Ces derniers jours, deux personnalités américaines emblématiques, Elon Musk et Barack Obama – chacun à sa manière – ont touché une corde sensible auprès de publics très différents dans le débat sur la liberté d’expression en Amérique.
Le 25 avril, Elon Musk a conclu un accord avec le conseil d’administration de Twitter pour en faire l’acquisition et retirer la plateforme de la bourse. Il s’est engagé à orienter cette « place publique » vers le respect de la liberté d’expression, à tout faire pour que Twitter « inspire une confiance maximale et soit vraiment ouvert ».
Moins remarqué, quelques jours plus tôt, le 21 avril, l’ancien travailleur social devenu président, Barack Obama, s’exprimait à l’université de Stanford. Dans une rhétorique habile, Barack Obama questionnait la pertinence – voire le bien‑fondé – de la « liberté d’expression » telle que comprise par le commun des mortels. Selon Obama, ce qui nous éloigne du libéralisme orthodoxe sont la haine, l’intolérance, les théories du complot, la désinformation parrainée par des gouvernements belliqueux (la Russie évidemment) et la propagande des Big Tech. « Il faut avoir une réglementation pour lutter contre la désinformation en ligne », a‑t‑il déclaré. Sous‑entendu : si le contrôle de Twitter échappe aux mains des progressistes, alors ce sera au gouvernement de prendre les devants pour y censurer certaines informations, opinions et personnalités non grata.
Pour de nombreux commentateurs, ce qui se passe sur Twitter n’est en aucun cas l’affaire du gouvernement. C’est une entreprise privée. Leur plateforme, leurs règles. Rien de ce que fait l’entreprise ne remet en cause les droits du premier amendement des utilisateurs. Ceci étant dit, tout est dit.
Mais ce n’est pas aussi simple, car la problématique ne se situe pas du tout au niveau du premier amendement.
Si Twitter a carte blanche pour agir comme une « police de la pensée », c’est grâce aux exemptions spéciales accordées par la section 230 du Communications Decency Act (CDA) de 1996. Le CDA a été la première tentative du Congrès américain pour réglementer le contenu pornographique sur Internet… et cette législation fédérale a permis d’anticiper tout un ensemble de lois sur la responsabilité civile des États.
Selon les principes de la common law, un « distributeur » de contenu n’est pas responsable lorsque les créateurs de contenu (auteurs) commettent des délits tels que la diffamation ou l’infliction intentionnelle de détresse émotionnelle. Le « distributeur » classique est un kiosque à journaux, une librairie ou une bibliothèque. Mais un « éditeur », tel qu’un journal, un magazine ou une maison d’édition, qui exerce régulièrement un jugement éditorial, assume la même responsabilité que les créateurs de contenu qu’il publie. On peut donc poursuivre un éditeur en justice pour obtenir des dommages et intérêts.
À l’aube d’Internet, une coalition bipartisane à Washington a accordé aux plateformes en ligne le meilleur des deux statuts : la liberté d’exercer le jugement éditorial d’un « éditeur » et les exemptions de responsabilité d’un « distributeur ». Les deux partis politiques ont avancé que la modération du contenu était indispensable à la survie des plateformes Internet afin de faire respecter les normes communautaires et garantir la « décence » en ligne, mais que les plateformes n’en n’étaient pas responsables.
Désormais nous vivons dans l’ère des plateformes géantes orwelliennes, de l’intelligence artificielle et de la surveillance numérique toujours plus élaborée. On constate qu’en réalité le gouvernement a autorisé le secteur privé à censurer les discours politiques. La section 230 est à l’origine du droit pour Twitter de supprimer des tweets, suspendre des utilisateurs, fermer définitivement des comptes, procéder à des « shadow ban » (blocage partiel d’un utilisateur sans que celui‑ci s’en rende compte) et de manipuler subtilement les algorithmes sans aucune conséquence juridique. Si la section 230 n’existait pas, en vertu des principes de la common law et des lois des États sur la responsabilité civile, Twitter serait traitée comme un « éditeur » et non comme un « distributeur ». L’entreprise serait juridiquement tenue responsable des conséquences pour tout contenu autorisé. Certes, il n’y aurait pas les abus que nous connaissons aujourd’hui, mais Twitter serait un puits sans fins de litiges civils de moindre importance, nous verrions un déluge d’affaires délictuelles qui incomberaient aux utilisateurs lambda de la plateforme.
