Petits hôpitaux en difficulté, généralistes moins accessibles, spécialistes concentrés dans les villes : les Français ont du mal à trouver des soignants près de chez eux.
Selon le baromètre IPSOS 2024 de la Fédération hospitalière de France (FHF), « le temps d’accès aux services de soins a augmenté de manière significative en cinq ans ».
Pour aller chez un pharmacien, les Français estiment à 13 minutes en moyenne leur temps d’itinéraire, contre 9 minutes en 2019. Pour aller aux urgences, le temps est actuellement évalué à 28 minutes, contre 23 minutes il y a cinq ans.
Une différence plus marquante lorsque l’étude compare les trajets réels en zone rurale et en milieu urbain. Un habitant des villes se rend chez l’ORL en 33 minutes, un rural roule 57 minutes pour consulter.
Résultat : six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années, dont 50 % en raison de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et un tiers à cause de l’éloignement géographique, selon le baromètre IPSOS.
La « diagonale du vide » des déserts médicaux
Déserts médicaux: dans la Nièvre, des communes « interdisent » de tomber malade
En octobre, plusieurs communes de la Nièvre ont pris des arrêtés symboliques « interdisant » à leurs habitants de tomber malade, afin de dénoncer la situation « catastrophique » des urgences dans ce département réputé pour être un des pires déserts médicaux de France.
« Il est formellement interdit à tout habitant de tomber malade, sous peine de ne recevoir aucune prise en charge médicale en raison de la fermeture répétée des services d’urgences » : l’arrêté pris par la commune de Decize ne manque pas d’humour.
Pourtant, le sujet est « très grave », explique Justine Guyot, la maire PS de cette commune d’environ 5600 habitants.
Les urgences de l’hôpital du gros bourg « ont été placées en mode dégradé voire complètement fermées à 24 reprises depuis mars », souligne-t-elle, dont une fois où les urgences de l’hôpital de Nevers, à 40 minutes de voiture, étaient elles aussi fermées.
« Il n’y avait alors aucun service d’urgences dans toute la Nièvre », qui compte environ 200.000 habitants, explique la maire.
« Je voulais donc interpeller » en prenant cet arrêté « ironique » le 8 octobre, et en l’envoyant à l’ensemble des communes de la Nièvre. Depuis, « une vingtaine » de maires l’ont copié, comme celui de Montigny-aux-Amognes.
« La Nièvre, c’est une catastrophe », résume Christian Perceau, maire de ce village de moins de 600 habitants. « On a des énormes soucis avec les urgences à Nevers. C’est géré par le 15 à Dijon », la capitale régionale à environ 2h30 de route, « mais il y a des erreurs… », souligne le maire, évoquant le cas de sa tante dirigée, en raison d’un mal de ventre, vers un médecin d’une commune alentour. « Quand elle y est arrivée, elle a trouvé porte close : la généraliste avait déménagé… »
La Nièvre ne compte que 68 médecins pour 100.000 habitants contre une moyenne de 121 en France. Il n’y a pas de dermatologue, un seul rhumatologue, un allergologue… et 20 % des patients n’ont pas de médecin traitant.
La situation est telle qu’un « pont aérien » a été mis en place en janvier 2023 afin d’amener depuis Dijon, une fois par semaine au moins, un maximum de huit médecins à l’hôpital de Nevers. En mars, un collectif d’urgentistes de Nevers a averti que la sécurité des patients n’était « plus assurée », les urgences tournant avec six praticiens, alors que 27 seraient nécessaires.
L’Alsace adopte un plan contre les déserts médicaux
La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) a adopté un « Plan santé », doté de trois millions d’euros, pour faire face aux « défis significatifs » que sont la « pénurie de professionnels » ou la « désertification des territoires ».
« Aujourd’hui, l’offre de santé est menacée, on a peur de ne pas réussir à soigner nos concitoyens. Dans toutes les situations, les soins de proximité, les soins non programmés, les urgences, on a des déficits et des difficultés nouvelles », a fait valoir Frédéric Bierry, président LR de la CEA et vice-président de l’Assemblée des départements de France, chargé de la santé.
« Environ 219.000 Alsaciens rencontrent des difficultés d’accès aux soins de premier recours. Cela représente 11,5 % de la population régionale. C’est moins que la moyenne nationale, 18 %, certes, mais avec le vieillissement démographique en cours, si on n’agit pas en amont, on sera dans la même situation rapidement ». Selon la CEA, un quart de la population alsacienne a plus de 60 ans.
La collectivité, issue de la fusion en 2021 des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, consacre déjà 596 millions d’euros par an à des problématiques de santé publique (fonctionnement des Ehpad, prise en charge du handicap, aides à domiciles…), mais souhaite « développer l’offre de soins dans les territoires » et « faciliter l’installation de futurs professionnels ».
« Si on n’a pas de pédopsychiatres, on aura de plus en plus de difficultés à recruter des éducateurs spécialisés en protection de l’enfance par exemple: ce sont nos missions de service public que nous n’arriverons plus à assumer », a ajouté Frédéric Bierry.
Déserts médicaux : des mesures « fragmentaires » et pas assez ciblées, selon la Cour des comptes
Les politiques menées pour réduire les inégalités d’accès aux soins en France sont trop « fragmentaires », « insuffisamment ciblées » et pas « évaluables », déplorait en mai la Cour des comptes dans un rapport, proposant plusieurs mesures dont une régulation plus stricte de l’installation des médecins.
« L’organisation des ‘soins de premier recours’ (généralistes, spécialistes en accès direct, infirmiers, kinésithérapeutes ou pharmaciens) n’a pas encore été structurée comme une politique publique. L’absence de suivi statistique et le défaut d’indicateurs d’impact ne permettent pas d’en mesurer les conséquences », regrette la Cour dans ce rapport.
Face à l’extension des déserts médicaux, « plusieurs séries de plans » se sont succédé depuis les années 1990 : d’abord « orientés vers les médecins traitants », puis le développement de structures favorisant l’exercice « coordonné » des différentes professions, et enfin vers « la recherche d’économies de temps médical », via notamment des délégations de tâches.
Mais les inégalités territoriales continuent de se creuser : « Le taux de patients sans médecin traitant peut représenter jusqu’au quart des patients (soit deux fois plus que la moyenne) et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière peut atteindre 40 % dans certains territoires, comme dans les Ardennes », note la Cour.
La Cour des comptes suggère de resserrer les critères d’éligibilité des aides financières accordées pour les installations en zones « sous-denses » (déserts médicaux), ces zones étant aujourd’hui trop larges selon elle. D’autres aides (à l’équipement, pour l’embauche d’assistants médicaux, etc.) devraient également être plus « sélectives » et « ciblées » vers les territoires sous-dotés.
Le rapport appelle à des « actions volontaristes » et préconise de « conditionner toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées en médecins à un engagement d’exercice partiel dans les zones les moins bien dotées », en soutenant financièrement le développement de « cabinets secondaires ».
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