L’hiver avant l’hiver. Cols roulés pour les figures de proue de l’exécutif, d’Emmanuel Macron à Bruno Le Maire, en passant par Agnès Pannier-Runacher, sans oublier la doudoune d’Élisabeth Borne. Des tenues qui font suite au « Plan de sobriété énergétique. Une mobilisation générale » présentée par le gouvernement le 6 octobre dernier. Alors que les ministres s’évertuent à recevoir les journalistes en cols roulés, on pourrait se demander si ce nouvel attribut gouvernemental est vraiment nécessaire dès octobre lorsqu’il fait 19 °C dans une pièce. Les réactions suscitées oscillent entre moqueries, « trolls » et critiques politiques.
Visiblement vexé, dans une publication Facebook, le ministre de l’Économie écrit : « Pardonnez-moi de vous déranger pour un col roulé », avant de poursuivre, dans un registre plus grave :
« Tant de bruit pour si peu de sens : voilà le drame de notre vie démocratique. Qui ne se découragerait pas devant tant de futilité ? »
Lui qui se met régulièrement en scène sur les réseaux sociaux pourrait se voir rétorquer la phrase fameuse de l’évêque Bossuet, maxime qu’il aura peut-être déjà entendue chez les jésuites, où il a été formé, comme l’homme d’Église du XVIIe siècle :
« Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. »
Revenons à ce mois d’octobre 2022, pendant lequel Pascal Riché, dans une chronique pour l’Obs, déplore que « face à l’immense défi environnemental, prôner le col roulé et autres « écogestes » ne peut tenir lieu de politique ».
Pourtant, les rires et les critiques provoquées nous révèlent des évolutions du concept d’« exemplarité » dans le contexte politique. Or, cette dernière peut-elle opérer sa transposition à la question environnementale ?
L’exemplarité comme concept
Le concept d’« exemplarité » a une origine morale, qui renvoie à la capacité, généralement exigeante, à être cité en modèle à suivre, en raison de sa conduite édifiante, si l’on se tient à la définition du Larousse. Historiquement, elle est (déjà) exigée concernant les monarques de l’Ancien Régime, qui se devaient, vis-à-vis de leurs sujets, de suivre scrupuleusement la praxis religieuse. Si l’impératif de publicisation de l’exemplarité perdure pour nos gouvernants contemporains, la visibilité est néanmoins plus large que celle des monarques de l’Ancien Régime.
En effet, à propos des soupçons de malversations immobilières pesant sur Richard Ferrand (qui devrait bénéficier d’un non lieu car les faits lui ayant été reprochés ont été considérés comme prescrits) au printemps 2017, Édouard Philippe, alors Premier ministre, glissait sur le plateau de France 2 qu’il attendait des ministres « d’être exemplaire dans leur attitude de ministre, et être exemplaire y compris dans leur vie privée ».
Cette déclaration s’inscrit dans le contexte plus général de lois de moralisation de la vie politique votées en 2013 et 2017, qui suivent les premiers textes juridiques des années 1980, en raison d’une médiatisation accrue des scandales publics. Le fond (les scandales) combiné à la forme (la forte médiatisation) provoque une décroissance de la confiance accordée aux gouvernants, in fine de leur légitimité.
Quand le privé est politique
Dans une actualité plus récente, la sortie du foyer des questions de violences conjugales alimente l’idée que le privé est politique, que ces questions doivent être traitées et débattues politiquement à l’échelle de la société. C’est à cet égard que la philosophe Geneviève Fraisse rappelle le « tout est politique », mot d’ordre des féministes des années 1970, à l’occasion d’une matinale de France Culture revenant sur l’anniversaire du mouvement #MeToo.
Si l’exemplarité est souvent exigée par les gouvernés, il lui arrive d’être parfois stigmatisée, à l’instar d’Alain Juppé et Laurent Fabius, souffrant tous les deux de leur étiquette de « premier de classe » peu charismatique. Leurs cas montrent, selon Christian Le Bart, que « la représentativité est donc moins affaire d’exemplarité et davantage de singularité, d’expressivité, et de visibilité ». Dans ce chapitre de « Pratiques de la représentation politique » (2014), le politiste poursuit en concluant :
« C’était comme si l’exemplarité ne suffisait plus ; comme si, surtout, l’exigence de médiatisation imposait une contrainte de visibilité qui s’accommode mal de l’impersonnalité. »
La « conversion écologique »
Dans le contexte de « nouveau régime climatique », expression chère du regretté Bruno Latour, l’« exemplarité » des gouvernés est désormais accolée à l’écologie. Revenons ici sur la « conversion écologique » du concept, de la sphère religieuse à la sphère gouvernementale, en passant par le militantisme.
À la suite de l’idée de « prophète exemplaire » du sociologue Max Weber, dans le Le Pèlerin et le converti (1999), sa consœur Danièle Hervieu-Léger développe la thèse selon laquelle le converti serait une « figure exemplaire du croyant », présentant sa conversion comme une « protestation contre le désordre du monde ».
Plus spécialiste des mouvements sociaux contestataires, le politiste Gildas Renou remarque, à propos de l’exemplarité :
« une acclimatation, au sein de la sociologie de l’activisme, de l’héritage de la sociologie des religions de Max Weber et, plus précisément, de son analyse des “conduites de vie” visant au salut par l’imitation de pratiques exigeantes ».
Selon lui, le concept permet justement de « rendre compte de la diffusion, depuis environ deux décennies, de ce schème d’articulation entre le changement personnel et le changement sociopolitique ».
Montrer sa révolution
Geneviève Pruvost approfondit cette réflexion dans Quotidien politique (2021), où elle énonce que :
« Pour que le virage soit pris au sérieux et reconnu comme tel par les proches, des plus sceptiques aux plus véhéments, il faut de longues années de mise à l’épreuve et de démonstrations d’exemplarité, un certain jusqu’au-boutisme qui force le respect. »
Pour des militants, parfois radicaux et critiques des institutions politiques, il s’agit de publiciser sa révolution afin d’espérer, ensuite, de révolutionner les autres.
Or, on retrouve cette même logique enroulée dans les cols des gouvernants institutionnels. La présentation de soi vestimentaire est analysée par le prisme de la « mise en cohérence », non plus du simple esthétisme politique, comme l’était le col, pas roulé mais Mao, de Jean-Luc Mélenchon.
Dans le déploiement du « Plan de sobriété énergétique », la conversion écologique est articulée à la fois à un niveau collectif, les politiques publiques, et à un niveau individuel des gouvernants. Et ce, dans un souci de cohérence, qui n’est plus entre la vie privée et la vie publique, mais qui relève davantage de la présentation de soi publique.
Y a-t-il aujourd’hui d’autres sujets politiques où le changement collectif est à ce point transposé à une échelle individuelle ? Que cela soit dans les sphères religieuse, militante ou gouvernementale, le concept d’« exemplarité » revêt une dimension stratégique de diffusion d’un message. En somme, ce détail vestimentaire dévoile une nouvelle déclinaison de l’exigence croissante de mise en cohérence entre la théorie et la pratique, ici de la part des gouvernants à l’égard des gouvernés. Certains pourraient toutefois y voir un tournant moral ou dépolitisant, dans une rhétorique globale du « chaque geste compte ».
Gauthier Simon, Doctorant contractuel en science politique, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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