Entretien – Dans une interview accordée à l’hebdomadaire britannique The Economist, Emmanuel Macron a maintenu les propos qu’il avait tenus précédemment sur l’envoi de troupes en Ukraine. Pour le général Christophe Gomart, numéro trois de la liste LR aux élections européennes et ancien chef du renseignement militaire, le président de la République a eu tort d’évoquer à nouveau l’envoi de troupes en soutien à Kiev puisque « nous manquons vraiment de munitions, de canons et de chars ».
Epoch Times – Le chef de l’État a-t-il eu raison d’évoquer à nouveau l’envoi de troupes sur le sol ukrainien ?
Christophe Gomart – Le chef de l’État a eu tort d’évoquer une fois de plus cette option. L’ambiguïté stratégique consiste à laisser des options en suspens, pas à commenter ses propres réflexions. Au lieu de préserver l’unité européenne et l’unité de l’OTAN dans le cadre d’un soutien en équipements et matériels à l’Ukraine, une telle annonce suscite des réactions contraires qui risquent de donner une impression de division.
Néanmoins, Emmanuel Macron cherche à envoyer un message à trois destinataires. En premier, les Français. Il veut leur rappeler qu’il y a toujours une guerre à l’Est de l’Europe.
Il souhaite également envoyer un message aux Européens en leur disant qu’il faut s’organiser – mais ils sont bien au courant, et certains sont davantage au rendez-vous que nous. Et évidemment, en maintenant ses propos sur l’envoi de troupes, il essaye de faire comprendre aux Russes qu’il n’est pas impossible qu’un jour, nous puissions nous-mêmes faire la guerre. Mais je pense que ça n’était ni opportun, ni réaliste.
On sait que les soldats de Kiev connaissent actuellement des difficultés sur le terrain. Les Russes progressent. L’intervention de l’armée française n’inverserait pas la tendance ?
Ce qui peut inverser la tendance, c’est d’abord une accélération massive dans la fourniture d’équipements, de matériels et de munitions, et donc un accroissement de la production industrielle. Cela passe par le fait de remplir davantage les carnets de commandes de nos propres industriels de défense. Ce qui n’est toujours pas le cas.
Pour vous répondre sur le plan humain : notre armée est une armée de professionnels, expérimentée, que ses engagements sur des théâtres d’opération variés ont rendue extrêmement compétente. Mais dans l’état actuel des choses, elle manquerait elle aussi de munitions, de canons et de chars. À titre d’exemple, en 1991, nous disposions d’environ 1300 chars. Aujourd’hui, seulement 220. Il y a donc une vraie différence capacitaire.
Nous n’avons donc pas les moyens de mener une guerre de haute intensité ? La loi programmation militaire 2024-2030 votée l’été dernier et les 413,3 milliards d’euros investis dans nos armées ne sont pas suffisants pour reconstituer nos stocks ?
Nous n’avons de fait pas les moyens de mener une guerre de haute intensité. Et pour être tout à fait honnête, à la fin de la loi programmation militaire, soit trois ans après le départ d’Emmanuel Macron de l’Élysée, nous aurons moins de chars Leclerc (190 chars seulement) et moins de Rafale.
C’est la raison pour laquelle la droite voulait augmenter davantage les budgets d’investissements lors de l’examen du texte. À l’heure actuelle, nous avons 220 chars Leclerc. En 2030, il en restera moins de 200. Et notre marine, dont la qualité n’est plus à prouver, ne sera malheureusement pas tellement renforcée, alors que nous aurions besoin de beaucoup plus de frégates compte-tenu de l’immensité de notre Zone économique exclusive (la deuxième au monde derrière les États-Unis).
Les élections européennes vont se tenir dans un mois. Comment la liste portée par François-Xavier Bellamy peut-elle créer la surprise ? Le Rassemblement national est très haut dans les sondages et Reconquête ! peut également vous prendre des voix.
Je pense sincèrement que nous pouvons remonter en allant voir les Français et en leur expliquant que ce vote aux élections européennes n’est pas un référendum contre Emmanuel Macron, mais un vote pour élire des députés français au Parlement européen qui défendent la France et ses intérêts.
Notre liste peut créer la surprise. Elle doit rester ce qu’elle est, c’est-à-dire de droite. La seule droite qui, au sein du Parlement européen, peut faire bouger les lignes pour défendre les intérêts de la France, en étant là où la décision se fait, et surtout en travaillant. Ce qui n’est pas le cas du Rassemblement national.
Je comprends la colère et les Français qui sont tentés par le vote en faveur du RN. Mais ce parti a déjà gagné les élections en 2014 et 2019 et cela n’a rien changé au niveau de l’Europe et pour les Français. À côté, Reconquête ! prône l’union, mais crée en réalité une division de plus à droite tout en cultivant des dissensions en interne. Nous, nous voulons l’union des électeurs de droite autour de ceux qui pourront être les plus efficaces pour porter leur voix. C’est la raison de mon propre engagement auprès de François-Xavier Bellamy.
Quelles grandes politiques comptez-vous mettre en œuvre dans la prochaine mandature européenne avec vos collègues du PPE ?
Nous présenterons prochainement notre programme. Au sein du PPE et derrière François-Xavier Bellamy, nous allons défendre les intérêts de la France, en commençant par un combat pour redonner de la liberté, et non créer des normes, à ceux qui produisent en France. Aujourd’hui, on ajoute des normes aux normes. Vous savez ce que l’on dit ? Les États-Unis inventent, la Chine produit, l’Europe réglemente et la France transpose, mais surtout surtranspose.
Le fait que Ursula von der Leyen vienne du PPE et qu’elle soit soutenue par Emmanuel Macron ne constitue pas un handicap pour votre liste ?
La délégation LR au sein du PPE n’a pas voté pour Ursula von der Leyen en 2019 ; elle avait d’ailleurs été installée par Emmanuel Macron. Son parcours de présidente de la Commission, son bilan, nous ont amenés à renouveler notre opposition à sa reconduction lors du congrès du PPE. Nous avons voté contre, et beaucoup de membres nous ont en réalité emboité le pas. Nous espérons qu’elle ne sera pas de nouveau désignée, auquel cas nous nous y opposerons. C’est d’ailleurs en ayant une présence renforcée au sein du PPE, qui restera la première force politique après l’élection et où la décision se fera, que nous avons le plus de chances de faire en sorte qu’elle ne le soit pas. Nous ferons tout pour cela, se battre pour empêcher un deuxième mandat d’Ursula von der Leyen.
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