’attractivité des territoires. Pourquoi est-ce que les jeunes médecins ne vont pas dans ces zones ? Parce que ce sont des endroits où il y a peu de professionnels de santé. C’est un peu un cercle vicieux. Aujourd’hui, les jeunes médecins qui s’installent veulent une cohésion et un travail de groupe pour pouvoir échanger avec différents professionnels et ne pas se retrouver seul dans une situation difficile. Donc il y a le côté professionnel et puis il y a le côté pratique également d’une vie sociale qui doit exister pour leur famille dans le lieu où ils vont exercer. Pour résumer, je dirais que c’est un meilleur cadre de vie qu’il faudrait pour tenter d’endiguer les déserts médicaux.

Autre sujet d’actualité : l’euthanasie. Emmanuel Macron a annoncé en avril dernier qu’il souhaitait une « nouvelle loi sur la fin de vie » d’ici la fin de l’été. Il a également appelé à bâtir « un modèle français de fin de vie ». Pensez-vous qu’il faille aller au-delà de la loi Claeys-Leonetti de 2016, permettant aux soignants de mettre sous sédation irréversible des patients proches de la mort, dont les souffrances sont intolérables mais n’autorisant pas pour autant le suicide assisté ?

Je pense qu’en effet, c’est un sujet qui mérite vraiment d’être discuté et qu’à terme, il faudra trouver une solution pour pouvoir aller au-delà de la loi Leonetti. Nous avons aujourd’hui régulièrement des patients qui, sans pour autant avoir une maladie grave ou incurable, se retrouvent à un certain âge, dans des conditions de vie très difficiles. Des personnes âgées qui ont perdu la vue, l’audition ou qui ont de grandes difficultés à se déplacer et qui se retrouvent bien seules dans un appartement ou dans une maison de retraite sans aucun lien social, quand elles n’ont pas de famille, sans aucune activité, sans la possibilité de pouvoir occuper leurs journées. Et nous avons ces patients qui nous disent tout simplement parfois attendre la mort qui ne vient pas. Ces patients souhaitent mourir parce qu’ils estiment avoir de mauvaises conditions de vie. Il faudra pouvoir apporter une solution à ces patients qui tristement attendent leur heure.

Selon vous, la médecine libérale telle que nous la connaissons en France, défendue par nombre de vos confrères, a-t-elle encore un avenir ?

Oui, j’ai la conviction que la médecine libérale a encore un avenir. Encore faut-il accepter qu’elle évolue et qu’elle s’exerce différemment par rapport à ce que nous avons connu. L’absence d’évolution et le fait que les différents changements soient mal acceptés ou mal perçus sont plutôt dangereux pour l’évolution de la médecine libérale. Si nous acceptons le changement et que nous évoluons tous dans la même direction, alors, elle perdurera.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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