Désillusion chez les Français qui caressaient encore l’espoir d’un virage à droite du président de la République. En marge de son voyage officiel en Nouvelle-Calédonie fin juillet, à quelques semaines de l’examen à l’Assemblée nationale de la loi immigration, Emmanuel Macron a longuement développé sa vision en matière de politique migratoire dans un entretien accordé au Figaro Magazine. Si le chef d’État poursuit son célèbre exercice d’équilibre du « en même temps » sur la réponse à apporter aux émeutes, le fil conducteur de sa pensée en matière de gestion de l’immigration, lame de fond des prochaines années de son deuxième quinquennat, est désormais sans équivoque : garder le cap et même aller plus loin. Organiser une « politique de peuplement », c’est-à-dire la répartition des immigrés sur l’ensemble du territoire français, y compris dans les zones jusqu’ici relativement épargnées, telle est bien l’ambition d’Emmanuel Macron, qui n’exclut pas de recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force son projet de loi.
Émeutes : le reflet d’un « problème d’intégration »
Un mois après les exactions urbaines qui ont ravagé la France à la suite de la mort du jeune Nahel, tué par un tir policier, son diagnostic se faisait attendre. Là où la droite lie sans surprise les saccages, les pillages et les violences aux conséquences de l’immigration massive des dernières décennies, l’ancien ministre de l’Économie sous François Hollande accole aux causes du déclenchement de cette semaine électrique une analyse propre à la gauche : « Ces émeutes ne sont pas un sujet d’immigration actuelle. C’est un sujet plus large de difficultés de certaines villes, de difficultés socio-économiques, de difficultés d’intégration dans certains cas et de fonctionnement de la démocratie à l’heure des réseaux sociaux », estime Emmanuel Macron, enfonçant le clou : il ne faut « pas confondre immigration et intégration » ; « nous avons très clairement un problème d’intégration » — « on paie les pots cassés ».
Pour preuve aux yeux du président qui affirme « regarder les choses de manière lucide », « 90 % des personnes interpellées sont des Français », avant néanmoins de nuancer : « Après, on n’a pas de statistiques ethniques dans notre pays. Il y a des Français issus de l’immigration, d’autres qui ne sont pas issus de l’immigration ».
« On intègre d’autant mieux qu’on le fait de manière diffuse »
Que faire ? Mettre en œuvre une « politique de peuplement », méthode polémique consistant à répartir l’immigration à travers le pays de façon à éviter que « nouveaux arrivants » et population de souche ne vivent « dos à dos », préconise-t-il : « Beaucoup de gens disent ‘Non, nous, on ne veut pas voir de nouveaux arrivants chez nous’. Moi, je pense qu’on intègre d’autant mieux qu’on le fait de manière diffuse ». Préférant manifestement éviter de prendre l’exemple de l’immigration extra-européenne pointée à droite, Emmanuel Macron prend appui sur les réfugiés ukrainiens : « Si vous mettez toutes les familles ukrainiennes qui arrivent dans les mêmes endroits, vous ne les intégrez pas ».
Bien que son ancien premier ministre Édouard Philippe s’oppose, du moins dans les mots, à une « immigration du fait accompli », un phénomène qui se traduit par « une accélération très forte de l’augmentation du nombre d’étrangers » notamment « en provenance d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne », et que son allié centriste François Bayrou appelle à respecter le « droit des peuples » à l’« identité », lui prévient : « Nous avons toujours été un pays d’immigration et nous continuerons de l’être. » « Pas question pour lui de durcir sa politique pénale ou ses choix en matière d’immigration », note ainsi Le Figaro.
Exit la suppression des allocations familiales
Pas question non plus de sanctionner les parents des émeutiers en coupant le robinet des allocations familiales, comme le demande Les Républicains. Une mesure qui, selon lui, « idéologise le débat » et risquerait d’« aggraver le problème », estimant « plus efficace » d’avoir alloué à la justice « beaucoup de moyens ».
