EDF : De l’apogée au déclin, la lente agonie d’un fleuron industriel décryptée par Alain Le Bihan

Par Etienne Fauchaire
26 septembre 2024 22:32 Mis à jour: 28 septembre 2024 19:49

ENTRETIEN – Le patron d’EDF Luc Rémont sonne l’alarme sur « l’avenir d’investissement » de l’entreprise si le projet de « taxe EDF », proposé par Bruno Le Maire avant son départ du ministère de l’Économie, voyait le jour. Un nouveau coup dur qui ravive le débat sur le sort de l’électricien national, progressivement mis en péril au cours des trois dernières décennies. La chronologie de cette longue descente aux enfers, une destruction qui avait été « structurée, voulue et obtenue » selon Henri Proglio, Alain Le Bihan en retrace ses grandes dates dans son ouvrage Énergie : un crime d’État, publié aux éditions des Cimes et préfacé par Loïk Le Floch-Prigent, ancien président de Gaz de France et de la SNCF.

Epoch Times : En 1990, la France, qui dispose notamment de plus de cinquante réacteurs nucléaires en fonction, est indépendante énergétiquement et EDF est considéré comme un modèle de réussite en Europe et dans le monde. Cependant, « loin de poursuivre l’œuvre entamée, les dirigeants vont s’efforcer, les uns après les autres, de détruire l’outil de production électrique national et l’instrument qui le met en œuvre, EDF », écrivez-vous. Quels sont à vos yeux les principaux actes marquants de son démantèlement progressif ?

Alain Le Bihan : La production et le transport de l’électrique jusqu’aux usagers étaient autrefois assurés par un établissement public industriel et commercial, EDF, qui n’existe plus. « Electricité de France » est devenu un simple producteur d’électricité, public parce que nucléaire, et sans relation avec les usagers. Il est in fine dirigé par un organisme étatique soumis aux décisions de la Commission européenne, et endetté, parce que ses recettes lui ont été volées.

La première étape du démantèlement est initiée sous le gouvernement de la gauche plurielle en 1997, dirigé par Lionel Jospin et sous la présidence de Jacques Chirac, qui scinde la production et le transport de l’électricité en créant deux entités distinctes, marquant ainsi la fin du rôle d’EDF en tant qu’acteur unique dans la gestion des centrales nucléaires. Par ailleurs, il accorde aux producteurs d’énergies dites « renouvelables » le statut de producteurs d’électricité nationale, obligeant EDF à racheter l’électricité éolienne et solaire à des prix exorbitants.

La seconde étape du démantèlement est l’œuvre de Nicolas Sarkozy en 2007, avec l’élargissement du périmètre du ministère de l’Écologie pour comprendre la gestion de l’énergie, et l’adoption de la loi NOME, qui instaure un marché européen artificiel de l’électricité, avec des prix indexés sur ceux du gaz. Cette loi met aussi en place le dispositif ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), contraignant EDF à céder entre 20 et 25 % de sa production à des opérateurs désignés, à un prix inférieur à son coût de production.

En 2012, François Hollande amorce la troisième étape. Sous l’égide de la transition écologique, le nucléaire, pourtant peu émetteur de gaz à effet de serre, est condamné. Des centrales sont fermées, avec l’objectif de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire, désormais prioritaires. Le GIEC, organisme onusien, sera le pilote de la transition avec des réunions annuelles, désignées COP, qui fixent les objectifs et évaluent les progrès accomplis.

La dernière étape débute en 2017 avec Emmanuel Macron. Non seulement il ne remet pas en cause les actions de ses prédécesseurs, mais il accorde encore plus d’importance aux énergies renouvelables, tout en ordonnant la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, dans un contexte de sanctions contre la Russie, mises en place depuis 2014, qui impactent également le secteur énergétique.

Cependant, à partir de 2022, avec l’interdiction d’importer du gaz russe et la flambée des prix du gaz, qui perturbe le marché européen de l’électricité, Macron change de cap. En septembre 2022, il annonce la nécessité de redonner la priorité aux investissements dans le nucléaire. Le président s’engage alors à lancer la construction de plusieurs nouvelles centrales, tandis que la gestion de l’énergie revient sous la tutelle du ministère de l’Économie.

Toutefois, un problème persiste : celui de l’outil de production. EDF doit être rétabli dans l’ensemble de ses compétences pour pouvoir assurer pleinement son rôle dans cette nouvelle stratégie énergétique.

Vous évoquez dans votre ouvrage un « rapprochement » entre Nicolas Sarkozy et l’écologie politique sous son quinquennat. Sous quelle forme cette proximité s’est-elle installée et quelles en ont été selon vous les conséquences ?

