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Enquête pour tortures en Irak sur des jihadistes français, qui réclament leur transfert en France

octobre 20, 2024 8:30, Last Updated: octobre 21, 2024 8:46
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Que deviennent les onze jihadistes français condamnés à mort en 2019, puis à la prison à vie en Irak ? Tous demandent à purger leur peine en France.

À Paris, une juge d’instruction enquête pour tortures sur au moins deux d’entre eux. Ces investigations inédites ont été ouvertes en décembre 2023. La magistrate du pôle Crimes contre l’humanité du tribunal de Paris enquête pour tortures, peines et traitements inhumains, dégradants, et détention arbitraire, a confirmé à l’AFP le Parquet national antiterroriste (Pnat).

« On ne peut pas admettre que des Français dépérissent dans des geôles, quelle que soit la gravité des faits qu’on leur reproche », a expliqué Richard Sédillot, avocat des deux plaignants, Brahim Nejara et Vianney Ouraghi. « Je ne demande pas leur exonération a priori, mais il est indispensable qu’ils puissent être jugés dans des conditions équitables, pas en cinq minutes, sans avocat. Il faut une instruction et un jugement en France », a-t-il insisté, sollicité par l’AFP.

La plainte, déposée avec constitution de partie civile en septembre 2020, a mis du temps à aboutir. La justice avait d’abord décidé de ne pas enquêter, mais l’avocat a fait appel et obtenu le lancement des investigations. Une décision qui donne espoir à quatre autres jihadistes, qui ont aussi porté plainte.

Un emprisonnement à vie

Après la chute de l’organisation terroriste État islamique, onze jihadistes avaient été condamnés à mort par pendaison en juin 2019 en Irak. Le 30 mai 2023, la justice irakienne a commué cette peine en un emprisonnement à vie, a confirmé le ministère de la Justice français.

Cette combinaison de photos obtenues le 29 mai 2019 montre les Français (de haut en gauche à bas en droite) Salim Machou, Mustapha Merzoughi, Brahim Nejara, Kevin Gonot, Yassine Sakkam et Leonard Lopez, tous condamnés par un tribunal de Bagdad à la peine de mort pour avoir rejoint l’organisation terroriste État islamique. (AFP via Getty Images)

Ce changement est le fruit d’échanges entre magistrats des deux pays, a expliqué une source judiciaire, les Irakiens étant « très désireux de collaborer » avec la justice française, qui enquête encore sur ces hommes. Les onze sont en effet visés par des mandats d’arrêt pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, selon le Pnat. « Tous avaient des positions élevées au sein de l’État islamique, et certains ont été impliqués dans des projets d’attentats en France avant leur départ puis pendant leur séjour en zone irako-syrienne », a précisé la source judiciaire.

Trois autres Français détenus en Irak, dont deux femmes, sont aussi visés par des enquêtes antiterroristes, selon le ministère de la Justice. Pour poursuivre ces investigations, les juges ont cherché un moyen « d’entendre les suspects sans que leurs droits soient diminués » et « intercédé auprès des Irakiens pour qu’ils acceptent la venue d’avocats », souligne la source judiciaire.

« Dévoiement de la procédure »

Les juges ont proposé des interrogatoires sous le statut de témoin assisté – ce que plusieurs détenus ont vigoureusement refusé par la voix de leurs avocats. « Aller les entendre en sachant pertinemment dans quelles conditions ils sont détenus, c’est cautionner leurs conditions de détention. Comment peut-on interroger un justiciable en le sachant exposé à des traitements inhumains et dégradants et repartir ensuite à Paris comme si de rien n’était ? », s’est indignée Me Marie Dosé, qui défend une jihadiste.

Certains suspects ont toutefois accepté et un interrogatoire a déjà été mené, en décembre 2023. Fodil Tahar Aouidate dit « Abou Mariam », Roubaisien parti en Syrie en 2014 à l’instar de 22 autres membres de sa famille, a été interrogé pendant deux jours, par un magistrat français, en présence d’un magistrat et d’un enquêteur irakiens, ainsi que de son avocat. Ce dernier, Charles Sabbe, n’a pas commenté, invoquant le secret de l’instruction.

Me Matthieu Bagard, qui défend trois autres hommes, a lui dénoncé un « dévoiement de la procédure » : la justice française procède à « des interrogatoires intenables pour les droits de la défense, qui fragilisent les procédures » au lieu d’attendre l’exécution du mandat d’arrêt et le transfèrement en France pour les interroger. « Le transfèrement est la règle et le problème est justement que les autorités françaises y dérogent, sans justification », a abondé Me Chirine Heydari-Malayeri, qui défend l’un des hommes.

Deux représentants d’associations de victimes d’attentats, Georges Salines et Arthur Dénouveaux, ont aussi indiqué à l’AFP vouloir leur rapatriement, pour une « plus grande transparence » des enquêtes. Interrogés plusieurs fois sur cette question du retour, ni le ministère des Affaires étrangères ni le ministère de la Justice n’ont répondu à l’AFP.

En Irak, un responsable au ministère de la Justice a indiqué à l’AFP que son pays « n’avait reçu aucune demande officielle des autorités françaises ». Un haut responsable sécuritaire a assuré que le gouvernement irakien comptait rapatrier « via les canaux officiels » plus de « 500 femmes » condamnées et détenues en Irak – il s’agit de ressortissantes de plusieurs pays, notamment de Turquie, Syrie ou du Tadjikistan. « Le sort des hommes n’a pas encore été déterminé », a ajouté le responsable.

Les détenus gravement malades

Quatre avocats se sont rendus à la prison d’Al-Rusafa à l’automne 2023 et en février 2024. Ils ont tiré de leurs échanges non confidentiels avec leurs clients deux memorandums alarmants, transmis à la justice française et dont l’AFP a eu connaissance. Les prisonniers vivent dans des « cachots » bondés de plus de 120 hommes, avec seulement une douche et deux toilettes, où « les corps se déshydratent très rapidement » dans une « chaleur étouffante ». Ils n’ont qu’« une bouteille d’un litre et demi par jour pour boire, assurer leur hygiène et faire leur vaisselle ».

« Le matin, si les occupants de l’un des cachots ne se réveillent pas, tous les détenus sont punis ». Le chef de cellule peut « insulter, humilier, violenter ses codétenus en toute impunité ». Seule sortie autorisée : une promenade, deux fois par semaine, de « dix minutes à trente minutes dans une cour tellement exiguë qu’il est quasiment impossible de marcher ».

Les détenus, même gravement malades, ne sont pas soignés. Léonard Lopez, dit « Abou Ibrahim al-Andaloussi », souffre ainsi de « dystrophie importante ». Il ne peut plus « lever les bras et donc se défendre » des violences des autres détenus ou des gardes. « J’ai peur que certains d’entre eux finissent par succomber, j’ai peur que ma cliente ne fasse un AVC », résume Me Dosé.

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