Il faut des « politiques de sanction » quand des parents « sont vraiment dans l’irresponsabilité », mais sans « supprimer les allocations familiales », poursuit Emmanuel Macron, sans préciser lesquelles. Quoi qu’il en soit, entre « aider les familles » à « éduquer » leurs enfants ou « les sanctionner quand elles ne font pas leur boulot », le chef de l’État « ne veut pas choisir » : « On doit accompagner ces familles — donner beaucoup plus de moyens, mieux les préparer —, et en même temps les responsabiliser. »
Cela sera-t-il suffisant pour apaiser l’angoisse sécuritaire des Français ? Comme le rappelle Le Figaro, « dans d’autres contextes, n’a-t-il pas reconnu qu’une ‘part du terrorisme (…) peut être liée à une forme d’immigration’, après une vague d’attentats islamistes sur le sol français et européen à l’automne 2020 ? Ou, en octobre dernier, pointé une ‘immigration illégale (…) très présente dans les faits de délinquance’ à Paris, tout en se gardant d’établir un lien ‘existentiel’ entre immigration et insécurité ? »
Quid de l’angoisse identitaire ? Le journal de noter : « Il refuse de traiter la question identitaire ». Celui qui affirmait en 2017 qu’« il n’y a pas de culture française » et qui soutient désormais, dans cet entretien, qu’« il y a une culture française et une histoire française, mais [dont] les affluents sont multiples », préfère plutôt défendre à la fois l’« enracinement » et l’« universalisme » : « La France est une et plurielle. »
En optant pour « une politique de peuplement », le président de la République balaye dans le même temps la proposition de modification de la Constitution portée par LR ainsi que les solutions des dirigeants danois et britanniques visant à expulser leurs migrants illégaux vers le Rwanda : « Toute réforme qui nous fait sortir de l’Europe est inefficace, parce que le problème est européen et parce que nous ne sommes pas une île », martèle-t-il. Place donc à l’intégration par la répartition.
Vers une motion de censure contre le gouvernement ?
« Le message global [contenu dans cet entretien au Figaro Magazine] penche plutôt à gauche » et le chef de l’État « refuse de se laisser embarquer » par la droite « sur la question identitaire », analyse la journaliste Julie Marie-Leconte dans un éditorial ce jeudi pour France info. D’où la volonté d’Emmanuel Macron de procéder à l’adoption de son projet de loi sur l’immigration par un recours au 49.3, faute de pouvoir réunir une majorité de députés sur ce thème épineux sans le soutien des Républicains.
Ce scénario est d’ailleurs déjà envisagé par le groupe politique. Porte-parole d’une « loi de rupture » face « aux pompes aspirantes », il a déjà préparé sa riposte le cas échéant par le biais du dépôt d’une motion de censure, annonçait le 15 juin le président des LR au Sénat, Bruno Retailleau. « Nous sommes très clairs : nous déposerons une motion de censure contre le gouvernement si son texte est beaucoup trop laxiste », confirmait un mois plus tard, le 20 juillet, Pierre-Henri Dumont, député et porte-parole du groupe LR à l’Assemblée nationale.
Un cas de figure qui semble donc de plus en plus plausible. À la suite de l’interview d’Emmanuel Macron, le patron des Républicains Éric Ciotti a indiqué mercredi sur X « regretter que le président de la République balaie d’un revers de main notre proposition de loi constitutionnelle », précisant dans un second message que « par ces mots (‘Nous avons toujours été un pays d’immigration et nous continuerons de l’être’, ndlr), le président de la République enterre toute volonté de mettre un terme à l’immigration de masse ».
En cas d’échec des débats sur l’immigration au Parlement, le parti de droite souhaitait trancher la question migratoire par un référendum, mais le 14 mai, Emmanuel Macron avait également écarté cette piste, estimant que ce sujet ne rentre pas dans le champ constitutionnel.
« Un projet de submersion migratoire ouvertement assumé »
De son côté, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, estime que, par ses déclarations, Emmanuel Macron « assume ouvertement un projet de submersion migratoire » : « Alors que les émeutes ont été l’échec de 40 ans d’immigration massive, Emmanuel Macron veut accélérer dans sa « politique de peuplement », en répartissant partout les difficultés », a-t-il fustigé sur le même réseau social : « Plus personne ne peut ignorer ce projet de submersion migratoire : il est ouvertement assumé ! »
Devant l’emploi de l’expression « politique de peuplement », Éric Zemmour, président de Reconquête, y voit, lui, « un tournant » : « Malgré l’opposition d’une écrasante majorité de Français, il assume désormais une volonté de bouleverser notre équilibre démographique par une colonisation de l’intérieur. Vous trouverez avec Reconquête et moi-même les plus farouches adversaires de cette déstabilisation organisée de notre pays. »
Pour rappel, les concertations autour du projet de loi immigration avaient été suspendues en juillet par le gouvernement à la suite du déclenchement des émeutes urbaines. Elles devraient se poursuivre et se finaliser selon un calendrier qui devrait permettre le lancement d’un examen parlementaire en automne, avait indiqué le 8 juillet la Première ministre Élisabeth Borne dans un entretien au Parisien.
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