Un peu comme dans l’émission Qui veut être mon associé ?, beaucoup de jeunes entrepreneurs à la quête de nouveaux financements se sont un jour retrouvés à « pitcher » leur projet devant des investisseurs. Moments clés de la vie d’entreprises naissantes, les pitchs entrepreneuriaux contribuent à la construction d’une identité entrepreneuriale. Les créateurs s’engagent dans une communication verbale et non verbale qui leur permet de se présenter aux investisseurs en tant que personnes légitimes pour développer leurs idées.
Gérer ce processus de présentation de soi fait partie du catalogue d’un large réseau de consultants, programmes de formations, conférenciers et organisations de support à l’entrepreneuriat. Tous ces acteurs affirment offrir les meilleures réponses au fameux « how to pitch ? ». La littérature académique n’est cependant pas en reste. Elle témoigne d’un intérêt grandissant pour les indices comportementaux de personnalité et de cognition ainsi que pour la rhétorique. Les attitudes qui influenceraient favorablement les investisseurs potentiels sont ainsi mises en évidence.
Pour résumer cette littérature, il convient de puiser dans l’approche dramaturgique introduite en 1959 par le sociologue américain Erving Goffman dans un ouvrage intitulé La présentation de soi dans la vie quotidienne. Il y explique que nous empruntons régulièrement à ce qui relève de performances théâtrales afin de donner un sens aux situations de la vie quotidienne et créer une identité « situationnelle ». Le pitch entrepreneurial n’y échapperait pas : l’entrepreneur « acteur » utilise un dispositif rhétorique, son « texte », des manifestations gestuelles et émotionnelles, son « interprétation », devant les investisseurs, son « public ». C’est sur ces éléments scénographiques que nous revenons dans un numéro à paraître de la Revue de l’Entrepreneuriat.
Être pitcheur, c’est être acteur
Parmi l’ensemble de traits étudiés par les chercheurs, c’est l’importance de la « passion » pour son entreprise, la manifestation d’un lien affectif intense et d’une forte implication personnelle, qui a suscité le plus fort consensus. Elle génère un engagement neuronal plus fort auprès des investisseurs et accroît leur volonté de débloquer des fonds. Ceux-ci apprécient en outre les attitudes positives qui signalent une personnalité optimiste et une forte confiance en soi.
Quand elles virent au narcissisme, l’issue s’avère cependant plus ambiguë. Si les investisseurs sur les plates-formes de crowdfunding ne sanctionnent pas les entrepreneurs qu’ils perçoivent comme arrogants et égocentrés, les investisseurs plus impliqués dans la stratégie de l’entreprise, tels que les business angels et les capital-risqueurs, anticipent les difficultés de collaboration future et se montrent plus réservés face à ces profils. Dans tous les cas, à l’encontre du stéréotype populaire de l’entrepreneur fanatique, obtus et déterminé, à la Steve Jobs ou Elon Musk, les études montrent que les investisseurs préfèrent des entrepreneurs humbles qui manifestent une ouverture aux autres, une écoute attentive des suggestions et une forte disposition à suivre les conseils de leurs partenaires présents et à venir.
Faire appel aux émotions
Le choix rhétorique de l’entrepreneur a également un impact considérable sur sa probabilité d’obtenir des ressources financières. Les entrepreneurs qui se présentent comme des usagers concernés par le produit/service développé par leur start-up sont perçus comme plus convaincants. Ceux qui utilisent un langage figuratif, riche en anecdotes, analogies et métaphores, obtiendraient également plus souvent satisfaction.
Plusieurs études montent également que, contrairement à l’idée rationaliste selon laquelle seuls l’argumentation logique (logos) et les propos conférant de la crédibilité au narrateur (ethos) sont à même de convaincre, l’appel aux émotions (pathos) a toute sa place dans un pitch. L’entrepreneur peut ainsi susciter la colère, l’indignation, la pitié, la joie ou l’espoir des investisseurs potentiels pour les convaincre de le suivre dans son projet. À faire cela, il faudrait cependant éviter d’insister sur les étapes passées, comme celle de l’émergence du projet, pour se focaliser sur l’état actuel de développement ainsi que sur le potentiel de croissance de la start-up.
