Aux aurores, une vingtaine de militants écologistes s’introduisent en cachette sur le chantier d’une future centrale photovoltaïque, sur les flancs de la montagne de Lure, site préservé des Préalpes françaises reconnu pour sa riche biodiversité. Leur mission : s’attacher aux engins mécaniques pour enrayer sa construction.
A priori paradoxal pour des défenseurs de l’environnement, leur combat ne cible pas la production d’énergie solaire mais la manière d’y parvenir car ce chantier, qui en 2024 compte accueillir 20.000 panneaux sur 17 hectares aux portes du Parc naturel régional du Luberon, en Provence, a déjà entraîné l’abattage de centaines d’arbres.
« On n’est pas contre le photovoltaïque ! On dénonce juste le fait de raser des forêts pour installer des panneaux solaires à la place », explique « Scapin », militant d’Extinction Rebellion souhaitant garder l’anonymat, le bras attaché à une pelleteuse.
Sacrifice des milieux naturels
Favorables à la transition énergétique, plusieurs associations environnementales locales dénoncent le fait que leurs communes rurales doivent « sacrifier leurs milieux naturels », au bénéfice des villes qui devraient plutôt réduire leur consommation énergétique.
Les « multinationales investissent dans des endroits reculés peu habités, avec un risque de contestation moindre, sur des terrains forestiers peu chers, plutôt que d’aller sur des parkings, friches industrielles, zones altérées ou polluées », accuse Pierrot Pantel, ingénieur écologue et coordinateur de luttes environnementales.
Le site sélectionné, bien exposé au soleil et offrant un excellent rendement énergétique potentiel, fait partie d’un espace naturel forestier préservé intégré depuis 2010 au réseau des réserves de biosphère de l’Unesco. « On ne peut plus se permettre de sacrifier le moindre hectare de biodiversité aujourd’hui (…), on se coupe les pieds pour s’acheter des chaussures ! », s’exclame-t-il.
Victorieuse de l’appel d’offres en 2009, la société Boralex défend au contraire un projet qui va « revaloriser des parcelles communales peu fertiles » depuis un incendie en 2004 dans la commune de Cruis. À terme, ce parc solaire « permettra de produire environ 26 GWh d’énergie verte par an », soit « la consommation électrique annuelle d’environ 12.000 habitants », plaide Jean-Christophe Paupe, directeur-général délégué à la gestion des actifs de l’exploitant canadien. En contrepartie l’entreprise versera un loyer pendant 30 ans au village de 650 habitants. « Une somme très très importante » défend son maire, Félix Moroso, selon qui « 98% de la population de Cruis est favorable au projet ».
Officiellement, le ministère français de la Transition écologique recommande de privilégier « les sites déjà dégradés ou artificialisés », précisant que « les zones et secteurs agricoles, forestiers et naturels ne sont en principe pas ouverts à l’installation de centrales solaires au sol », sauf à démontrer leur « compatibilité avec ce caractère agricole, forestier ou naturel ». « Nous avons besoin de produire de l’énergie d’origine électrique renouvelable. Donc nous souhaitons que ce projet puisse aller à son terme », balaye Marc Chappuis, préfet des Alpes-de-Haute-Provence. « Ce projet est parfaitement légal » et des « mesures compensatoires, notamment pour respecter la biodiversité », ont été exigées, ajoute-t-il à l’AFP.
Deux plaintes déposées
Un argument contesté par les opposants qui ont déposé deux plaintes pour destruction sans autorisation « d’habitats d’au moins 90 espèces protégées » recensées sur le site. Parmi elles l’Alexanor, papillon en voie d’extinction, le lézard ocellé ou le loup, dont plusieurs meutes peuplent la montagne.
La part totale des énergies renouvelables dans la production électrique française devra passer de 26 % à 34% d’ici 2030 et l’énergie solaire devra être multipliée par trois, selon le plan du gouvernement mi-septembre. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) prévoit quant à elle de décupler la puissance photovoltaïque installée sur son territoire d’ici 2030. De quoi alarmer les militants écologistes qui dénoncent « le mitage de la montage de Lure » et ses environs, où cinq autres centrales solaires sont déjà implantées sur 42 hectares.
« Notre lutte constitue la tête de proue face à la déferlante du photovoltaïque sur les milieux protégés », proclame Pierrot Pantel.
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