Emmanuel Macron, si cela avait été oublié, est adepte de Schumpeter. La doctrine de cet économiste de la première moitié du vingtième siècle, dans son interprétation la plus large, voit en tout désastre, qu’il soit économique, politique, humain la condition indispensable à un nouvel élan d’énergie vitale. Les Trente Glorieuses et le confort moderne n’existeraient ainsi que grâce aux destructions de la Seconde guerre mondiale, l’innovation ayant été accélérée par la compétition économique et militaire. La règle de survie du plus adapté va avec l’application du génie humain à un développement strictement matériel.
Pour les non-experts, Schumpeter, c’est Darwin et Marx appliqués à la vie politique et économique : le monde ancien doit être détruit à chacun de ses niveaux, pour que ses morts nourrissent les nouveaux-nés du monde d’après, dont il n’est pas utile de se demander s’il sera meilleur. Les Schumpetériens n’aiment rien tant qu’une terre brûlée qui donnera plus de blé (qu’un meilleur avril). La destruction massive de l’industrie européenne par la mondialisation a, par exemple, été schumpetérienne. Le monde nouveau qu’elle a fait émerger est constitué d’interdépendance universelle, de pays sous-développés produisant à bas coût les biens de consommation souvent inutiles d’une population occidentale riche et avachie par les divertissements, de forces comme le Parti communiste chinois et la Russie qui investissent massivement dans leur armée et leur arsenal nucléaire, pour ensuite conquérir le monde.
Les représentants de l’Union Européenne, réunis en sommet informel à Versailles les 10 et 11 mars, ont constaté qu’ils faisaient face à une nouvelle étape de ce processus darwinien. « En ramenant la guerre en Europe », la Russie a provoqué un « changement tectonique » dans l’histoire européenne, dit le communiqué officiel des vingt-sept. Ne soyez pas surpris si la dernière fois que vous avez entendu le qualificatif « tectonique » remonte à un cours de SVT sur le crétacé : l’actualité ressemble effectivement, pour le paisible diplodocus bruxellois, à l’arrivée dans le ciel d’une météorite de grande taille.
En se déclarant pessimiste, le président Macron fait savoir ce qu’il ne peut dire officiellement : la situation est appelée à empirer. Les signes internationaux, peu commentés, sont malheureusement nombreux : une grande partie des pays africains est restée silencieuse et n’a pas critiqué l’offensive russe, le régime chinois co-construit avec Moscou un récit sur l’existence de supposées armes biologiques américaines en Ukraine, comme pour cautionner par avance l’usage à venir d’armes sales par Vladimir Poutine. Dans le monde entier, l’incendie semble se propager : tirs de missile par l’Iran, qui ont ciblé le consulat américain d’Erbil, déploiement de lanceurs intercontinentaux par le régime nord-coréen, tir « accidentel » de missile par l’Inde sur le Pakistan. Les médias d’État chinois, qui donnent le ton de la pensée du régime, critiquent l’attitude américaine en Ukraine, considèrent aussi que l’Inde a maintenant une occasion de « repenser » son positionnement vis-à-vis des États-Unis. Ils accusent enfin Washington de tenter de déclencher une guerre à Taïwan. Le monde est devenu une cocotte‑minute qui semble, à chaque jour qui passe, plus proche de la catastrophe.
Les dirigeants européens réunis à Versailles espèrent avoir encore du temps devant eux, et ont « parlé de la façon dont l’Union Européenne peut être à la hauteur de ses responsabilités dans cette nouvelle réalité, protéger ses citoyens, ses valeurs, ses démocraties, et le modèle européen ». S’il n’est pas trop tard, il va s’agir de retrouver sa souveraineté, ses repères, garantir la capacité à nourrir, chauffer, soigner ses populations. Les prix à la pompe à essence ne sont qu’un tout petit signe avant-coureur : Rien de ce qui semblait naturel ne va plus de soi.
Dans ce grand changement, la Pologne, encore considérée au début de l’année comme un État voyou pour sa vision conservatrice de la société et son refus de se soumettre à Bruxelles, est maintenant citée comme modèle : les Polonais sont en première ligne de l’accueil des réfugiés ukrainiens, restent fermes face aux tentatives de pression de l’administration Biden et ne tremblent pas alors que les bombardements s’approchent de leur frontière. « Pole », justement, signifie « terre ». Par extension, le Polonais est celui qui a le sens des choses. Une nation regroupée autour de valeurs fortes est comme une maison qui ne craint pas l’orage. Pour les autres, il ne reste peut-être plus beaucoup de temps pour retrouver le sens des choses, tenter de préserver l’ancien et le bon. Ou alors on choisira d’être Schumpetérien jusqu’au bout, en priant pour ne pas faire partie des cendres lorsqu’arrivera l’étape suivante de « destruction créatrice ».
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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