Survaloriser son produit en le qualifiant de disruptif, c’est-à-dire capable de changer la « manière dont les humains, les écosystèmes ou les sociétés fonctionnent », semble également, et peut-être contre-intuitivement, apprécié. L’exagération s’avère en fait facilement pardonnée et reste perçue comme légitime dans le cadre d’un pitch tant que l’entrepreneur ne dérive pas vers une déformation pure et simple des faits.
À tout cela se mêlent également des stéréotypes. Selon une étude, le style de communication procure un avantage aux hommes entrepreneurs qui parlent généralement de manière plus abstraite que leurs collègues féminins dont le style est plus concret et pragmatique.
Sur scène, sourire (mais pas trop)
Peut-être cela est-il en partie lié avec la mise en scène du discours de l’entrepreneur. Les gestes et l’expression faciale des émotions sont à même d’influencer positivement la réaction des investisseurs. À projet et discours égaux, l’usage d’une gestuelle métaphorique et les sourires, surtout en début et en fin de pitch, accentuent l’image d’un entrepreneur passionné et investi et influent ainsi sur la décision des investisseurs.
La sonorité de la voix a ainsi son importance. Les fréquences basses semblent plus appréciées par les investisseurs que les sons aigus. Elizabeth Holmes, fondatrice de l’entreprise américaine de santé Theranos, condamnée à 11 ans de prison en 2022 pour escroquerie après avoir été longtemps vue comme un « prodige » (c’était le qualificatif employé par l’ancien président Bill Clinton), avait ainsi prétendument travaillé avec un coach pour abaisser la tonalité dans laquelle elle s’exprimait.
La fréquence et la durée des sourires doivent, elles, être maîtrisées. Dans une étude analysant 1460 pitchs déposés sur la plate-forme Kickstarter, des chercheurs montrent que des financements supérieurs sont obtenus avec trois secondes de sourire sur un pitch moyen de 82 secondes qu’avec plus de cinq secondes en temps cumulé ou, à l’inverse, presque pas de sourire. L’effet négatif du sourire trop fréquent ou trop long est dû notamment à la perception des investisseurs d’un entrepreneur peu authentique ou qui manque de sérieux.
Pour le public, un pitch idéal ?
Toute pièce de théâtre n’existerait pas sans un public. Il prend une importance particulière dans le pitch notamment car tous comportent une partie interactive lors de laquelle les investisseurs posent des questions et discutent avec l’entrepreneur.
La réaction des investisseurs peut être soumise à deux phénomènes complémentaires : l’homophilie, soit la préférence pour ceux qui nous ressemblent et, les attentes stéréotypées, soit la préférence pour les profils qui sont en adéquation avec le préjugé de ce qu’est un bon entrepreneur. Une nouvelle fois, les images préconçues interviennent. Des travaux montrent que, sans s’en rendre compte, les investisseurs posent des questions relatives à la croissance et à l’avantage concurrentiel (le « comment gagner ? ») aux hommes et des questions relatives au risque et aux barrières à l’entrée (le « comment ne pas perdre ? ») aux femmes. Dans la même veine, plusieurs études confirment que les femmes et les personnes issues des minorités sont mieux évaluées lorsqu’ils pitchent une start-up sociale plutôt qu’une start-up commerciale.
Les propos présentés ici laissent entendre qu’il est possible d’atteindre le pitch idéal qui serait parfaitement préparé et performé. Une prémisse fondamentale de l’approche dramaturgique est bien l’idée que la présentation de soi peut être maîtrisée et adaptée pour la scène. Des illustrations pratiques de cette idée figurent ainsi dans tous les modules sur la méthodologie du pitch inclus dans les programmes de formation et accompagnement à l’entrepreneuriat.
Cette vision conduit alors à une standardisation grandissante de la pratique de pitch. Si on peut se réjouir de la possibilité d’avoir des entrepreneurs mieux formés et plus performants, point avec cette homogénéisation le risque d’alimenter encore davantage les stéréotypes entrepreneuriaux, freinant le développement d’une certaine diversité dans l’univers entrepreneurial.
Article écrit par Ivana Vitanova, MCF en Finance, Université Lyon 2, Université Lumière Lyon 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.