Personne ne s’attend à une simple annulation de la section 230 plus de 25 ans après sa promulgation. En décembre 2020, Donald Trump, alors président, a essayé d’obtenir l’abrogation de la section 230 et a opposé son veto au budget de la défense des États‑Unis lorsqu’il ne l’a pas obtenu, mais l’annulation de son veto a été rapide et bipartisane.
En réalité, le problème ne se situe pas réellement au niveau de la législation, celle‑ci n’est qu’un moyen, ce n’est pas là que réside le fond du problème. Il y a deux facteurs sur lesquels nous devrions nous focaliser : d’une part, le nombre d’entreprises technologiques qui contrôlent les plateformes dominantes est beaucoup trop restreint, et d’autre part ces entreprises ont été capturées par des idéologues progressistes. Ce sont là les deux obstacles les plus fondamentaux qui s’opposent actuellement à la liberté d’expression.
Il n’y a aucun consensus sur ce qui pourrait tempérer l’emprise des Big Tech. Le marché des médias sociaux ne se rectifiera probablement pas de lui‑même : certaines de ces plateformes ont d’emblée le monopole grâce aux outils qu’elles proposent. Une technologie perturbatrice émerge et les fait chuter du jour au lendemain. Il est juste de dire que le gouvernement fédéral n’aura jamais les moyens de rectifier la situation – la Big Tech est trop influente, trop avisée, trop connectée et trop solidaire des élites politiques.
Elon Musk représente le premier défi sérieux à la domination des progressistes de la Big Tech. Il a ressorti (et dépoussiéré) les bonnes vieilles méthodes américaines : racheter Twitter pour le mettre hors d’état de nuire.
Musk va libérer plus que la parole et l’expression. En arrière‑plan, nous voyons un autre enjeu majeur et une autre bataille se dérouler avec l’acquisition de Twitter – un enjeu que Barack Obama a parfaitement cerné – sur un principe qui nous est cher, la liberté d’association.
Barack Obama bénéficie d’un poste d’observation unique. Il est encore considéré par beaucoup comme ce que le pouvoir progressiste a fait de mieux, comme l’emblème du prestige de la nation. Mais nous soupçonnons Obama d’être resté quelque peu sur sa faim après avoir épongé deux échecs considérables. D’une part Obama a dû terminé son mandat avec un Congrès passé à l’opposition lors de l’élection de 2010, il a alors vu l’effondrement de la supermajorité du Parti démocrate qui avait adopté l’Obamacare. Ensuite, en remportant les présidentielles, Donald Trump a évacué Hillary Clinton, qui aurait assuré le « troisième mandat Obama ».
Les progressistes ont été pris au dépourvu en 2010 et 2016 parce que la plupart des activismes dits « de base » de la gauche américaine sont des contrefaçons de mouvements d’opinion, de l’« astroturfing », de la désinformation populaire planifiée et financée par de riches élites à l’échelle nationale ou internationale. Ils sont fabriqués de toutes pièce pour brasser du vent.
La plupart des progressistes ont cru que le Tea Party était un mouvement d’opinion de ce type. Mais le Tea Party était un véritable mouvement de contestation qui s’opposait vraiment à la croissance de l’État fédéral, avec conviction. Et c’est parce qu’il s’agissait d’un véritable mouvement populaire que le Congrès est passé républicain en 2010. L’ancien président Obama comprend mieux que quiconque la différence entre les véritables et les faux mouvements et le danger que représentent les opinions authentiques.
La liberté d’association est au moins aussi menaçante pour la gauche moderne que la liberté d’expression, et c’est peut‑être une des clés qu’Elon Musk débloque chez Twitter. L’important n’est pas simplement de s’exprimer, mais de voir les autres s’exprimer librement (de savoir qu’on n’est pas seul), de se connecter avec ceux qui partagent nos croyances et nos points de vue, et de construire des réseaux et des communautés – tout cela, les progressistes l’ont activement saboté pendant des années.
Twitter, sous la houlette d’Elon Musk, va‑t‑il devenir cette « place publique » des prochains grands mouvements populaires qui nettoieront le système politique actuel ? Les progressistes tenteront‑ils d’utiliser l’article 230 pour imposer la censure ? Affaire à suivre.
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