En janvier 2007, craignant d’être battu à la présidentielle, Nicolas Sarkozy signe le pacte écologique proposé par Nicolas Hulot. Une fois élu, il nomme un ministre de l’Écologie et étend les compétences de ce ministère pour inclure l’énergie.

Ce nouveau ministère s’appuie sur une grande agence, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), dont le personnel se montre particulièrement hostile au nucléaire et favorable aux énergies renouvelables, comme l’éolien et le solaire. Dès lors, un véritable acharnement contre le parc nucléaire existant s’installe, bloquant tout nouvel investissement dans ce secteur.

Pouvez-vous expliquer le rôle joué par le dispositif ARENH de cette loi NOME dans ce que vous qualifiez de « pillage d’EDF » ?

Le dispositif de l’ARENH permet à des opérateurs privés, sélectionnés par l’État, d’acquérir 25 % de la production d’EDF à un prix fixe de 42 € par mégawatt-heure, un tarif inférieur au coût réel de production. Ce mécanisme, qualifié de « monstruosité » par plusieurs présidents d’EDF, prive l’entreprise des bénéfices nécessaires pour financer ses nouveaux investissements, au profit de tiers.

Cela transforme radicalement son modèle économique et ouvre la porte à des manipulations. Ainsi, lorsqu’EDF est contraint d’arrêter certaines de ses centrales en raison de malfaçons, il doit racheter de l’électricité auprès de ces mêmes opérateurs. Le prix de rachat, indexé sur le prix du gaz en hausse, peut atteindre jusqu’à 345 € par mégawatt-heure, alors que l’électricité est vendue via l’ARENH à seulement 42 €.

Dans votre ouvrage, vous revenez aussi sur l’arrêt de Superphénix en 1998 qui, contrairement à ce qu’affirme Lionel Jospin, ne prend pas sa source dans une décision d’origine économique, mais bel et bien politique, dénoncez-vous. Pouvez-vous revenir sur la genèse de la fermeture de ce réacteur et expliquer en quoi constituait-elle, selon les termes du Sénat, « une décision grave pour la France » ?

La décision d’arrêter le surgénérateur Superphénix est avant tout politique. Elle résulte de l’alliance entre le Parti socialiste et les écologistes, conclue par Lionel Jospin, suite à la victoire aux élections législatives de 1997.

Superphénix était un réacteur révolutionnaire. Prototype à l’origine, il devient en 1994 un réacteur de recherche et de démonstration sur lequel sont organisées, sous l’autorité de l’État, des expériences afin d’assurer sa meilleure viabilité productive. Cependant, Lionel Jospin et son gouvernement ont interprété ces expérimentations, pourtant de leur responsabilité, comme un échec industriel, ce qui les a conduits à mettre fin au projet. Que diraient-ils aujourd’hui face aux difficultés rencontrées par l’EPR de Flamanville et celui de Finlande, pourtant moins innovants ?

Le Sénat a qualifié l’arrêt de Superphénix de décision grave, soulignant que sa mise en service aurait conféré à la France une avance technique et commerciale majeure dans cette technologie d’avenir. Pourquoi ? Le surgénérateur permet de boucler le cycle du combustible nucléaire : en termes simples, il brûle les déchets des centrales classiques tout en produisant du nouveau combustible. Comme l’avait affirmé le président Valéry Giscard d’Estaing à l’époque : « La France disposera d’autant d’énergie que l’Arabie Saoudite avec tout son pétrole ».

Rappelant que les énergies fossiles resteront longtemps en usage par l’humanité, vous estimez que vouloir s’en débarrasser « n’est pas sérieux » et qu’il s’agit d’un « rêve ne concernant que les élites » françaises. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Les besoins en énergie sont en expansion perpétuelle. Le charbon conserve un avenir prometteur : l’année dernière, son utilisation a encore augmenté de 10 %. Vouloir s’en passer serait une décision suicidaire.

En Occident, et en France en particulier, les énergies fossiles sont mal perçues, car elles ne rencontrent pas les faveurs des écologistes. Elles sont accusées de produire des gaz à effet de serre nuisibles à la survie de la planète. Plutôt que d’aborder ce problème de manière pragmatique et de chercher des solutions techniques pour neutraliser ces émissions, comme l’humanité l’a toujours fait face aux défis, les écologistes prônent l’interdiction pure et simple de l’usage des ressources fossiles. Pourtant, au vu des enjeux mondiaux, ces énergies ne sont pas près de disparaître. L’Occident ferait bien de se montrer prudent face à cette réalité.

Énergie : un crime d’État, d’Alain Le Bihan, éditions des Cimes, 140 pages, 12 €.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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